Cri de crise

Notre monde est en crise, en crise d’humanité. Oubliées les belles devises qui firent leurs pas de danses au rythmes des époques et des gouvernances, effaçons bien vite les notions de liberté, d’égalité, de fraternité, de travail d’honneur et de patrie. Non, ce n’est pas la république qui est malade, ce sont les républiques, et non, ce n’est pas la nation mais bel et bien les nations. Tremblement de terre ou révolution, coup d’état ou coup de Trafalgar, le poids d’un vote se compte aussi dans l’expression de la non expression sans compter qu’à trop diviser, les additions ne se font plus, il n’y a plus qu’une organisation non divisée pour en recueillir les lauriers. Comment le quidam peut se retrouver dans ces stratégies électorales ? A l’heure où les idées de regrouper les régions, de faire disparaitre les départements bouillonnent et font bouillonner tout un chacun attaché à son territoire, il suffit pour cela de se rappeler l’épisode des plaques d’immatriculations sans numéro de département, ne voilà-t-il pas qu’on nous découpe le bonnet phrygien en huit parts non égales ni en géographie, ni en nombre de député, ni en mode de pensée ! Le voilà donc le nouveau découpage régional, exit le modèle reprenant les indicatifs téléphoniques servant à regrouper les services administratifs des postes comme es armées, non, là, c’est encore mieux ou bien pire, c’est selon du côté du ruban dont on se place. Là, le ruban est coupé, vive la marinade du peuple métis. Oui, on est en droit de se révolter, mais le bulletin de vote ne fait pas le poids pour cela, pire, il fait croire à une commune pensée qui n’est pas de mise, et le pire du pire, c’est d’avoir vingt-cinq listes pour s’exprimer et de se concentrer sur une seule…


Pourquoi cela ne semble pas cohérent ? Peut-être bien par le grand écart entre discours ou idéologie proposée et diversité voire opposition de comportement du peuple votant à moins que la réponse soit dans le non vote du peuple votant semblant non en phase avec la doctrine émise ? Qu’y-a-il donc de divergeant ? L’individualisme en force, la violence dans toutes les situations, en famille, au boulot, sur la route, dans les loisirs, non, ce n’est pas possible, nous vivons un cauchemar éveillé… Une société pêchant par excès de liberté en viendrait donc à réclamer d’avoir des limites, des bornes à ses frontières, un contour bien dessiné ? Y aurait-il de l’inconscience là-dedans ? A moins que ce ne soit les excès des autres partis qui aient conduit à un report de votes massifs sur le seul autre parti indépendant, la faute aux clones et aux dissidents qui n’ont pas su bâtir une image suffisamment solide pour ne être crédible ? Quoi qu’il en soit, un parti se réclamant du peuple ou de la nation ne peut par définition adhérer à ses homologues des autres peuples et nations sans trahir sa doctrine première. On ne peut clôturer ses frontières avec l’aide des personnes dont on souhaite s’isoler, à moins qu’il n’y ait annexion à la hussarde, un vieux retour de l’empire. D’ailleurs, nos anciens empereurs qu’ils se nomment Charlemagne ou bien Charles Quint, Napoléon Bonaparte ou Jules César n’avait-ils pas tracé en leurs temps les contours d’une Europe à gouverner ? L’Histoire est pleine d’exemples, ni tout à fait liés, ni vraiment étrangers. A chacun d’en comprendre le sens et d’en tirer les leçons, il est des épisodes bien sombres et d’autres pas forcément plus clair dont il faut du temps pour mesurer la portée.


