Provence....



Encore un de ces jolis ponts du mois de mai, mais encore faut-il faire le pont…. Ce ne fut pas un pont, non, plutôt un viaduc de ces jolis viaducs qui peuplent nos existences laborieuses et offrent sous formes de mini vacances ce qu’il convient comme respiration pour mieux poursuivre le long cours de nos activités. Quatre jours à gambader, ou plutôt à marcher, à randonner, à découvrir et parcourir les terres ne cette belle Provence qui depuis mes premières lectures, a peuplé et guidé mon imaginaire, par les récits d’Alphonse Daudet, Marcel Pagnol ou Jean Giono. L’occasion fut trop belle d’aller gravir ces chères collines, visiter ces garigues, respirer ces embruns au rythme de nos groupes de marcheurs. 4 jours de marche, de découvertes, de visites, d’émerveillements par des températures plutôt chaudes et à bon rythme, la forme est là, l’appétit de marche aussi. De part et d’autre de la belle cité phocéenne, les parcours proposés nous ont fait escalader les dentelles côtières tout comme l’emblématique Montagne Sainte Victoire.
Autant de lieux, autant de paysages qui de La Ciotat à Cassis, d’Aix-en-Provence à Carry-le-Rouet nous ont montré de bien belles facettes d’un très joli pays qu’il conviendra de revenir parcourir, à un autre rythme, en d’autre compagnie, sur les terres décrites si bien et si souvent lues, dans les quartiers de Marseille hauts en couleurs même dans les films noir et blanc de Marcel Pagnol. L’enfance est une pate à modeler, lentement pétrie par l’amour reçu, recevant les pressions et les impressions plus ou moins fortes des lectures et des films, des visites ou des découvertes, des histoires et des enseignements. En grandissant, cette pate sèche et garde empreinte ces marques savamment appliquées. Au-delà des rêves, au-delà des mots, nous nous formons à ces couches successives, nous en gardons des traces indélébiles qui bien malgré nous se révèlent et sortent d’on ne sait où. En longeant le vieux port à bord de notre bus, la vision surélevée et dégagée de toute attention conductrice scrute et cherche le fameux bar de la marine, prêt à apercevoir Raimu sortant en tablier, les manches retroussées, la casquette vissée sur la tête, tout comme dans les célèbres affiches de Dubout. Certes, l’endroit est bien plus fréquenté de ces choses roulantes et polluantes qu’alors, les pressions sont bien plus commerciales que moussante de houblon, mais l’intérêt pour la ville est là, la culture personnelle avide de retrouver ses repères dans ce décor réel. Le ferryboat est à quai, le successeur du valeureux Escartefigue a du en entendre des « coquins de sort », Marseille, méridionale et exubérante à l’excès, mais, peut-on le reprocher ? Certainement pas de ma part, mon sang sudiste coule bien plus fort dans mes veines, mon gout du terroir trouve ici une légitimité passionnée et passionnante, l’heure est à la découverte, première rencontre, avec déjà une très forte envie d’y revenir de façon plus intime et moins rapide.

Au-delà des souvenirs d’enfance, à la recherche du Garlaban, d’Aubagne et des villages perchés où résonnent dans de vieilles pierres, les accents du papet, les pleurs d’Ugolin, les pas de Regain, les parfums d’œillets, l’imagination fertile vagabonde, le regard cherche ce qui pourra le raccrocher à un déjà lu. Une autre fois, revenir, visiter, marcher, découvrir. Une autre fois sans la conduite du groupe, ce joyeux troupeau dont nous sommes tour à tour les berges, aidant la brebis fatiguée à gravir le sentier, la délestant de sons sac pour quelques mètres, rassurant les presque fatigués, taquinant les fiers marcheurs, se régalant aussi, il faut bien le dire, de former les successeurs, aux joies de la lecture de carte, aux maniements de la rondelle d’azimut, l’aiguille du nord bien rangée dans sa cabane. Quatre jours de convivialité, quatre jours de chaleurs presque étouffantes, quatre jours d’échappées dans cette belle Provence. Promis, j’y retournerai !

Retour sur images

Gentianes printanières de sortie....






Quelques images prises lors de la randonnée du 8 mai, au Cagire.....
Les pieds au sol, la tête bien au delà des nuages.....

Un de ces instants magiques qui nous montre chaque fois que la vie est belle....

