Souvenirs d'enfance

Au fil de l’écriture des souvenirs remontent. Mes souvenirs. Souvenirs de moi, souvenir des miens, souvenirs... En fait mes souvenirs remontent à ma plus tendre enfance, images désuètes et jaunies du passé... M'en souviens-je parce que je me souviens ou bien parce que je me souviens de ce qu’on ma raconté et de ces photos jaunies vues et revues? Difficile à dire, difficile de savoir, et pourtant, la mémoire est là peuplée de ces souvenirs vécus et rêvés.

Je naquis au siècle dernier, en l’an de grâce 1965, par un froid samedi de décembre. Ma famille, bien que non fortunée, évita l’étable pour se loger et c’est donc dans les murs austères d’une clinique Toulousaine que je fis entendre ma voix en cette fin d’après-midi. Je ne savais pourtant pas que ce jour là, cette heure là, cette minute de cri, devait à travers les cartes célestes décider de toute ma vie. A vrai dire, je ne le sais toujours pas. 18 décembre. 18 H 18. Enfin, ça c’est ce que je dis, parce que les souvenirs familiaux sont plus flous et situe mon arrivée entre 18H00 et 18H30. En ce temps là, la précision céleste n’était point requise et je suis déjà bien content que mes parents m’aient évité de naître sept jours après, c’est à dire le 25 décembre…
D’un point de vue astrologique, j’apparais donc Sagittaire, ascendant Cancer, Serpent pour les Chinois, Figuier pour les Celtes. Allez vous y retrouver !
D’un point de vue géographique, je naquis Toulousain. Et cela n’a pas changé.
D’un point de vue anatomique, je naquis beau bébé ! Et cela n’a pas changé. Qui rigole ?

Regagnant mon foyer, non encore par mes propres moyens (j’aimais trop mes parents!) je découvris l’humble maison qui nous logeait. 3 pièces en enfilade. En entrant cuisine, faisant office, comme toujours en ce temps-là, de salle de repas. A l’opposé de la porte d’entrée, une porte donnait sur la salle à manger, ou ma sœur dormait. Traversant cette nouvelle pièce, une porte s’ouvrait sur la chambre des parents, ou j'avais mes quartiers. Encore une traversé et nous voilà dans la salle d’eau, puis encore une traversé pour atteindre ces commodités bien commodes à avoir en intérieur surtout les matins d’hiver. Modeste maison, coupée par sa moitié, un partie logeant les parents du propriétaire, une autre partie nous logeant. 3 pièces donc, chauffées au mazout. Une cuisinière dans la cuisine (qui l’eut cru ?) et un poêle à mazout (qui l’eut cru ?) dans la chambre. Je me souviens du remplissage odorant matin et soir des appareils de chauffage au moyen d’un arrosoir affecté à cet usage. A l’extérieur, sous un appentis en tôle longeant le garage, ou plutôt le lieu de bricolage, abritait des barriques métalliques superposées qu’un camion venait régulièrement remplir.

C’est là que je grandis, dans ma famille, ma sœur, mon aînée de 6 ans, mon père, ouvrier, ma mère, femme au foyer. Avec moi, vint le confort moderne : l’eau courante, la télévision en noir et blanc et la machine à laver. A vrai dire, j’ai du en bénéficier sans m’en douter… Bon, passons. J’ai donc galopé d’abord à 4 pattes bien sur (je ne voulais pas effrayer par trop de précocité) puis sur mes guiboles faiblardes et peu fiables, sur le carreau usé de la cuisine ou de la salle à manger, ou, mon préféré, le vieux parquet de la chambre. Maison tranquille, maison sise au cœur d’un vaste terrain, jardin potager, arbres fruitiers et surtout, un grand sapin, futur poste d’observation et abri de mes cabanes de fortunes. Nous habitions un quartier de la banlieue Toulousaine, stratégique car de là, nous participâmes, parfois avec fracas, aux envols du plus bel oiseau que la terre des hommes ait construit : le Concorde !

