Avez-vous
déjà testé la conduite d’une ancienne ? Ancienne voiture s’entend, bien
sûr et d’ailleurs, pas la peine d’en chercher une de cent ans non plus !
Une automobile, n’allons pas jusqu’aux voitures hippomobiles, mais prenons le
temps de découvrir les ancêtres de ces boites aseptisées qui contrôlent vos
faits et gestes, les analysent, les corrigent l’air de rien, rendant au fond
votre voyage fort insipide et finalement bien plus long. Tout d’abord,
s’approcher lentement de la belle, regarder la lumière jouer sur ces courbes
terriblement sensuelles, une sculpture née de la main de l’homme, une élégance
où chaque pli et repli de tôle vous montre bien qu’en ces temps-là nous étions
bien loin de la simplification des tâches et de la robotisation. Faites le tour,
observer chaque facette de ce joyau, la calandre dispendieuse de chrome, ses
lignes hésitantes entre plonger tout droit ou s’adoucir en courbes, ce capot
jouant lui aussi des droites et des arrondis, écrin du cœur de la belle.
Quelques pas sur le côté, c’est une aile qui plonge vers le sol en glissant sur
un invisible toboggan, ronde, pleine, elle force le respect et traduit une
solidité dont les tôles devraient se méfier, et puis, tout au bord, une porte à
la fragile poignée délicatement blottie à la limite du métal et du verre. Une
seule envie, la saisir, la faire jouer entre nos doigts et découvrir d’autres
plaisirs…. Non, pas tout de suite, pas trop vite comme aurait chanterait
Juliette Greco… Poursuivez votre tour, la porte arrière joue les symétries avec
sa consœur avant, ses vitres tellement claire et anachronique de pâleur dans
notre époque où tout se cache, dévoilent un vrai canapé surement emprunté au
salon. Voilà qui fait réfléchir…. Vaut-il mieux s’installer ici plutôt qu’à
l’avant ? Plus tard, plus tard… Poursuivons le tour. La poupe prend tout
son sens ici : les duces courbes se rejoignent et s’unissent dans une
croupe charmante, la lunette étroite renforçant le côté cosy du salon aperçu
tout à l’heure… Des feux minuscules, une plaque immense, un fin tube
d’échappement, décidément, les codes stylistiques ont bien changé !
Emotion.
Le moment est venu de s’approcher de la bête. La main hésitante sur la frêle
poignée, cette force à exercer pour la faire céder, ce lourd ensemble d’acier
et de verre qui pivote selon un sens inhabituel puis ses doux effluves qui
traduisent l’habitat ancien, l’odeur si caractéristique de ces vieilles
automobiles. C’est une formule unique, chaque modèle a la sienne, un mélange de
crin, de laine, de coton, d’huile, d’essence, de gaz d’échappement, de
surchauffe de bakélite, d’arc électriques sur des contacts usés et patinés par
le temps et les usages…. Lentement s’asseoir. S’asseoir à l’envers de notre
temps, la faute à cette porte qui s’ouvre à l’envers de nos portes actuelles.
S’asseoir et voir ce grand cercle immense devant soi, les grands volants
étaient une invention bien moins couteuse et bien plus simple qu’un moteur de
direction assistée… Autre surprise, le pare-brise habite ici à portée de main,
et mieux, il s’ouvre par en bas, laissant entrer un filet d’air et de parfums
de routes en guise de chasse buée.
Derrière le cercle, un grand compteur carré, simple traduction électrique et
mécanique de ce qui se passe dehors. Quelques drôles de tirettes et autres boutons
rotatifs et c’est tout… Les pieds caressent l’épaisse moquette, ils cherchent
un peu à s’y retrouver, il faut dire qu’ils ont perdu les pédales… Justement,
les pédales sont là, mais plus haut, va falloir ne pas être mou du genou et
trouver ses marques. Voilà, là, on pose, on teste, la dureté des freins, celle
de l’embrayage, l’accélérateur sera pour plus tard, inutile de noyer le moteur
avant… Avant ? Oui, le moment est venu, l’après de cet « avant »
les fesses bien calés dans le moelleux de ces sièges d’antan….