Les élections sont passées, retour à nos vérités. Le poids d’un vote ne devient représentatif que par cumul et addition, il est fort ambitieux de dessiner les tendances sur d’autres modèles politiques, encore plus difficile de vouloir expliquer cela. L’impatience amène parfois à perdre son sang-froid et à se précipiter dans une contre décision, pourtant, la gouvernance d’un état et pire encore d’une communauté d’états est tout aussi difficile que de barrer le Titanic ; Pire, le temps de réaction entre l’ordre et la mise en mouvement de l’ordre est bien plus lente que pour le Titanic, le bateau sur lequel nous sommes est bien plus gros et lent aux manœuvres, fussent-elles politiques, économiques et communautaires. Multiplier les commandants, c’est diviser et faire diverger les ordres, c’est se perdre dans un brouhaha de contradictions. Les plans pour se relever et poursuivre notre beau voyage sont des plans sur vingt ou trente ans, pas sur cinq ans comme pour suivre une pure logique électorale. Certes, nous approchons des mers de glaces mais nous n’avons pas vraiment d’iceberg en vue, raison de plus pour rassembler les forces, y mettre du sien pour maintenir l’agilité du bateau sous peine de devoir vite foncer vers les chaloupes, et là, on n’a pas fini de ramer…..

Tous, ensemble, avec fraternité, d’un même rythme, avec égalité, en route vers la liberté, celle qui commence là où celle de l’autre finit, celle qui se conjugue avec respect, celle d’un monde multicolore où la diversité enrichit plutôt que l’enrichissement divise. Il n’y a d’utopie que ce que l’on juge utopiste, il est par contre des défis nécessitant de relever les manches et d’être acteur et moteur. Voter c’est bien, agir, c’est mieux. Un cri de crise vaut mieux qu’un vert de gris…



       

   

Bonne fête maman

Bonne fête maman ! Aujourd’hui s’en vient avec pour thème la fête des mères, comment pourrait-on l’oublier, les matraquages publicitaires depuis plusieurs jours nous distillent mille parfums et tant d’autres trésors d’électroménager, le mercantile prend le pas sur le thème, que l’on aime ou pas. Il n’est nul besoin de cela pour comprendre le devoir de mémoire que nous devons tous avoir en ce jour, que notre mère soit en vie ou non, parce que, qui nous soyons, nous ne serions pas ici sans notre maman. On peut être né sous ‘x’, on peut s’être fâché pour ‘y’ raison, on peut croire s’être fait tout seul, il n’en n’est rien, nous sommes tous issu d’une mère, qu’on le veuille ou non. Ce jour est un jour tracé au calendrier pour rendre hommage à celle sans qui nous ne serions.  Ce jour n’est pas le seul où nous devrions avoir ce devoir de mémoire mais il a au moins le mérite d’exister. C’est un jour étrange, où les heures dansent dans les années passées, les souvenirs des colliers de pates, les couleurs passées des jolis dessins, les rendez-vous manqués de la vie d’adulte, le temps d’aujourd’hui ou la pierre grise lisse et froide porte à jamais son prénom…

Bonne fête maman, il n’est pas l’heure d’être triste, le plus bel et plus grand hommage qui soit est d’être heureux et souriant aujourd’hui, bien sûr on souhaiterait garder toute sa vie les êtres chers à son cœur près de soi, bien sûr il est des moments dont on ne souhaite jamais voir la fin, mais la vie décide et acte pour nous, sans nous poser la question, sans hésitation, et nous ne subissons pas, on, nous y sommes confrontés et par là nous sommes désormais sur une tout autre voie, celle de grandir et d’avancer, celle de sourire et non de maugréer, parce que le sort est scellé, parce que c’est ainsi. Alors oui, ce jour est un jour différent même s’il porte le même vide, et bien sûr, ces premiers temps sont durs parce que le matraquage publicitaire fait pression sur une cicatrice bien fraiche et pas vraiment solide encore et bien sûr les pensées voyagent, la lourde grille du cimetière résonne du même sinistre bruit et ces quelques fleurs ne sont que quelques éclats de cœur, les plus belles des fleurs que tu préfères j’en suis sûr, c’est celles qui fleurissent aux éclats de rires et de sourires, celles qui grandissent dans la tendresse des moments de vie en famille de cette famille dont tu t’es esquivée, parce qu’il était temps de souffler, parce qu’aux bouts des souffrances n’en déplaisent aux plus grand poètes, il n’y a rien d’autre que la libération de cette vie terrestre.