Enfance heureuse, autant qu’il m’en souvienne, occupé à grandir dans cet endroit merveilleux, expérimentant tour à tour, landau, poussette, tricycle, vélo avec petites roues puis enfin, le vélo ! J’ai donc, comme beaucoup, démarré à quatre roues, puis après un essai à trois roues, un retour à quatre, trouvé ma voie dans le deux roues. Euh, aussi le huit roues ! Roi du patin à roulettes, je coursais les chats sur les trottoirs de la maison, laissant au passage des traces noires de roues sur le sol, et, occasionnellement, écorchant mes genoux sur le ciment des murs ou du terrain. Aussi loin que ma mémoire remonte, je n’ai pas souvenance d’avoir eu mes genoux cicatrisés en même temps… C’est aussi vrai que les protections ne furent inventées que bien plus tard, de même que les Décathlon d’ailleurs ! Mon jardin, mon royaume, enfant d’extérieur, je roulais avec bonheur dans les allées de terre aussi bien que les trottoirs cimentés.

Je découvris le milieu scolaire à l’âge de presque 3 ans (ben oui, je suis de décembre !) et même dirais-je après les événements de 1968… Je ne peux témoigner d’un changement de régime scolaire du fait de mon intégration post révolutionnaire. Mes souvenirs de maternelle ? Un cours d’école avec des jeux, des enfants, des maîtresses adorables… et aussi, cinq heures, la cloche qui sonne, la fin de la journée scolaire, le retour à la maison.

Je revois la place et son kiosque à musique au milieu, témoin inerte d’un temps passé, de chaque côté de la place, mes deux écoles : maternelle et primaire. Mon enfance a circulé dans ce même lieu. L’été la fête foraine était sur cette place, à l’angle le marchand de journaux ou ma mère m’achetait mes premiers livres : Babar, nounours, … souvenirs des temps heureux ou les robots n’étaient pas encore nés… De l’autre côté de la place, des pissotières odorantes du temps ou elles étaient respectées et donc en place… A côté la mercerie qui vendait les petites voitures puis le long de l’avenue les commerces, boucherie chevaline et son odeur familière, en face, le petit casino ou nous faisions les courses, son catalogue de trésors à acheter par timbres puisés sur les économies de chaque semaine. Curiosité familiale : ma sœur fit sa scolarité à l’école des garçons sise un peu plus loin dans la rue tandis que moi j’allais à l’école des filles…

J’adorais mon école, vieille bâtisse toulousaine à étage, aux murs de brique rouge recouverts d’un crépi de ciment à la couleur improbable. Des salles de classe immenses, aux planchers usés par les générations d’élèves, aux meubles et bureaux patinés par le temps…

Je me souviens de l’odeur de la cire que nous appliquions sur nos pupitres avant de les lustrer, je me souviens des grandes bibliothèques vitrées renfermant des trésors de lecture, des bocaux d’animaux dans du formol, des minéraux… Le grand tableau nettoyé chaque jour à l’éponge humide, l’odeur de la poussière de craie mouillée…

Je me souviens de ma cour d’école, peuplée d’un immense marronnier, d’un préau trop petit les jours de pluie et dont les piliers ont participé à tant de partie de quatre coins. La cantine familiale du temps ou nous mangions comme à la maison servis par du personnel qui nous aimait et que nous aimions comme les membres d’une même famille…

Je me souviens de la garderie du matin, ou nous nous retrouvions entres enfants dans une pièce servant de réserve et de salles d’activité. Je revois ces grandes cartes percées de deux œillets métalliques pour être suspendues aux crochets du tableau. Nous y apprenions la géographie, l’histoire, les départements mais aussi, la chaîne alimentaire, les os de notre corps, et tant d’autres mystères. Le matin en garderie, surveillés par Ginette notre cantinière, j’avais plaisir à les sortir de leur antre, de les exposé à mes condisciples et de commenter comment chaque maillon de la chaîne alimentaire mangeait un autre et était mangé par le suivant… Je jouais au professeur, j’apprenais en fait en m’amusant…