Vouloir, c'est pouvoir

Retour à l’écriture, non qu’elle fut oubliée mais plutôt que le temps dévoreur de temps a fini par faire disparaître le créneau dédié à ce plaisir-là, car comme à l’accoutumé, les premiers espaces qui disparaissent de notre espace temps, sont les espaces de détentes, du moins pour certains, car la détente reste nécessaire pour maintenir la machine physique et psychique en état de fonctionner. Un pause, une page vide à noircir et voici quelques mots qui s’alignent déjà, la ronde des lettres reprend sa course, les idées fourmillent et défilent devant le neurone sélectionneur, agitant le bocal des idées connexes. Ecrire. Plaisir de toujours, sans être devenu passion dévorante, l’exercice est souvent limité à la page, à quelques idées, à quelques sens ou non-sens, exercice loin d’être contrainte, exercice personnel pour mélange personnel, des mots et des sens cueillis à la palette de la vie, un brin d’humour avec des pointes de double-sens parfois, des jongleries de mots, des textes, mot très prétentieux qui sont pourtant sans prétention, garanti authentique. J’ai parfois laissé la plume évacuer l’amertume, rarement le fiel, de toutes façons ces écrits là dorment ailleurs, dans des cahiers serrés ou dans les cendres tirées du foyer de la cheminée purgative. J’ai parfois laissé des morceaux d’histoires personnelles voire même très personnelles, avec des émotions et des accents dedans, car ici, tout ce dit « avé l’assent », mots embués car très personnels et intimes. J’ai écrit bien plus qu’ici, car de tout temps j’ai écrit en fait. Récemment, des cahiers aux pages jaunies, à l’écriture maladroite et vibrante, m’ont fait sourire de ces naïvetés d’enfant, des proses et des vers aux idées maladroitement alignées, des mots déjà lus parce qu’écrits, des yeux humides de se relire lorsque le costume d’enfant à laissé place au costume d’adulte.

Période d’enfance, belle et insouciante, surtout lorsque nous la regardons avec nos yeux d’adultes devenus, les soucis actuels gommant de la mémoire les soucis d’hier, la gomme tendre et efficace qui arrive à plus ou moins longue échéance à ranger au rayon du passé la passé pour ne garder à l’esprit qu’avenir et présent. Subtil équilibre des trois temps. Le passé est passé mais il n’est pas mort pour rien. Il a distillé des petits bouts de choses qu’on nome expériences dans les temps suivant, avant de s’effacer et de s’enfermer à double tour dans l’armoire des souvenirs. Le futur, beau et brillant, attire comme un joujou tout neuf, dont on ne sait rien, si ce n’est qu’on place ne lui beaucoup d’espoir, renforçant l’attrait et le désir de déjà le posséder. Le présent est cette période qui fait le lien entre les deux autres. Drôle de temps que le temps présent. Qu’on le laisse filer et il devient passé, qu’on le cultive avec soin et il naitra futur. Le présent est un cadeau et sa géométrie variable n’est jamais que sous notre contrôle. On peut faire comme si on ne le voyait pas, le laisser là, il dépérira sous nos yeux aveugles pour se fondre en passé, ce passé simple des choses oubliées. On peut se précipiter, le déballer, le capturer, l’étudier et le comprendre, essayer d’en saisir le sens, le saisir et en faire bien vite un passé comme un futur, affaire de goûts, affaire de ressentis, affaire de choix et de vies, de choix de vies. Et la ronde des temps poursuit son chemin, un à un les temps glissent d’un temps vers l’autre, le présent vers le passé, le passé vers les oubliettes, le présent aspirant le futur, le futur se changeant en présent, rien n’est mécanique, tout est magnifique dès lors qu’on sait observer le temps. Magnifique, dans l’enchainement des temps et la mise en place des périodes, pas nécessairement dans le contenu mais sans que cela soit nécessairement exclu, car la vie est ainsi faite, de belles et bonnes choses comme de mauvaises, avec qui plus est cette perception délicate et changeante suivant le vécu et l’émotion de chacun. Un jour présent et le lendemain devenu hier. Hier souriant et aujourd’hui riant, il pleut un jour, il fait bleu le lendemain, à quoi sert de vouloir tout lier tout le temps, à quoi sert de vouloir tout sertir sur un même ruban ? On ne serre pas les périodes de temps et de vies, comme on glisse les perles d’un collier sur le même fil. Un perle déplait et c’est tout le collier qu’il faut alors briser. Pourtant, l’éclat d’une perle se trouve renforcer par le choix de ses voisines, interactions voulues et non subies, nos vies sont limite pareilles, bien qu’il soit des choix voulus et d’autres imposés, c’est à nous de savoir ôter de nos mémoires les perles imparfaites qui en brisent l’harmonie.
Il n’y a point de leçons, point de conseils, simplement savoir qu’aujourd’hui est plus essentiel qu’hier, et bien moins que demain. Se focaliser sur demain pousse par manque d’espace le présent vers le passé, sans avoir pris la peine de l’ouvrir. Ne vivre que le présent peut-être dévoreur de futur. Fragile équilibre qu’ont ne sait équilibrer que si on est équilibré et si on fait le choix de l’équilibre. Dieu merci, chacun est maitre de sa vie et de son destin ! D’ailleurs, le destin ne s’écrit qu’en avançant, il n’est jamais écrit d’avance. Ici, pas de prompteur, juste une feuille blanche et de quoi la noircir. Ici c’est le présent, la plume empreinte d’hier et narratrice de futur et de présent. Valse à trois temps, valse de nos vies, c’est ainsi que nous écrivons nos vies, c’est aussi dans cette trilogie aux membres indissociables que j’écris ici. Des mots et des idées d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sans que ce soient jamais les mêmes ni les mêmes alignements, car si la vie enchaine les temps de la valse, elle y introduit aussi des nouveaux pas qu’y nous font progresser. A condition de le vouloir. Toujours. Vouloir, c’est pouvoir. Non ?