Bonne fête maman, nous ne sommes pas dans un jour de deuil mais dans un jour de souvenirs comme il en fleurit à peu près trois cent soixante-cinq par an, un jour à part parmi tant de jours à part, après tout, il n’y a pas une mode à suivre nous naissons tous libres, ce n’est que plus tard que le peuple préfère suivre l’exemple des moutons plutôt que de garder son emblème de coq. Le temps passe et la mémoire opère ses tris parmi l’armoire aux souvenirs, c’est étrange aussi de découvrir parmi les survivants de notre monde les phrases dites, les rappels et les visions personnelles enfin partagées. C’est assez amusant aussi de se retrouver aux fourneaux et de comprendre par les gestes la magie des gestes vus autrefois, de comprendre aussi le pourquoi de certaines choses, l’imbécilité aussi de ne pas avoir pris le temps d’apprendre parce qu’en ce temps-là le temps était un concept intemporel qui sonne tellement différent aujourd’hui.



Bonne fête maman, parce qu’il n’est pas d’autres mots à dire, tellement de pensées que tu inspires et tellement de mots inaudibles que tu entends au plus profond de ton cœur, et comme il a cessé de battre, c’est l’âme de ton cœur qui à présent sais les écouter et les entendre, où que tu sois, nous savons que tu es toujours près de nous…


Le parfum enivrant des forêts

Le parfum enivrant des forêts, voilà ce qu’il était venu chercher. Une longue balade à travers bois, dans ces bois si familiers pour les avoir parcouru souvent durant l’enfance, ce n’e pouvait être que plaisir. Une sorte de retour aux sources tant les sources ici étaient nombreuses, une découverte en même temps par le regard neuf de l’adulte, celui qui a grandi, celui qui a appris, les leçons de choses comme les leçons de la vie. Désormais, le regard se pose différemment sur le paysage. Il y a le regard de l’enfant qui cherche à retrouver les plis du terrains, la forme caractéristique d’un arbre, le petit ruisseau s’écoulant entre les pierres moussues, il y a le regard qui cherche à reconnaitre la plante à la forme de ses feuilles, à sa fleur ou à ses fruits, il y a le regard qui cherche à lire les courbes de niveaux, les talwegs et les croupes, les cols, le village, les repères du terrains. Les expériences de la vie se lient pour donner un nouveau regard sur les choses les plus anciennes, c’est là une des magies de la vie. Comment ne pas se sentir plus léger devant pareille simplicité ? Nous seuls sommes les artisans de nos vies, de nos progrès, de nos destinés. Il ne sert à rien de chercher dans un autre les raisons de nos insuccès, il est bien plus porteur de se servir des insuccès pour bâtir nos victoires futures. Et comme souvent, les choses les plus simples sont celles que l’on voit en dernier. La nature est là, comme notre mère à tous, pour veiller sur nous et savoir nous indiquer la marche à suivre, le sentier à prendre, pour nous émerveiller et nous consoler, pour nous instruire et nous apprendre, il suffit juste de le vouloir.