Je me souviens de l’éveil musical que j’adorais surtout car il avait lieu dans une pièce à l’étage. Vaste volume atteint après avoir gravi un escalier de bois aux marches grinçantes, à la rampe de fer et passablement éclairé… Nous partions faire la gymnastique que nous n’appelions pas encore éducation physique et sportive à l’école des garçons. Cette construction plus moderne, ère du béton peint de blanc oblige, me paraissait froide et austère et je plaignais beaucoup ma sœur de devoir y aller… Nous étions hors de notre domaine, observés et observant ces enfants inconnus jouant dans cet étrange enclos… Aujourd’hui, seule l’école des garçons subsiste et d’ailleurs bien peu de gens savent que c’étaient l’école des garçons ! Mon ancienne école est devenue mairie annexe, annexe de poste aussi… Mes yeux d’adultes n’y retrouvent plus les proportions de l’enfance…

Cinq heures donc, la cloche, la sortie de classe, le long couloir sombre, la grande porte de bois ouverte par la directrice et dehors les mamans attendant leurs enfants… Parfois, la garderie, ou le cartable posé, je regagnais mes amies les cartes, attendant sagement que ma mère arrive me chercher en mobylette… Le retour à la maison, quelques instants à jouer dans le jardin, les devoirs à faire, les récitations à apprendre, et la soirée en famille : repas tous les quatre puis la nuit réparatrice…

L’été la caravane. Nous partions au bord de l’océan. Camping familial, direction Capbreton. Que de souvenirs à raconter, des baignades dans le boudigau alors propre, des vagues dangereuses de l’océan, des coquillages trouvés, du goudron sous les pieds lorsque nous allions marcher à la plage sauvage le soir.

Je me souviens encore, certes vaguement, du jour ou le mercredi est venu remplacer le jeudi dans notre rythme scolaire. Je me souviens aussi, de l’école le samedi, la cloche de midi, délivrance pour une fin de semaine promise au grand air. Mes parents avaient acquis une maison à retaper dans les montagnes ariégeoises. Mes yeux d’enfant y voyait un château, un bateau, un terrain de jeu immense. C’était une ferme avec ses trois pièces, grande grange à fourrage attenante, étable et bergerie dessous… La voiture chargée à bloc, tirant sa remorque de matériaux nous emportait pour un week-end aux activités bien définies : chantier, ciment pour mes parents, devoirs, vélo ou ruisseau pour moi… Je m’inventai des jeux, fabricant mes bateaux d’un bout de planche, construisant des barrages de cailloux pour les faire naviguer, au grand dam des paysans qui voyaient le chemin s’inonder…

Cette humble ferme, sise au milieu des prés, regardant les montagnes autours, était un lieu de détente et de bonheur, je l’ai toujours en mémoire dans mon cœur. Elle remplaça un temps nos escapes à l’océan. Nous passions alors, ma sœur et moi, deux mois de vacances au grand air, gardés par nos grands-parents puis nos parents.

Les années passèrent, insouciantes, heureuses. Mes premiers accents jazzy. Posé à même le parquet, ce vieil électrophone au plateau voilé, au diamant usé passant des disques fatigués aux craquements significatifs. Ampli à lampes enveloppant le son d’harmonies chaudes et désormais désuètes dans une pièce aux dimensions encore respectables. Plus tard, je découvris le chant et appris à chanter à la tierce, accrochant ma voix aux voix amies, superposition des voix, lignes mélodiques, arrangements, alchimie des sons, restitution sonore ou l’on cherche cette voix dont on ne connaît que le son intérieur…

Je jouais aussi aux cow-boy et aux indiens, petits personnages de plastiques non articulés et parfaitement colorés. Fascination depuis l’enfance, je jouais aux petites voitures, certes je n’avais pas l’aisance des enfants d’aujourd’hui, mon parc automobile se comptait sur les doigts de la main, rendant ainsi chaque voiture encore plus belle encore plus désirable… En âge de bricoler, je fabriquais mes chariots d’indien, mes caravanes, avec parfois l’aide bienveillante de mon père…

Je me souviens aussi du chariot qu’il m’avait fabriqué avec une planche, des manches à balais et des roulements à billes ? L’ancêtre du skate board. Combien de tour de trottoir ai-je fait à son bord ? Combien de genoux écorchés de mes expériences de pilote ? Joies d’enfant ou l’on appréciait peut-être davantage qu’aujourd’hui les cadeaux faits…

Les goûter ! Comment les oublier ? Nutella, confitures maison, tartines beurrées recouvertes de chocolat en poudre… Chocolat chaud l’hiver, verre de menthe l’été… Qu’ils étaient agréables et attendus ces goûters de l’enfance…

Nouvelle caravane, retour à l’océan.