Les joies des ponts

Encore un week-end prolongé, encore une randonnée d’effectuée, les semaines se suivent mais ne se ressemblent pas tant que cela. Si le rythme est le même, les parcours sont différents, d’ailleurs, à quoi servirait de reproduire les mêmes choses ? L’intérêt nait des différences, même s’il faut des points communs pour amorcer les événements. La météo maussade engendrant le doute, la neige en abondance de cet hiver à la longueur démesurée nous ont fait douter, pauvres organisateurs de balades, au point de penser aller se dégourdir les chaussures dans ce merveilleux terrain de jeu qu’est l’Alaric, surtout en cette période où la flore abonde, rajoutant de l’attrait à ces paysages sachant harmonieusement mêler minéral et végétal, roches sculptées par les éléments et maquis odorant et surprenant. Un bon coup de chaleur, une vision idéaliste d’un régional de l’étape, surenchérit par un bulletin météorologique annonçant plus de courroux célestes sur nos chers bénitiers, et voilà la décision prise le matin même du départ de s’en aller gravir le Cagire en lieu et place de l’Alaric. Cap au sud donc, plutôt qu’à l’est, sous un ciel de chagrin et ses larmes fines tombant régulièrement sur notre itinéraire. Deux bus, près de soixante dix personnes, revoilà les randonnées hautes en couleurs, avec, comme dans toutes représentations miniature de la société, une palette riche en spécimen des espèces en libre circulation sur la planète. Des visages nouveaux, des personnages nouveaux, rapidement cernés et fortement cernables, des comportements moins compatibles avec les fonctionnements de groupes, à froid, dès le matin, la journée s’annonce plaisante. Aucun goût du défi là-dedans, juste le côté sociologue en phase d’observation qui prend le dessus et s’amuse de ces impressions cueillies à froid dans ce matin gris et humide. Une pause déstructurée sur une aire d’autoroute déshumanisée, et la route se poursuit sur les routes de notre beau département, longeant notre fleuve sacré, gonflant son dos par les pluies et les neiges accumulées, un pont et voilà que la route s’élève au cœur des montagnes, belles Pyrénées aux paysages particuliers et toujours attirants, au point de traverser la couche de nuages qui protègent les vallées des rayons solaires. Encore quelques tours de roues et nous atteignons ce col bien connu des cyclistes comme de nos mollets de randonneurs à pied ou en raquettes, tant nous avons fait depuis ce lieu de balades en tout genre. Col de Mente. 1349m, au soleil ! Arrêt des bus, on chausse, on se regroupe et on marche. Une nouvelle fois à guider le deuxième groupe, du moins à le clore, serre file ou plutôt serre fille dans notre langage du club. Une nouvelle fois formateur, à indiquer aux nouveaux encadrants, l’art délicat de la petite aiguille rouge à faire rentrer dans la maison du nord, histoire d’aller mesurer le cap de tel ou tel sommet, la direction du chemin et l’endroit précis du refuge près duquel nous devons passer.

