Passagers mais passeurs

Isolé, coupé du monde, telle et l’imagerie populaire de la vie sur une ile. Certes, les moyens modernes de communication permettent de relier les deux bouts de la planète (expression bizarre pour une planète ronde, non ?). L’impression de vivre dans un vase clos, vision sans doute déformée de poisson rouge. Vous savez, les petits pois sont rouges. Nous n’avons pas tous les mêmes visions et heureusement. Certains préfèrent les grands espaces même depuis leurs canapés, d’autres ont besoin de la foule, du monde, de l’agitation, c’est ainsi. Non, toutes les iles ne sont pas une butte de sable et un palmier planté au milieu. Tous nos continents sont des iles d’ailleurs, une terre entourée d’eau. Il y a un juste équilibre en l’ilot et le continent. Au-delà de la définition terrestre, c’est celle du territoire et de ses vies communautaires qui importent. Les accès aux essentiels, commerces de bouches, accès aux matériaux, aux matériels, l’écosystème aussi sont des paramètres importants. Les liaisons avec le reste du monde aussi, fussent-elles par les voies terrestres, aériennes ou navigables. Mais une ile avec un pont, cordon ombilical la reliant au continent, n’est plus une ile elle devient presqu’ile, je dirai même ex-ile, ce n’est plus le même exil. La variété des paysages, les endroits un peu plus déserts, les hameaux, les petits villages, sont les charmes d’un territoire. Oublions la surface, la présence de mers autour, la vie est la même que sur la grande terre, peut-être plus riche, plus encline à résister, à forger le caractère, à développer son sens de l’abnégation. Peut-être que devoir dépendre des conditions extérieures, des aléas climatiques construit les iliens. Découvrir les iles, ce n’est pas une promenade de quelques jours au cœur de l’été. Il faut prendre le temps, y vivre plusieurs temps, plusieurs saisons, plusieurs fois pour sentir, ressentir, savoir si on aime ou pas. Trop de passagers découvrant les charmes fleuris et les belles pierres au soleil réchauffées s’imaginent avoir trouver là le paradis où venir s’installer. Déraisonnables et trop rapides décisions qui conduisent à l’échec. Une ile ne se prend pas, elle s’offre, graduellement, lentement, elle ne dévoile ses charmes qu’au fur et à mesure des visites et des retrouvailles. L’oiseau ne construit pas son nid sur la première branche venue. Il faut prendre le temps, donner du temps au temps. Goûter, découvrir, comprendre, apprendre. Nous sommes tous des étrangers de passage sur cette terre, qu’elle soit grande ou plus petite. Nous marchons aussi toujours dans les pas des générations qui nus ont précédé, qui ont façonné ces paysages, construit ces murs, planté ces végétaux. La beauté d’aujourd’hui est le travail des jours anciens. Quel que soit notre territoire, il possède une identité, l’aimer, l’apprécier, c’est aussi la conserver, ne pas la dénaturer mais en comprendre les codes, les clés pour la poursuivre. Nos pays ont leurs architectures, celles qui d’un coup d’œil les identifient. Respectons aussi ces codes, ces clés, préservons cet identitaire, il est le gardien de nos identités. Si tu aimes un endroit, apprends-le, respecte-le, préserve-le. Nous sommes des passagers mais aussi des passeurs. C’est aussi notre devoir. L’ombre de l’arbre nous survivra. Encore faut-il le planter.

Il ou elle, ile ou grande terre, partout ce sont des territoires, des richesses, des natures, des écosystèmes à préserver. Préserver ne veut pas dire geler, mais s’assurer de leur bonne évolution, dans le temps et dans les temps. Puissent nos générations futures apprécier, grâce à cela, ces mêmes territoires. Passagers mais aussi passeurs. Surtout passeurs.

 

Plaisir des sens

 

C’est un havre de paix, un endroit de repli. Là-haut, au bout de l’escalier, une fenêtre ouverte sur la rêverie. Le regard porte au loin, selon les brumes marines, il faut bien le dire. L’eau est un élément essentiel de nos paysages, comment pourrait-on s’en passer ? Plus loin ce sont les terres, la grande terre même. Il y a ici ce côté rassurant d’être isolé sans se sentir complétement isolé. Il y a les bruits de la vie, des vies, qu’elles soient animales, végétales ou simplement humaines. On se plairait à n’entendre que celles de la nature, mais le logis n’est pas un phare en mer. Qu’importe. C’est un lieu de ressources, un endroit de calme, une respiration. L’odeur sucrée des figues trop mûres, les accents vanillées des floraisons dans la rosée matinale, c’est l’éveil des sens. Il faut se poser, respirer, laisser entrer ces informations olfactives, balayer dans le grand dictionnaire neuronal des aromes pour trouver un mot, un nom. La trompe d’un coup du roulier annonce l’arrivée au port des premiers flux. Le ciel est clair, ensoleillé, les sentiers et ruelles verront bientôt piétons et cyclistes les parcourir. C’est encore l’été, l’ile prend un autre visage.

