Le monde tourne et tourne
sans fin, quand bien même il tourne vers sa fin, pourquoi en être triste, tout
a une fin, et, plutôt que de s’appesantir de tristesse dans la perspective de
ce bout sans perspectives, il est bien plus utile et ô combien puissant de se
concentrer sur cette parcelle d’infiniment plus petit, plus court, ce présent
qui court. Prenons conscience de notre chance à vivre le présent dès à présent
sans attendre qu’il ne soit plus, qu’il ne soit plus qu’un passé à peine composé
en attente d’être décomposé. Certes, il est des passés plus que parfait, et si
leurs simples évocations donnent aux jours des goûts de miel et des parfums de
fleurs, ils ne sont que trublions venant en tourbillons nous déconnecter d’un
actuel vers un factuel aux contours souvent bien élimés au point d’en oublier
quelques acidités. Encore faut-il aimer le miel et le parfum de ses fleurs là,
il en est qui gardent et garderont longtemps un goût âcre, à jamais.
La solitude d’un passé ne
doit jamais faire oublier la solidité d’un présent. C’est un roc inébranlable
et tellement friable si l’on veut bien vouloir y creuser son sillon, il suffit
pour cela d’y mettre toute son énergie sans la laisser divaguer vers des hiers
partis ce faire embaumer. Le roc, c’est l’impossible dont on aime à qualifier
le gravillon sur le chemin. On ne sait comment le contourner, on songe à des
plaisirs enfuis, on s’affronte dans nos propres peurs et l’on perd ses moyens.
Pourtant, avec un peu de concentration, nos énergies s’alignent et nous montrent
la voie, notre voie, celle du moment, il est inutile de viser l’horizon tant qu’on
n’a pas fait le premier pas, les sommets ne se gravissent pas que dans leurs
derniers mètres. Pire, c’est dès les premiers pas qu’on se donne l’allant et le
rythme pour la course entière. Partir trop vite brûlera les énergies dès le
départ et la poursuite sera pénible et éprouvante. Partir trop hésitant
endormira les énergies et il sera bien difficile d’accomplir son parcours. Ne
pas avoir peur. Savoir s’écouter. Se faire confiance. Toute serrure possède sa
clé, il n’est nul besoin de chercher un passe-partout pour vouloir les ouvrir
toutes d’une même main, il est bien plus important de chercher chaque clé en
soi. Toutes les réponses naissent dans la même source que la question-mère,
cette source dont nous sommes le creuset. Au fond, on passe sa vie à creuser
tout autour, dans les vies des autres, dans des puits de connaissances, mais on
oublie toujours d’entretenir sa propre source, de l’entretenir, de la nettoyer,
et surtout, d’y boire à petites gorgées cette eau fraiche et si bénéfique. On
cherche trop dans l’autre ce qui n’est qu’en nous. Paradoxe de nos savoirs s’exerçant
sans savoir que les lignes les plus difficiles à lire sont pourtant les plus
accessibles.
A trop vouloir cataloguer,
à trop vouloir étiqueter, ranger, classer, répertorier, le simple exercice de
la méditation se trouve enfermé dans des boites aux noms spirituels, religieux,
philosophiques, et pire, le voilà codifié selon des règles prêtant à sourire, des
postures en jambes tricotées, des cailloux empilés en un subtil équilibre, et
bien sûr, l’élévation se visualisant mieux sous une forme de lévitation, l’envie
d’essayer se retrouve cloner sur le mauvais canal. Pourtant, à juste y
réfléchir ou bien à y réfléchir justement, s’isoler en son for intérieur,
visualiser sa plage de quiétude, laisser reposer son esprit lentement bercé aux
rythmes des respirations n’est pas si compliqué, si étrange, si religieux, cela
serait au contraire, la religion de la vie, la religion du soi et un grand
cadeau à s’offrir pour apprendre à mieux se retrouver, pour mieux équilibrer
ses propres dimensions. Une forme de rêve éveillé aussi, les pensées se
libèrent tandis que les pressions s’effacent, l’âme lévite, palpitations
légères dans ce corps oubliés. Dit ainsi, le sens est différent, la nature de l’exercice
plus naturelle et surtout, plus personnelle, il n’y a donc plus d’obstacle à
essayer. Et puis, si vous avez besoin de musique zen, de vous imaginer au
Tibet, de prendre votre essentiel dans un référentiel plus collectif, faites
donc, car dans la vie il n’y a jamais d’impasse, il n’y a que des chemins,
tantôt autoroutes, tantôt chemins de traverses, tantôt parcours semés d’embûches,
tantôt des demi-tours, mais on avance toujours, alors, il n’y a aucun risque à
avancer et pire, il n’y a aucune raison d’avoir peur. Vraiment.