Là-haut

Quelques gouttes de pluie, c’est tout. Pas même de quoi abreuver un brin d’air agonisant et jaunissant, non, au fond, ce fut  beaucoup de bruit pour rien. Le temps est resté lourd, la chaleur moite à peine la terre revêtait cette odeur si caractéristique des jours de pluie mais non, la pluie n’était pas pour aujourd’hui. Drôle d’époque, les saisons semblaient s’être perdues dans leurs décomptes, l’été n’était que sécheresse et même là-haut, la végétation en souffrait. Là-haut, c’est l’expression des gens d’en bas pour désigner ce bout du monde, cette terre pointue se changeant en rocher pour déchirer les cieux d’orages et faire tomber la pluie. Ce sont aussi ces prairies bordées d’immenses sapins dont les racines jouent au milieu des rochers et retiennent la maigre terre nourrissant les herbes et la flore rare. Là-haut, c’est un monde à part, même pour ceux qui y vivent. Vivre ici, c’est respirer un air chargé de mille senteurs, le vent apporte sa carte de visite : s’il embaume une douceur acre et florale, il vient du sud et des longues prairies ponctuées de couleurs ; s’il apporte la térébenthine, il vient de changer de cap et passe par la grande forêt de conifères… Il peut être doux ou colère, il reste le vent, l’allié, celui qui sèche les foins comme les charcuteries, celui qui affine les fromages et claque parfois les volets. Lorsqu’on vit ici, on vit avec les éléments.


Il avait tonné toute la nuit, les éclairs avaient zébré le ciel en combats pluriels, mais d’eau, point il n’y eut. Après tant de jours de feu, cela eut été bien, mais la grâce divine n’a pas choisi ce coin ci pour pleurer. La citerne s’amenuisait, le ruisseau maigrissait, bientôt la question de l’eau deviendrait cruciale tant pour les animaux que pour les hommes. Levé au petit matin, il mit quelques provisions dans une besace puis emportant un vieux fossoir, il se mit en chemin pour remonter le maigre lit du ruisseau et le curer au fur et à mesure de la marche. Geste augure mené par tant de générations, tant de fois il avait accompagné son grand-père et son père sans mesurer comme il le faisait aujourd’hui la nécessité de guider la moindre goutte d’eau vers le bassin de la maison. Les sources sont des fées capricieuses qui parfois s’enfuient aux travers des racines vers d’autres lits, il fallait régulièrement leur montrer la route à suivre pour qu’elles restent fidèles et dévouées. Le matin n’avait rien de frais, la marche en était d’autant plus pénible et le terrain sec glissait en poussière sous les pieds. Le ruisseau parcourait la prairie dans un tunnel de pierres dressées, ouvrage admirable des anciens, seuls quelques trous de temps en temps laissaient entendre la voix claire de l’eau jouant à glisser dans ce boyau redevenu naturel. Voici l’orée de la forêt, la première embûche à combattre, ici, les animaux piétinaient pour boire et défaisaient les pierres qui guidaient l’eau vers son tunnel de guidage. Quelques coups à piocher, quelques pierres à remettre, un peu de terre en soutien et voilà un ruisseau plus fort, tant mieux. S’avançant sous les arbres, il retrouvait un endroit familier, le sentier des hommes et des bêtes longeait le cours d’eau, les arbres majestueux étaient tous des compagnons de jeux, des guides, des repères de tout temps. Là encore, des pierres avachies, des branches ou des aiguilles accumulées venaient faire un barrage que l’eau franchissait en s’éloignant de son lit premier.