Contact.
Tirette « D » comme « démarrer » ou « démarreur »,
bref, une action suivie d’une réaction, un bruit inhabituel suivi d’un moteur
qui tousse et enfin s’ébroue. On relâche la tirette, le cœur palpitant et
l’oreille attentive, le moteur oscille entre deux régimes avant de se
stabiliser enfin, signe qu’il est arrivé à bonne température et qu’il est temps
de prendre la route. Mollet gauche en action, débrayage, la main hésite à
empoigner ce levier chromé, puis lentement le fait glisser sur sa première
position, un « I » tout seul en haut à droite, un « clong »
manifestant son approbation puis la main est aux pieds, dosage des efforts, le
pied droit s’enfance tandis que le gauche se relève… Elle bouge, l’occasion de
sentir dans les doigts comment tenir se volant, corriger la trajectoire et
rouler… L’allure grimpe, voici venu le temps de changer de vitesse et le rappel
des ans se fait sentir : ici pas de geste brusque, juste bien décomposer
les mouvements comme le ferait un danseur débutant, au fond, nous sommes tous
d’éternels débutants, pas vrai ? Le pied gauche appuie bien fort pour
débrayer, la main droite va chercher ce drôle de levier, puis elle déverrouille
de la première position, elle le conduit au centre poétiquement nommé
« point mort » et de ce centre le conduit lentement mais surement à
la deuxième position en sentant cette fermeté de verrouillage, alors les pieds
recomposent leurs pas de deux, le gauche s’allège, le droit reprend les
commandes puis bientôt ce sera la même opération pour passer de deux en trois,
sans oublier de s’en aller visiter le point mort… Gestes lents et hors d’âge
pour une conduite douce d’une automobile d’un autre âge, d’ailleurs, le
parcours est fini, il n’y a que trois vitesses ! Dans un siècle où l’on en
compte facilement six…. Mais que vois-je, l’aiguille du compteur a grimpé vers
la zone des trois chiffres tandis que la route prend la tangente et disparait
au loin, le moment est venu de tester les freins. D’origine et sans assistance,
le pied et le mollet droit se muscle, les sueurs sont froides mais non, ça
freine et ça freine plutôt bien, juste qu’il faut redescendre une vitesse, le
tout en décomposant bien, puis rejouer sans fin cette nouvelle partition…
Sueurs, effroi, c’est fini, les kilomètres forment l’apprentissage, peu à peu
on conduit différemment, le maitre mot en ancienne c’est
« anticipation ». Il faut anticiper, mais anticiper tout le
temps : virage, freinage, accélération, cela dit, il y a deux aides :
une boite à trois vitesses dont la seconde et la troisième s’accordent
parfaitement au moteur et à la conduite de ce genre de voiture ; l’autre
grand aide, c’est ce moteur aux régimes lents mais au couple suffisant pour ne
pas trop se trainer sur ces belles routes de campagnes. Là, une fois ces
paramètres bien intégrés et maitrisés, on se plait à rêver à des voyages au
long cours pour des visites tellement plus profondes de notre beau pays….
Retour
au garage. Là, il faut ne pas avoir oublier que la première et la marche
arrière ne sont pas synchronisées, et qu’il faut donc impérativement les passer
à l’arrêt, sous peine d’entendre protester les pignons de la boite de vitesse
pourtant située à l’autre bout du long capot. Là encore, un grand volant ne
fait pas tout, il faut de la force pour diriger l’automobile à l’arrêt et
histoire de bien se muscler, le rayon de braquage est lui aussi d’un autre
temps… Contact coupé, la pression retombe, la tête est pleine de délicieuses
images qui vont conduire bien des rêves désormais.
Drôle
de tête au moment de reprendre la « moderne ». L’impression de
n’avoir rien entre les doigts ni sous les pieds, enfin, sauf à voir la tête du
compteur ou le freinage trop fortement dosé… On se surprend à décomposer les vitesses, à
rouler autrement, à anticiper aussi… Comme quoi, conduire une ancienne ferait
peut-être du bien à beaucoup d’excités du volant, pourquoi bouderions-nous
notre plaisir ?