Puis un jour, la maison fut jugée trop exiguë. Visite familiale d’autres maisons parfois, visite de mes parents seuls d’autres fois. Après une affaire mal engagée, perte d’argent à la clé, enfin ils trouvèrent la nouvelle demeure. Loin de là, loin de ma terre natale, à au moins dix ou douze kilomètres… Vente de la caravane pour aider au finance, des travaux a faire et nous voilà exilé sur cette nouvelle terre. L’année de ma 6eme. Année de rupture. Rupture de ma vie d’enfant, nous avons déménagé. Exit la petite maison aux 3 pièces, nous voilà avec chacun notre chambre, une belle salle à manger, une grande cuisine, des toilettes séparés… mais cela sur un terrain pelé, adieu le sapin de mon enfance, siège de mes cabanes, adieu mes copains de quartier, me voilà désormais étranger.

Changement de ville, changement de repère, par-dessus tout ça le collège… Autre univers. Au lieu de garder la même maîtresse, voilà une dizaine de professeurs prêts à distiller leur savoir, mais à chaque fois, changement de salle dans ce collège tout neuf, véritable labyrinthe… Bien sur, mes copains de primaire sont ensemble dans un autre établissement. Bien sur j’en rejoins d’autres, qui se connaissent déjà, clan déjà formé, impression de rejet, cœur lourd. Les horaires de travail de mes parents font que j’attends sagement le matin que le grand portail s’ouvre.


Je revois encore la Dyane rouge fané du proviseur venant ouvrir la grille, son berger allemand hors d’âge assis sur la banquette arrière. Cet homme à l’âge indéfinissable pour un marmot de 6e, décéda dans l’année de ma rentrée. Son nom fut donné à l’établissement. Je suis un des rares qui peut se targuer d’avoir connu de son vivant l’illustre personne ayant donné le nom à son collège ! Vous noterez que je n’en tire aucune gloire…

Grâce aux cours sévères de ma maîtresse de cm2, la 6e fut pour moi une classe sans surprise, du moins d’un point de vue scolaire. Reste l’inconnu, le manque de liens, le self pour déjeuner, le contact moins humain et les terribles grands de 3e ! Des géants vociférants dont le jeu préféré des jours de rentrée étaient d’houspiller les bleuets de 6e, tuant les légendes de Noël et de souris à de trop jeunes brebis… Une cour immense, des bagarres, des jeux de balles, un cartable à surveiller, bien qu’à cette époque là, les chapardeurs n’étaient pas tous nés…

Sixième. Cap difficile. J’eus bientôt droit d’aller au collège en vélo… Dix kilomètres matin, dix kilomètres le soir, vingt bornes par jours, cent bornes par semaine… Des copains à récupérer en route, rendant le trajet moins long, des courses inutiles sur une route à cette époque déserte. Aujourd’hui pour aller bosser j’y repasse parfois et je songe à ce temps là tout en étant coincé dans les bouchons…

Des copains, des nouveaux, habitants loin de chez moi. Un nouveau chez moi que je n’ai jamais vraiment aimé, mon cœur est resté là ou je suis né, mon quartier, ma maison, que je m’étais promis de racheter un jour… Ce n’était pas le château de ma mère mais une humble demeure…

Souvenirs d’enfance, premier territoire, ma maison dans mon quartier, mon quartier dans ma ville, j’y passe devant quelquefois… Bien sur des travaux d’agrandissement ont modifié l’aspect, bien sur des arbres sont tombés, mais je ne sais pourquoi, toujours je suis ému…

Ou plutôt, je sais trop !

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