Chemin faisant, au hasard des distorsions provoquées par le rythme différent des différents marcheurs, la fatigue aidant, les caractères se révèlent, dans des vérités émises, parfois fort personnelles, mais trop peu souvent ayant eu le temps de faire les fameux sept tours dans la bouche avant d’être vociférées. Calme et zenitude, sont les meilleures armes à brandir dans toutes les situations. A la fois bouclier et lame effilée, la violence verbale se perd dans la non atteinte de l’agressivité mais au contraire, se fond dans le buvard épongeant les propos limite fielleux. L’occasion aussi, d’expliquer cela aux nouveaux, savoir-être et savoir-faire, ne pas tomber dans ces pièges-là car on ne s’en sort jamais. Répondre du tact au tact, sans besoin d’élever la voix, la voie s’élevant bien assez comme cela, désamorcer les bombes prêtes à exploser, qui exploseront de toute façon tôt ou tard, mais cela se fera dans l’intimité du personnage, sans dommages collatéraux. Et oui, au fur et à mesure du chemin parcouru, on apprend…. A condition de faire le chemin et de vouloir apprendre à en gérer les embuches, ce qui est encore une autre randonnée bien plus complexe et enrichissante de la vie. Mais revenons à nos moutons, enfin, à nous randonneurs, dont nous sommes en quelque sorte les bergers, veillant aux choix des parcours, à la longueur des étapes, et au rythme de nos groupes. Heureusement que le soleil brillait pour entretenir le moral des troupes, car la neige n’avait pas tant fondu que cela et nous avons du traverser quelques plaques pour effectuer notre parcours. Après quelques heures d’effort, ponctuées de jolies fleurettes, jonquilles sauvages, gentianes printanières ou autres beautés botaniques, le sommet objectif fut atteint, et le moment de rejoindre notre lieu de ripaille, adossés à la montagne, le regard flottant sur cette mer de nuages immaculés d’ou émergeait le massif du pic du gar et pic saillant, montagnes gravies autrefois du temps de premières randonnées faites avec ce club….. Souvenirs, souvenirs…..
Quelques clichés plus tard, un petit exercice de descente de névé à la profondeur variable et à la consistance lourde d’une neige fondante est venu tester nos mollets déjà alourdis par les mètres gravis, puis retour sur la piste, interminable, une dernière montée, et enfin le col, les bus, les autres chaussures et l’abreuvoir à acide lactique aux douces saveurs de houblon…. En voiture ! Ou plutôt en bus, direction la maison et le programme de la soirée avant celui du week-end, mais ça, c’est encore une autre histoire….