Le parfum enivrant des forêts, voilà ce qu’il était venu chercher. Le crissement des pas sur l’épais tapis de feuilles lui était familier. L’odeur particulière des fougères, l’humidité de l’air autour du ruisseau, c’étaient mille tiroirs à souvenirs qui s’ouvraient d’un seul coup. Bien sûr, il y avait eu des changements, le vieil arbre tordu était visiblement tombé, le ruisseau que plus personne n’entretenait ne pleurait plus que quelques gouttes en ce début de printemps, même la sente d’entrée dans le bois n’était plus aussi évidente, la faute aux nouvelles clôtures, aux parcages, à une époque révolue et une époque différente. Les seuls repères fiables étaient bel et bien les bases de ces anciens cours de cartographie : le relief du terrain. Il se rappelait les mots de son instructeur d’alors : « ne vous fiez jamais aux repères humains pour vous orienter, les cartes ne sont fiables que par la représentation du terrain et de ses reliefs »…. Il en sourit en posant ces mots savants sur ses mots d’enfants, le creux du ruisseau devenait ainsi un talweg mais à vrai dire, ce n’était plus la même poésie sans que cela gêne en quelque chose le ruisseau de couler. Ces bois, il les connaissait comme sa poche, tant de balades, de courses d’abord enfant avec ses parents, cherchant les champignons, trouvant parfois des traces animales, plus rarement un bois de cerf, puis, plus tard, en solitaire, traversant ces forêts pour rejoindre le sommet, imaginant ses premières randonnées dont la seule mesure s’appelait plaisir. Le plaisir d’être là, se sentir ces parfums, de ressentir ses émotions. Un terrain de jeu sans limite dont il connaissait les codes mais où pourtant il lui arrivait encore de trouver ici des pierres dressées formant les limites d’u ancien jardin, là les murs encore debout d’une ancienne habitation dont il allait cherchait les explications auprès des anciens du village, ceux qui l’avait vu grandir ici durant quelques week-ends, durant les vacances. Un gamin tantôt à vélo, tantôt à pied, venant chercher le lait à la ferme, ou bien participer aux fenaisons, curieux de comprendre, de savoir, d’apprendre. On ne sait rien lorsqu’on n’est pas curieux.


Le parfum enivrant des forêts, voilà ce qu’il était venu chercher. En y retrouvant ses marques, il se souvint avec émotion d’une grande discussion avec son père lors d’une partie de champignons. Son père voulait prendre dans une direction, lui refusait parce qu’elle menait dans une autre vallée, ces bois étaient piégeurs pour qui ne prenait pas garde à suivre les évolutions des reliefs tout en courbe : vous montez, certes, mais vous partez à l’opposé de votre point d’entrée. Très vite, la marche, le VTT lui avait appris à lire les points de repères du terrain : ici le gros chêne, là le frêne fourchue, ici la grosse pierre venue d’on ne sait où, la grange oubliée…. Le ton était monté, il avait cédé mais lorsqu’arrivés à la lisière du bois son père avait réalisé qu’ils n’étaient pas là où il croyait, lui avait savouré la victoire de l’enfance sur l’adulte. Une expérience aussi qui l’avait renforcé dans l’envie de savoir décoder très vite ces plis de terrains tout en sachant les retrouver dans les plis des cartes géographiques.



Le parfum enivrant des forêts, voilà ce qu’il était venu chercher mais plus que ce parfum, c’était aussi et surtout le parfum de l’enfance, et peut-être même bien plus, le parfum des repères…. Lorsqu’on se perd, lorsqu’on s’estime perdu, la seule chose rassurante dans la vie, c’est de pouvoir se rééquilibrer, se positionner par rapport à des repères connus. Oui, c’est cela au fond qu’il était venu chercher ici et même si les émotions sont parfois humides, elles ont toujours ce parfum de miel, cette douceur et la couleur de bien des bonheurs. Comment dès lors résister à cet appel de la forêt ? Comment ne pas succomber à ces parfums frais par ce jour de soleil ? Il est bon de venir se blottir dans les bras de mère nature, et puis, au fond, c’est tellement naturel…..


