Non la vie n’est pas monotone mais elle est monocorde. Parfois
la corde se tend, parfois la corde se blesse, parfois la corde s’effiloche.
Parfois la corde se rompt. On peut être fort, on peut surtout paraitre fort. Et
parfois, les rires, les sourires, les plaisanteries, l’humour ne sont que des
masques. Des masques qui tombent un jour sans que personne ne le voit. Être fort,
c’est supporter au sens premier du terme, c’est élever au sens vertical du
terme, c’est aider, soutenir, conseiller, pousser vers le haut, c’est être là.
Beaucoup d’énergies, beaucoup d’oubli de soi pour aider les autres. Cela peut
épuiser. La corde solide devient corde sensible, elle se relâche et la vie ne
tient plus qu’à un fil. C’est quoi l’autre côté du miroir ? Celui dont
personne ne revient, cela doit être si bien ? Est-ce un piège ? Un
raccourci ? Qu’y-a-t ’il au-delà ?
Notre société est rapide, elle juge en un clin d’œil, elle puise
nos énergies, elle bouffe nos vies. On voit le clown sur la piste, on rit quelques
minutes, mais au fond, qui s’intéresse au clown ? Notre seul intérêt, ce
sont ces quelques minutes de sourires, de joies, de chaleur dans nos cœurs. Le
feu offert est reçu avec chaleur sans réaliser que la braise s’éteint
progressivement, sans comprendre que recevoir c’est aussi donner et que mieux
recevoir il faut aussi apprendre à donner. Non la vie ne se compte pas en
billets, en cadeaux somptueux, en grandes marques ou autres futilités des
dernières modes de passage. Non, la société de consommation n’est pas une
société de compassion, ni même de sincérité, ni même d’amour. Notre société est
un parasite qui nous dévore et nous tue. Les premiers qui partent sont ceux qui
donnent le plus, avec leur cœur, avec leur sincérité, avec leur âme. La chute
est brutale parfois, une grande décompression. En sortirons-nous vivants ?
La vie, l’absence de vie, ici, au-delà, peu importe le présent,
le futur, tous sont dépassés, des passés simples ou composés, des hésitations,
des coups de cœur, des coups de chance, des coups de cul, des coups de pied,
des coups reçus. Ici, ailleurs. Hier, aujourd’hui. Demain ? Peut-être. Au
fond c’est fragile une corde, ç se détrempe, ça s’allonge, ça vibre, ça casse,
ça se noue, ça s’effiloche. Blessures, épissures, nœuds, au ventre, au cœur, à
l’âme. Plus on avance, plus on recule, plus on efface, plus on enregistre. Peurs,
frayeurs, abandons, échecs, oublié, oubliettes, négligé, négligences, au fond,
le clown n’est qu’une image, mais au-delà du portrait, derrière le maquillage,
il y a l’âme, il y a la chair, il y a l’être. Trop souvent on ne voit que l’image,
c’est plus rapide, plus facile, plus rassurant. On maitrise déjà mal nos vies,
pourquoi creuser, pourquoi s’intéresser, pourquoi ne pas se contenter de ce qu’on
y cueille, de ce qui nous va bien ? Le réconfort, le support, l’aide, le
sourire. La vie des uns ne vit pas de la vie des autres, elle s’en fiche, elle
reste à l’affiche.
Alors s’en vont la lumière et la chaleur reçues, alors part au
démaquillage ces peintures de joies, ce nez rouge, cette douce présence, alors
redevient l’être, un peu plus vidé, un peu plus épuisé, un peu plus rongé. Derrière
l’affiche, il y a le mur, et derrière le mur, il y fait froid, il y fait
sombre, il y fait pleurs. Derrières les murs, il y a des humanités, qui se
cloitrent, qui s’isolent. Et tant qu’aux murs fleuriront des affiches et des
sourires, les passants passeront sans d’autres visions que leurs émotions
perçues. Au fond, nous ne sommes tous que de passage. Ici, ailleurs, au-delà.
La corde est un fil d’Ariane qui nous conduit sur nos chemins de vies. Une main
courante non pas pour guider mais parfois pour nous retenir de prendre des
raccourcis. Mieux vaut s’asseoir, s’isoler, respirer loin des regards. Tenter
de recharger nos batteries. De tresser une corde plus solide à partir de tous
ces brins usés et maltraités. Est-ce pour cela qu’on dit que la vie ne tient qu’à
un fil ?