Une autre histoire

Ça fait déjà quelques années que je connais Pierre. Pierre ? Oui, oui, c’est bien Pierre qu’il s’appelle… Ou bien Jean-Pierre ? Ah oui ! C’est ça ! Jean-Pierre. En tout cas, Jean-Pierre était marié depuis de longues années lorsque je l’ai rencontré. C’est un sacré personnage en tout cas ce Jean-Paul. Jean-Paul ? Hum, non, des Jean-Paul, j’en ai connu, plusieurs même, et même un champion du monde, mais lui, non, ce n’est pas Jean-Paul, c’est bien Jean-Pierre. Ce Jean-Pierre donc habitait en banlieue un petit pavillon, près de la gare, d’allure assez cossue au point qu’entre nous, nous l’appelions le château d’Henri. Henri ! Ça y est, ça me revient, il s’appelait Henri ce fameux Jean-Pierre, à moins que ça ne soit l’inverse ? Mais non, le château d’Henri tout de même, c’est aussi célèbre que le bar à Tain, du moins dans ma mémoire. Donc Henri habitait en banlieue avec son épouse, ce charmant pavillon que nous appelions familièrement entre nous, le château d’Henri. Je m’y rendais assez fréquemment, souvent en train d’ailleurs, car les trains ont la politesse de passer en gare de banlieue comme en gare de ville et même que certains se donnaient la peine de s’arrêter en celle toute proche du domicile de mes amis. J’allais donc à pied jusqu’au château du roi René…. René ! Ça y est, je le tiens ! Le bougre a failli perdre son prénom dans l’histoire…. Oh, ce n’était pas un mauvais bougre, non, bien au contraire, un de ces personnages de banlieue, à la gouaille épaisse, au verbe haut et à l’épouse inconstante, vivant en sa demeure comme roi en son château. D’ailleurs, il aimait bien rappeler à la cour de ses visiteurs, qu’il était de bon ton d’être réunis autour du roi Louis. Louis ! Ah oui, voilà, Louis c’est bien lui, ou, lui c’est Louis. Je me rappelle très bien désormais, le modeste escalier aux lions de pierre montant la garde, les pots de fleurs aux rameaux desséchés et tombant depuis le décès de son épouse… Ah oui, c’est vrai, son épouse avait poussé l’inconstance jusqu’à partir dans une nuit noire sans lune, d’une pneumonie. Pauvre homme au chagrin inconsolable, Louis nous avait réunis, ses quelques amis, pour traverser avec lui cette douloureuse période de la séparation des corps, mais aussi de quelques affaires et mobiliers. Louis en effet, profita de cette liberté trouvée pour mettre à profit des velléités tant étouffées par le courroux maternel. Sa vieille mère n’étant plus de ce monde, du moins dans une phase active, il comptait bien se débarrasser de tous ces objets entassés, ses rideaux, ses brocards, toutes ces breloques étouffantes qui tapissaient les murs jusqu’au grenier. Ah oui ! Louis n’était point marié, mais vivait avec sa mère. Nous étions trois à l’entourer de notre mieux. Il y avait Albert, un charmant monsieur, manquant un peu de conversation, non par les idées, mais par l’écoute dont il ne disposait plus, faute à un fort durcissement de l’oreille. Un homme d’un autre temps, dans un monde surréaliste, venu presque à l’improviste, il s’associa au chagrin de Louis et ne pu se résigner à en partir. Marthe était notre quatrième car, tels les trois mousquetaires, nous étions quatre. Marthe était la voisine de la maman de Louis. Une femme d’un certain âge, ou d’un âge certain, éprise de son veuvage au point de rester vieille fille après un court passé de jeune fille… On aurait même pu dire, jeune fille au pair, vu qu’elle habitait au numéro deux de la rue de la gare. Elle connaissait Louis depuis toujours, au point de le surnommer familièrement Théo, ne goutant que fort peu au prénom de Théophraste. Théophraste ? Mais oui, ce brave Théophraste ! Et moi qui l’appelait Louis ! Décidément, ma mémoire me joue des tours, pourtant je me souviens très bien de l’histoire, des lieux et des personnages, surtout de cette mémorable journée ou feu sa mère quitta le foyer. Je me souviens de ces impossibles discussions qui nous auraient tenues en éveil si l’un n’était sourd et l’autre trop occupée à pleurer pendant que Théophraste décrochait les ornements et empilait la vaisselle sur les marches du perron. Il est des fois tout de même, où on se demande ce qu’on vient faire en banlieue, dans des villes qu’on ne connaît pas et chez des gens qui changent sans arrêt de prénoms au point d’y perdre l’auditoire. Même une mère n’y retrouverait pas ses petits, quand bien même il fut fils unique ! Avouez tout de même, que voilà une drôle d’histoire ! Sacré Roland ! Mais oui, c’est ça, c’est bien Roland ! Roland… tiens, je me demande s’il n’avait pas une sœur…. Rue de la gare dites-vous ? Oui oui oui, cela me dit quelque chose, une jolie jeune fille que j’ai bien connue…. Je me demande si elle avait un frère d’ailleurs ? Enfin, tout ça c’est une autre histoire…..