Partons

Cela faisait de longs mois que la demeure restait silencieuse. Les herbes folles dévoraient chaque jour un peu plus l’espace, elles grandissaient en toute liberté, envahissaient les massifs autrefois bien propres et bien taillés, elles avaient même réussi à pousser dans les interstices des trottoirs donnant un air de complet abandon aux lieux. La boite aux lettres rouillée débordait et vomissait ses prospectus commerciaux  à même le trottoir, quant au portail, il semblait à jamais fermé par les branches d’arbustes qui désormais le traversaient. Silence et opulence de la végétation, le vide et l’excès, paradoxe et complémentarité des mondes que l’on oppose sans savoir s’ils sont vraiment opposés. Il y a toujours une drôle de sensation de voir ces endroits autrefois si pimpants, si guillerets être aujourd’hui à l’abandon pour on ne sait quelle raison et l’esprit fourmille vite à en chercher la raison parmi le grand catalogue des raisons hautement probables. « La personne qui vivait là est-elle malade, partie dans un hôpital, un hospice, un centre, est-elle toujours vivante ? », plus rarement « a-t’ elle gagné au loto et est-elle partie précipitamment à l’autre bout du monde ? »     


C’est toujours triste de voir une maison se fermer et peu à peu se laisser dévorer par les herbes. Il suffit de faire quelques pas dans les bois autours des villages pour retrouver ces vieux murs, ces vieilles pierres que les arbres ont crevées et les lierres ont ébranlées, parfois lorsque le toit ne s’est pas encore complétement effondré, il subsiste quelques meubles, de vieux rideaux sans couleurs aux fenêtres sans carreaux, les vies ont fui le foyer bien plus qu’elles ne l’ont quitté. Pour quelle raison ? Par quel coup du sort ? Nul ne le sera jamais, et aujourd’hui il ne reste que des pierres alignées et moussues, des murs tombés, des emplacements d’habitations de moins en moins visibles. Retour à cette maison. L’herbe est haute, les arbustes non taillés depuis trop longtemps, les volets clos et la porte fermée. Pas de lumière, plus de fumée odorante sortant de la cheminée, le vide et le froid, l’effroi aussi de ce qu’on peut trouver. Faut-il en pousser la porte ? Personne ne semble s’en inquiéter, cette maison vide et tout aussi normale qu’une autre maison habitée, c’est là la logique de ce monde de plus en plus individualisé. La télévision, internet, les réseaux sociaux concentrent chaque jour un peu plus les esprits asociaux, on connait tout du dernier drame à l’autre bout du monde mais on ne sait rien de son voisin, de son collègue ni même plus de ses amis… Ah les amis….


Osons quand même bouger la grille, osons quand même traverser les herbes folles jusqu’à s’approcher de la porte. Bizarrement, elle n’est pas fermé à clé, et bizarrement, tout à l’air en ordre : quelques meubles couvert d’un duvet gris, une table aux chaises bien rangées, un odeur à peine renfermée, une obscurité à peine mise en évidence par le rayon de soleil que la porte ouverte s’en vient glisser à l’intérieur. C’est comme un coup de projecteur sur l’intime, il s’insinue et vient à présent éclairer le lieu du crime, une table recouverte de poussière, et dessus, un bout de papier, pas même une lettre, juste une feuille à peine jaunie, la pièce sombre et close a su la préserver. Sur cette page, il y a des mots qu’un stylo posé à côté a du tracer, victime expiatoire et complice anonyme de ces dernières idées. Ces mots, en français, disent à peu près ceci : 