Les coureaux sont calmes, désertés, pas encore de voiliers dans ce secteur. LA brise légère fait frémir les feuilles et ravivent les parfums. Etonnant paysage qui sans cesse se renouvelle dans ses couleurs, ses végétations, ses parfums, ses lumières. Il est impossible d’en capter en une seule fois le sens des ses essences. Un peintre ici à mille toiles devant lui sans même changer de place. Contemplatif, c’est une forme de méditation que le quidam a à portée de ses sens. Sensitif. Sensations, sentiments, comment rester indifférent ? L’astre se lève, plus brillant et plus fier qu’hier. Prendre le temps comme il vient, pluie, vent, soleil sont les composantes de nos vies. C’est pareil ici. Peut-être y est-on plus ouvert, plus sensible ? Chacun trouve ou trouvera sa place, son endroit, tôt ou tard. Ce n’est pas une question de temps, d’envie mais de ressenti. Equilibre des énergies, sensation d’être enfin chez soi. Nous, occidentaux, ne sommes plus enclin à ces ressentis, trop perdus, trop formatés par nos parcours d’être soi-disant civilisés, instruits se croyant supérieur. Pourtant, notre nature humaine n’agit qu’en harmonie avec notre mère nature. Ouvrons nos esprits, apprenons à retrouver les sensations enfouies, vibrons, ressentons, percevons ces éléments qui nous disent : « viens, tu es ici chez toi ». Découvrons le plaisir des sens. Osons.

Je sais où mes cendres descendront

 

 Quel bonheur de retrouver mon territoire préféré. Arriver les mains dans les poches, prendre un bateau sans rien d'autre que soi à gérer, se poser. Enfin. Puis l'envie de marcher. Partir à l'envie plutôt qu'à l'aventure. Un chemin en appelle un autre, je tourne ici plutôt que là, telles sont mes randonnées ici. Respirer, marcher, se poser et contempler. J’ai goûté aux mûres mures tout autant qu’aux silences, autres murmures. Partir par ces sentiers cachés, loin de la foule des touristes, des vélos bruyants et des gens fermés. Désormais on oublie l’humanité et la simplicité d’un bonjour. On roule, on zigzague, on s’approprie tout. Un buisson, un chemin, un autre… Le silence. Enfin le calme et les moments à soi. Respirer, marcher, découvrir d’autres chemins, regarder au loin, être bien, tout simplement. Marcher, c'est aussi vider sa tête, se perdre dans ses pensées. Les trier. Réfléchir. Remettre de l'ordre. Se poser. Respirer. Ce mélange de sel et d'iode, ces odeurs de terre, de roches, d'algues. Les yeux se promènent des vagues d'écume aux rochers découpés, de cette lande reverdie, ces petites fleurs, ces goélands posés avec leurs petits.

 

Qu'il est bon de retrouver son territoire, non pas celui qui vous a vu naitre mais celui où vous voulez finir vos jours et reposer. Je sais désormais où mes cendres descendront. Je connais cet endroit, à l'écart des foules, ce repli de côte où l'océan se bat avec les rochers, où il se fracasse en gerbes d'écumes devenant mille dentelles, où les goélands se posent pour admirer cette force et cette tranquillité. Cet étonnant paradoxe d'un bout de terre perdu dans l'océan, surchargé de monde aux beaux jours retrouvés mais où l'on arrive encore à trouver des havres de paix. Reposer en paix. Dans un monde où le temps semble la denrée la plus précieuse, où nos moyens de communications sont devenus si intrusifs et si exclusifs, qu’il est bon de vivre sans réseau, sans appel, sans rappel de ces futilités du monde. Oublier notre temps pour s’approprier le nôtre, le temps à soi, le temps pour soi. Non ce n’est pas une séance d’une heure, simplement une séance loin des horloges, loin des chronomètres, des agendas trop remplis, des existences abstraites. S’asseoir sur les rochers et écouter les vagues, entendre le cri des oiseaux, sentir le vent nous apporter mille parfums. Mon corps respire, mon cœur se relâche, oui, c’est ici, ici que mes poussières deviendront humides. Peut-être danseront-elles dans les vagues, peut-être iront elles cogner les rocher, peut-être couleront-elles au fond des abimes. En tout cas, elles auront des gerbes d’écumes comme simple floraison, elles se berceront de ces sons uniques, elles retrouveront les chemins de liberté où aujourd’hui je goûte à ma liberté. Liberté d’aller et de venir, de n’être plus prisonnier d’un système en 5G, liberté d’éteindre la machine, d’être là et de respirer.

 

Je sais désormais où mes cendres descendront.