Toujours le même combat de l’homme contre la nature, guider l’eau vers les lieux de vies et la source rebelle qui s’en veut visiter d’autres pays… Cela l’avait toujours amusé, et au fond, cette corvée n’en était pas une, c’était juste un jeu, un duel comme il en existe mille dans une cour de récréation, une activité où le ruisseau et l’outil avaient vu passé des générations de paumes de mains, parce que oui, cet outil, tout autant qu’il se souvienne, c’était celui là-même que son grand-père utilisait, d’ailleurs ce manche tordu cueilli à même un noisetier donneur, c’était son grand-père qui l’avait taillé et façonné. La vie transmet de drôle de flambeau, et dans cette course à relais, il était aujourd’hui le porteur, à la fois de l’outil mais surtout de ces traditions et coutumes, bien plus humaines et naturelles qu’un captage de ciment et de plastique. Allez, assez de rêveries, voilà le pied de la cascade, le bassin est limpide et creusé à même la roche, il faut à peine le nettoyer puis gravir la pente pour sûrement redresser les bords du cours d’eau en amont, les derniers travaux, au-dessus l’eau glisse sur la roche par une même pente sans pouvoir s’échapper. Elle y chante cristalline, sous les branches de vieux hêtres, vestiges de l’ancienne forêt, et plus loin un chêne offrait à chaque fois le gite pour le repas, un lieu habituel pour contempler cette nature dont on ne sait s’il est captive du temps ou si elle prend le temps, son temps, notre temps… Le temps, éternel ennemi des gens d’en bas, éternel associé des gens d’ici. Ce coin de terre où les montres dorment au tiroir des buffets, la vie ici se rythme aux éclats du soleil ponctués de coups de cloche venus de la vallée. Le temps de manger un morceau, de goûter l’eau fraiche aux goûts de fer et de nature, le temps peut-être de rêver et de sommeiller, puis rentrer vers la maison et entendre l’abreuvoir chanter plus fort que ce matin. En attendant l’orage, le vrai…                        


Fruits

Fruits amis sucrés de nos vies
Rouges, jaunes, noirs ou violets
Uniques, savoureux et exquis
Issus de notre familial verger
Trésors de mille et un goûters
Sans vous, que seraient nos vies ? 


Horizon

Le soleil au loin éteint ses flammes
Par un de ces jours d’été sans charme
Où le sable brûlant exhale son iode
Et l’océan déroule ses vagues en période

Ni hier, ni demain, aujourd’hui s’éteint
Et la plage redevient un désert aquitain
Où les pas dessinent d’étranges signes
Au gré des marées et vagues malignes  

Une longue promenade le long de la grève
Un moment hors du temps, une trêve
Une pause, un répit, lecture de l’esprit
S’envoler vers des ailleurs et vivre ici

Quatre pas qui s’éloignent peu à peu
Ils hument l’instant, cet instant fiévreux
Ils sourient et respirent ce même air
Ils puisent à cette source balnéaire

Plus tard, plus tôt, ils seront union
Jouant, jouissant à l’unisson
Plus tôt, plus tard ils seront amants
Oubliant hier et demain inconsciemment   

Un jour, une heure, un instant
Ici ou là, s’arrêter hors du temps
Vivre pleinement le moment
Sans hésiter, oui, vraiment

Et ce n’est par la grâce divine
Que les corps soudain s’illuminent
Mais par l’heur des doux gestes
Qui chaque jour se manifestent

Faut-il donc être aveugle
Pour de ceci ne rien voir ?
Faut-il donc être sot
Pour cela laisser choir ?



Il fait si beau aujourd'hui....