Murir n'est pas mourir

Mon corps et moi avons vieilli ensemble, mais lui, plus vite que moi. Moi, j’ai vieilli bien plus tard, d’ailleurs en langage humain, on ne dit pas vieillir mais murir. Il y a des raccourcis qu’on aime à ne pas prendre, comme celui qui soudain vous transporte de l’immortalité vers la mortalité par exemple. Ce passage délicat où l’on réalise soudain que notre fin est programmée, qu’il convient d’en mesurer les conséquences et d’en tirer les bilans. Comme il est étrange de parler de bilan ! Tout arrive un jour, anodine piqûre de rappel, petites fioles aux reflets rubis qui s’en vont jouer aux transformations, passer de l’était liquide à l’état solide et pourtant impalpable de chiffres codifiés bien rangés en ordre pas si dispersé sur des feuilles vertes. Analyse automatique d’un morceau de vie pour en traduire la suite. Loin des oracles du passé lisant dans les entrailles des poulets comme dans le sang de jeunes vierges les clés d’un futur, quelques gouttes de ce liquide coulant dans nos veines suffisent à traduire l’état actuel et en déduire un devenir. Quel devenir ? Et bien voilà, l'homme de la faculté a parlé, de sa voix rassurante et tranquille, résultats de ses vérifications toutes aussi tranquilles, de la lecture de ces chiffres alignés sur un bout de papier, des nombres sans conséquences qui sont pourtant de conséquence, traces de résidus d'un dérèglement non point climatique, mais presque automatique. Prise de conscience. Une de plus. Je n’ai pas peur de mourir, pas plus que de vieillir, pas plus que de grandir, ni de vivre. Aucun souci même si l’insouciance des jeunes années ou tout semble offert ou acquis pour de très longues années est quelque peu écornée. Les exemples autour montrent qu’à tout moment, tout peut s’arrêter. Soit ! Mais ce n’est pas raison suffisante pour s’arrêter et attendre l’arrêt. Simplement, l’occasion de réaliser combien aujourd’hui est beau, de ne pas reporter à demain les belles choses à faire dès aujourd’hui, de pas s’encombrer d’un passé sur lequel nous n’avons plus de prise, de le laisser s’enfoncer et disparaître dans les méandres de l’oubli, sans lui laisser de prise sur nous. Vivre aujourd’hui, c’est construire aussi demain, projection vers l’avant, parcours enrichissant si l’on sait tirer de chaque jour les bontés accordées, qu’elles soient ou non déguisées en adversité. Certains ont peur de vieillir. Ce n’est pas mon cas, loin de là. Avoir peur de vieillir c’est projeter sa vie actuelle dans demain, avec au mieux comme progression, la stabilité désolante qui traduit quasiment la régression. Pour qui sait évoluer au présent, il n’y a pas de place pour la peur du futur, ni même pour de futures peurs. D’ailleurs, pourquoi avoir peur ? De quoi avoir peur si ce n’est de nos propres peurs ? Aujourd’hui, bien plus qu’hier, je vis et respire. Aujourd’hui, bien moins que demain, je vis et je profite de la vie. Je me fous du parcours accompli, ce qui compte c’est ce jour, et après ce jour, viendra demain, ce demain qui sera un autre jour. Des alertes ? Oui, il y a. Et bien, ce ne sont là que des alertes, des petits voyants qui clignotent et vous disent si vous êtes un peu trop ici plutôt que là, un peu trop là plutôt qu’ici. Et si demain tout s’arrêtait ? Et bien, ça s’arrêtera et puis c’est tout. Je serai déjà satisfait du chemin fait jusque là, des étapes franchies, digérées et muries, et surtout, d’avoir connu les lendemains de ces étapes-là. Y être resté aurait été mortel et décevant. Parcours non sans faute, parcours initiatique sur bien des plans et des errements, peuplé de rencontres, belles, toujours très belles, toujours enrichissantes, toujours plaisantes, de belles amitiés sont nées, des fortes complicités aussi, c’est toujours assez amusant de voir évoluer les relations….

Et non, il ne fume pas, il ne boit pas, aucune chimie ne vient provoquer l’euphorie et empêcher les sentiments d’être réellement ressentis. Cent pour cent pur jus, résultat de la longue traversée des années, en s’enrichissant au passage des cette matière offerte, ces échanges, ces partages, analyses et enseignements, toujours. Sourire aux lèvres, la coupe pleine de belle énergie, merci la vie ! Avoir la pêche, afficher la banane, garder la patate, ne pas tomber dans les pommes, et savoir qu’on ne compte jamais pour des prunes, joli mélange nécessaire à la vie. A quoi bon rajouter des substances moins naturelles dans pareil régime ? Le soleil est là, dedans comme dehors, ça bouge, toujours dans le bon sens, et bientôt nous verrons cela encore mieux…. Maturité. Oui. Murir n’est pas mourir, n’en déplaise aux grincheux. De même que la maturité n’engendre pas la tristesse, loin de là, où alors, il s’agit de cas désespéré ce qui existe, hélas, dans notre chère société…. Un sourire offert à plus de chance d’avoir réponse que figure allongée, mais il est encore bien plus riche et bien plus rayonnant lorsqu’il prend ses racines au fond de l’âme, bien chevillé au corps. Souriez à la vie, elle en vaut vraiment la peine !