«Voilà, c’est fini. Il n’y a plus d’histoire, il n’y a plus de quais, trop de trains sont partis emportant trop de gens, trop d’amis, laissant aussi et surtout trop de larmes, mais aujourd’hui, une larme, la dernière larme est tombée. Elle a jailli dans un dernier effort, puis elle a lâchement glissé sur la vieille joue ridée pour s’en venir lâchement étoiler l’encre fraichement couchée sur le papier. Il n’y aura plus de larme, car il n’y a plus d’ami. Il n’y a plus d’ami, parce qu’il n’y a plus de force, parce qu’il n’y a plus de moyens, les amis ça coute cher, surtout lorsqu’ils partent. Oh, ils sont gentils pourtant, ils partent sans bruit, sans vous déranger, ils vous laissent avec vos souvenirs communs, quelques photos débordantes de sourires et d’envies, quelques belles images, quelques histoires belles et tellement complices qu’elles vous en baignaient le cœur de sourires et de joies. A la place, ils vous laissent leurs silences, leurs distances et le cœur se déchire et se raidit de froid, il saigne bruyamment de ces silences, il pleure d’incompréhension, chaque image d’hier est une morsure dans le temps d’aujourd’hui. Voilà, c’est fini, il n’y a plus de joies, il n’y a que des questions à jamais sans réponses, les amis se sont envolés, un par un ils ont quitté le nid de l’amitié pour d’autres voyages, ils volent vers où le vent les portera, ils laissent derrière eux non pas des regrets mais une arme terrible, qui taille, découpe, arrache chaque jour un lambeau de chair. Puissent-ils être heureux dans leurs voyages, c’est là tout le sens de leur vie, à travers les larmes, c’est un sourire qui leur est adressé. Voilà, c’est fini. Le livre se referme, et bientôt la porte sera définitivement scellée. Il n’y a aucune raison à rester sur le quai, pas plus qu’à poursuivre les trains, on ne poursuit pas ses rêves, on les vit. Une larme est partie sourire ailleurs, la page est pleine, la coupe aussi, c’est désormais le temps d’un grand ménage de printemps et plutôt que de garder traces de quelconques adresses et de quelconques numéros, dans l’hypothétique espoir de quelconques nouvelles, c’est le vent qui effacera les dernières traces, c’est une vie tout entière qui s’efface, c’est un tombeau qui se referme, la vie ne s’enferme pas, elle se vit… Et puisqu’elle ne vit plus ici, partons… L’amitié n’est pas sacrée, l’amitié n’est pas inébranlable, l’amitié est temporelle et donc mortelle, comme tout un chacun. L’amitié surtout ne vit pas des actions du passé, elle vit de son vivant, elle supporte très bien l’éloignement, elle résiste difficilement à l’oubli et au détournement. L’amitié ne vit pas seule, sans quoi elle s’étiole, s’aigrit, se meurt. Aujourd’hui, c’est sur elle que tombe la dernière larme. Putain, qu’est-ce qu’elle nous aura fait chialer ! Ces murs sont sa prison, ils résonnaient encore il n’y pas si longtemps de ses rires, ils savaient se pousser pour mieux accueillir les oiseaux blessés, fatigués, à bout, le temps d’un repas, d’un café, d’une nuit réparatrice. Désormais ils semblent se refermer, ils oppressent, ils étouffent, ils cloisonnent une vie qui n’est plus. Voilà, c’est fini, il est temps de quitter le nid, de fermer la porte, de dire merci à la vie, aux vies croisées riches de partages, de remettre les compteurs à zéro et de prendre le large, juste en terminant par écrire ceci : « parti sans laisser d’adresse » parce que c’est ainsi.»          




Le Pech

Il marchait d’un pas rapide sur ce sentier bien usé de mille pas, la marche était un moyen plus qu’un autre pour se vider la tête et faire le plein d’énergie, les paysages absorbaient les pensées, la seule envie était d’embrasser toute cette nature dans son entier. Il marchait d’un pas rapide mais pas rapidement, ce n’était pas une course, juste une balade, une rencontre avec l’inconnu de ce jour, on a beau emprunté mille fois le même sentier, il y a toujours une première fois, il y a sans cesse des découvertes. Il n’était pas parti tôt, le jour chauffait déjà et les premiers pas sont toujours les plus durs, ceux où les muscles dorment encore et manifestent leurs raideurs sans trop de souplesse, mais il savait cela, il savait qu’il ne fallait pas s’arrêter, ni même ralentir, juste entendre son corps se déplier au fil des foulées, juste mesurer le rythme et le maintenir le plus constant possible. Peu à peu le corps s’échauffe, se détend et coopère, peu à peu il fait bon marcher, pour peu qu’on ait su trouver son propre rythme.