Une porte qui s’ouvre, un rayon de soleil, une bouffée de chaleur, est-elle réelle ou sensation, comment savoir lorsqu’on sort enfin de l’ombre ? Depuis combien de temps déjà était-il là, depuis combien de temps déjà était-il absent de là-bas, ce dehors aveuglant et inconnu ? Encore quelques pas dans l’ombre, encore quelques pas dans cet univers glauque et froid, encore quelques pas et déjà son cœur s’emballe, il suffoque, il étouffe, la peur, l’envie, l’attente enfin à son terme, tout se mélange, tout explose en lui. N’y aurait-il pas plus d’adrénaline dans l’attente que dans la réalisation ? Vaste sujet dont il n’est plus temps de philosopher, voici le seuil, le soleil brûlant sur la peau trop pâle d’un séjour trop gris, quelques pas en silence, une lourde porte qui se referme, il n’y a plus d’autres échappatoires, le voilà dehors, dehors, au soleil et en vie. Une sortie comme un départ. Paradoxe. Peut-on parler de nouveau départ lorsque celui-ci est le premier ? Un premier dont il espère qu’il soit le dernier, un exemplaire unique d’un moment unique, une course à l’erreur qui se clôt dans la marge rouge et sombre, une fin qu’il espère sans fin, enfin, voilà le bout, le dehors, celui dont on rêve, celui dont on crève d’envie avec mille idées en tête, des courses folles, des bonds de joies, une faim de vivre… Aujourd’hui les jambes sont lourdes, la tête vide et ses larmes peinent à couler. Personne. La place est déserte. Derrière lui un mur trop haut et trop gris, une porte épaisse, sale et grise. Devant il y a la vie, et puis rien. Vide et froid, pas si froid puisque le soleil brille trop fort, froid d’effroi parce que mis devant le fait accompli, être là, vivant, dehors et libre n’est rien sans savoir où l’on va.


Mille fois il a vécu ce jour, mille fois il a imaginé ce jour, mille fois tout s’enchainait bien, drôle de façon d’exprimer la liberté, faut-il donc des chaines pour se sentir libre ? Mille fois il a couru sans jamais s’arrêter et voilà que le jour venu, il trébuche sur ce perron surchauffé, sur ce désert d’humanité, sur ses poches trop vide et son carnet d’adresse vierge. Partir à gauche plutôt qu’à droite, partir droit devant, partir, marcher et voir venir, aller vers l’avenir et ses méandres, voici venu l’heure des choix, voici venu la vie, la vie et ses choix. Libre arbitre. Partir devant, à gauche ou à droite, mais partir. Tant d’années passées entre des murs privant de réalité, occupé à vivre d’autres réalités, des combats, des moments de doutes, des peurs, des sueurs, des coups, des envies d’abandonner, mais surtout tant d’années formatées à se faire formater, à subir, à se faire soumettre, tant d’années à rêver pour en arriver là, dehors, seul et perdu dans la réalité d’un monde sans murs. Le moment de doute s’estompe, la respiration se calme et la chaleur devient une agréable sensation de vie. Partir, partir très loin d’ici, se servir de ces quelques billets pour fuir ce lieu et pourquoi pas regagner sa terre, rejoindre l’autre rive, celle des belles années, ces années d’avant…


Il marche, les pas hésitants laissent désormais place à des pas fermes et décidés, le rythme s’accélère et l’envie d’accélérer encore grandit à chaque enjambées. Il marche vite, droit devant lui, puis soudain, amusé, il ralentit, au fond, personne ne l’attend, personne ne le chasse, il est libre, il va comme il veut, il s’offre le plaisir de vivre chaque seconde dans ses moindres sensations, l’air chaud glissant dans ses poumons, le sol souple sous ses pas, les mouvements de son corps, les moindres aspects du paysage, tout est merveilleux. C’est terrible de songer qu’il faille en être privé pour réaliser combien toutes ces petites secondes de bonheurs ne  forment qu’un grand bouquet de fleurs offert telle une ode à la vie. A cette pensée, son corps tressaille et deux gouttes s’en viennent glisser sur ses joues. Vivre, libre, heureux, profiter du premier des jours du reste de sa vie, vivre et toujours avancer, oublier, effacer les lignes passées, regarder devant, apprendre de chaque émotion et s’émouvoir de chaque seconde, s’offrir le luxe inouï d’être là, vivant, apte à marcher et à jouir du temps présent, prêt à vivre cela, une dernière fois.



Il fait si beau aujourd’hui.