1er mai

1er mai, jour de défilé, grand jour de marche ou jour de grande marche, c’est selon, mais ce fut jour de randonnée surtout, retour aux sources après un bail d’absence pour des causes diverses, des causes perdues, des causes oubliées. Retour au monde de la randonnée, aux belles virées salutaires, aux bonnes ambiances retrouvées, camaraderies, détentes, instants de vies, mélange de toutes ces choses qui font nos différences et qui subtilement assemblées, font notre union. Des sourires, des bons mots, des visages amis retrouvés, des visages nouveaux un peu perdus dans ces liens semblant être tissés si fort qu’ils ne laisseraient pas la place à intégration, mais très vite, le temps de se mettre en ordre de marche, les groupes sont formés, les discussions plus participatives et plus ouvertes à l’autre, cet autre qui fait peur et à peur de ces groupes institués. Nous partîmes non pas cinq cent, mais soixante, ce qui est déjà pas mal, sous un ciel en chagrin pleurant ses larmes sur la ville et notre route, jusqu’à un point stratégique, sorte de frontière climatique qui bloque les nuages de pluie issus des contrées océaniques ou pyrénéennes comme en d’autre temps, certaines frontières ont su bloquer les nuages radioactifs, sauf que là, ça a plutôt bien marché. Ciel dégagé, de plus en plus bleu, temps sec, voilà l’idéal pour randonner. Certes, l’eau est tombée, ici comme ailleurs, les cours d’eaux ont grossi, débordés de leurs lits, rendant certains passages à gué plus gais. Pour qui connaît ces coins-là du Lot en période estivale, tout craquelés de chaleur, où l’on cherche les chemins serpentant sous la bienveillante ombre des ramures vertes foncées des chênes, venir randonner ici en ce premier jour de mai, sur ces terrains gorgés d’eau, ruisselant encore des pluies anciennes, le paysage éclairé par le vert tendre des feuilles juvéniles donnent l’impression de ne pas connaître, de ne pas reconnaître les lieux…. Terre méconnue que ce Quercy, dont on ne retient trop souvent comme images, ce causse desséché, ces herbes jaunies de soif, ces graviers ocre pale, que traverse la célèbre route nationale vingt, avant d’atteindre les paysages plus verdoyant, et pour cause, de la Corrèze. J’y ai des souvenirs, familiaux, heureux, des bonheurs, des joies, et même encore, un sacré plaisir à y revenir tant dans ma mémoire d’enfant, les distances et les temps de parcours semblaient placer ces lieux de vacances ou de week-ends en des endroits dignes des romans de Jules Vernes. Aujourd’hui, l’autoroute nous y conduit en un peu moins d’une heure, mais la magie ancrée dans les limbes de l’enfance opère toujours. Se retrouver ici, en ces terres cadurciennes pour démarrer la saison des randos n’est que bonheur. Nouvelle saison, nouveau rôle, place aux nouveautés, le cœur léger, l’envie de vivre chevillée au corps, l’envie de plaisirs, de ces plaisirs simples, ressentis, échangés, reçus comme autant de rayons de soleil, renforçant le bonheur de vivre.

Un charmant village accroché à une boucle du Lot nous sert de point de départ de notre parcours. Quelques pas plus haut, la végétation s’épaissit, masque le chemin, nous conduit dans ce dédale de vert et d’eau vers des lieux où le plaisir des yeux va bon train. L’occasion aussi, de former aux mystères de la cartographie, les nouveaux membres venus renforcer l’équipe des encadrants. D’un seul coup, le poids des années d’expérience se révèlent dans la mission formatrice, et, les éclats de rire n’ont pas à se forcer pour jaillir et rejaillir dans tout le groupe, curieux de nous voir sans cesse la carte et la boussole à la main alors que le chemin en cet endroit-là est des plus évident. C’est toujours chose émouvante de former quelqu’un à des techniques qui nous semblent à peine maitrisées et si connues de beaucoup. Pourtant, au travers des questions, on réalise bien vite combien le sujet semble abstrait pour celui qui découvre. Les ruisseaux chantonnent gaiement, le parcours s’élève gentiment, quand soudain, nous voilà à pénétrer une forêt magique digne de décor de cinéma fantastique. Les arbres entremêlés sont tous recouverts de longs cheveux verts, donnant un aspect étouffé et étouffant à ce tunnel de verdure que nous traversons en nous attendant à voir débarquer quelques trolles ou autres lutins facétieux. Voilà qui rajoute à notre comique ambiant, détend l’atmosphère déjà fort détendue et place là les bases d’une très belle journée. Le soleil de son côté ayant bien fait les choses, c’est sur une pente bien sèche que nous nous sommes installés pour prendre notre repas, ainsi que toutes ces choses succulentes qui circulent de personne en personne, dans des versions solides ou liquides, toujours faites maison, expressions culinaires et alambiques à des divers degrés des facultés de chacun. D’ailleurs, en parlant de la faculté, mieux vaut être à jour de ses analyses avant ces vrais moments de convivialité. Allez, un bonbon à la menthe forte qui arrache, et sac à dos à dos, revoilà la joyeuse transhumance de ces impénitents pèlerins à la découverte de nos belles régions.

Ici le relief est bien utilisé par l’homme, les bois s’irriguent aux rives des ruisseaux, les vignes succèdent aux bois et peuplent bien sagement alignées, les sommets des collines, comme quelques cheveux bien peignés essayant de masquer une calvitie plus que naissante. Pays de vin, pays de vignoble, pays civilisé comme toutes ces terres où poussent le raisin. Le raisin et la raison, voilà bien la justesse des hommes, tout l’art vinicole dans la réalisation viticole, la production du nectar nécessite à la fois raisins et raisons, subtils mélanges, assemblages plutôt, résultats d’expériences acquises puis inculquées. Il est bien loin le temps des piquettes et autres breuvages résultant d’alcoolisation de mauvais jus, l’heure est au raisonnement, à l’agriculture, à la viticulture raisonnée, au délicat élevage des jus en phase de fermentation, à leur surveillance pour, le moment opportun venu, définir l’assemblage des qualités de chacun pour constituer l’union parfaite. Tel un sélectionneur étudiant poste à poste, la forme, le jeu, les caractéristiques de chacun de ses joueurs pour réaliser l’équipe parfaite, celle qui mènera à la victoire et au titre. Comprendre ce long et délicat travail qui constitue le trait d’union entre le verre de vin offert au palais et le cep noueux dont les racines s’ancrent bien profondément dans ces sols caillouteux, aident à avoir une autre vision de ce qui pourrait passer pour une étendue monotone de pieds bien alignés au-dessous d’échelas tendus et encore désertés. La vigne, l’homme, la civilisation. Trilogie dictant les paysages, éléments devenus repères naturels du défilé des saisons, calendrier païen qui ponctue le monde. Attirance. Plus pour le labeur viticole que pour ses résultats, même si j’aime à en goûter le produit. Travail de longue haleine, au cours des saisons, on taille, on travaille, on tresse les pampilles, on redoute la grêle, l’absence de pluie, le trop de pluie, les rayons trop chaud du soleil, la floraison du Lys qui démarre le compte des cents. Et le compte descend, de jour en jour, de cent vers un ce un qui marque le jour où l’heure est venue de lancer les campagnes, à l’assaut des campagnes, les hottes sur le dos, les sécateurs au poing, cueillir les grappes, rondes, juteuses à souhait, celles qui s’entassent à coup de hottes dans le tombereau, à coup de tombereaux dans la cuve où la vis sans fin dirige et presse la noble marchandise vers le pressoir. Sans fin la séparation des corps opère : rafles dénudées d’un côté, grains écrasés de l’autre, expulsant ce jus gorgé de miel qui s’en ira fermenter en cuve sous haute surveillance. Les rafles déchues rejoindront le purgatoire de la distillation. Sous le feu divin, elles exhaleront des nuées d’alcool que l’alambic refroidira bien vite pour les condenser et les faire couler en jus clair, transparent, incolore mais pas inodore, capable d’aller brûler encore des lèvres et des langues assoiffées. De la coupe aux lèvres, il n’y a qu’un pas, certes, mais avant de remplir la coupe, combien de pas contiennent donc ces fioles de soixante quinze centilitres ? Travail des hommes et communion forcée avec dame nature, aujourd’hui nous longeons ces vignobles étalés sur les croupes ensoleillées. Les premières feuilles sortent le long des rameaux taillés. Taille bien vite identifiée, un brin court, un brin long, c’est ainsi ici qu’on taille ses vignes.
Derniers ressauts du paysage, le chemin plonge vers le fleuve boueux charriant des troncs de bois arrachés de-ci, de là. En bas, tout en bas, notre bus, au pied du village. Sur la plage, des boulistes jouent, nos camarades au pas plus pressé, sont déjà attablés à la terrasse du bistrot, se délectant de quelques houblonneries qui par un aspect quasi médicinal bien connu des randonneurs, vont venir drainer le vilain acide lactique, causeur de méchantes crampes. Encore quelques mètres, encore quelques pas, nous y seront nous aussi, au terme de cette bien belle balade.