Cette première partie était déserte, l’occasion de se sentir explorateur, découvreur de cet endroit, observateur de la faune et de la flore des lieux. L’appareil photo en main, presque prêt à stocker l’image d’une belle botanique ou bien d’un splendide lézard, bien que ces lézards verts ne lézardent pas en chemin et s’esquivent vite au piètre photographe, conséquence d’une mauvaise guerre entre l’homme et l’animal sans doute, sans doute depuis des temps ancestraux. Tant pis pour la photo, il reste le plaisir des yeux et celui de la mémoire, ces dragons miniatures à la gorge turquoise sont des spécimens hautement colorés des reptiles de nos contrées. Rares rencontres qui sont toujours fort appréciées. La semaine avait été difficile, les heures des jours se succédaient en pressions de plus en plus intenses, en contraintes de plus en plus fortes, en travaux sans fin pour venir chaque jour un peu plus lessiver un moral et une santé plus blanc que blanc. La marche, c’était avant tout un moyen d’ouvrir le bocal, de  soulever la soupape, de chasser le sombre tout en faisant le plein de bleu. Le ciel était bleu pur aujourd’hui. Le vent soufflait sans se forcer, il faut dire qu’ici il est plutôt enclin à la course rapide et à la furie. Il était heureux d’être là, de profiter de ce moment de calme et d’effort à son rythme, et puis, la masse grise aux contours presque indescriptible était un vrai parcours d’aventure, habillé de légendes qui depuis toujours ont illuminé les plus illuminés des illuminés.



Un tout petit sentier discret partait sur la gauche, l’occasion de le prendre tout en sachant très bien qu’il conduirait à cette crique secrète où la cascade d’un ruisseau aux eaux parfaitement limpides viendrait égayait la belle journée de son chant cristallin. L’occasion aussi d’une pause, à peine troublée par les pas d’autres randonneurs. Il partit sur la pointe des pieds, retrouva le sentier et reprit l’ascension et par là même, son rythme. Au fil des pas, le sentier bucolique laissa place au piémont, prairie odorante et colorée où le panneau « difficile » sonnait comme le réveil sournois dans les limbes du matin. Les choses sérieuses commençaient donc ici. Une barre de céréale, quelques gorgées d’eau, les bâtons de marches enfin déployés, la ceinture du sac ajustée et resserrée pour bien asseoir le poids sur les os iliaques, il se remit en marche. Les mollets durs et tendus, les jambes lourdes de trop d’excès de mauvaises nuits, les premières enjambées se firent à petits pas, la pente devenait rude, le cœur rapide et l’envie de tâter la roche bien forte. Voilà qui tombe à pic, le passage se rétrécit et les mains doivent chercher leurs prises pour hisser le corps toujours plus haut. Pas même un replat, juste un bout de roche contre lequel caler la jambe le temps d’enfiler le coupe-vent, ça souffle fort à l’approche du sommet. A peine le temps de caresser le thym fleuri pour en cueillir les huiles essentielles, à peine le temps de prendre en photo quelques orchis et la course se poursuit, et la fréquentation s’intensifie, il y a du monde, dans les deux sens : ceux qui prennent le sens classique, montée rude puis descente plus douce, ceux qui fonctionnent à l’envers, ceux qui pratiquent l’aller-retour parce que garé juste en bas de cette voie-là. Parmi toutes ces rencontres, il y a le silence, le quasi évitement, il y a la gentillesse des mots échangés, du geste, celui de s’écarter du chemin pour laisser passer l’autre, puis il y a le trésor, la cerise sur le gâteau, du moins pour l’amateur de cerise : la conversation. Quelques minutes à converser, à expliquer, à raconter le pays, à entendre, à apprendre l’accent d’une autre région, les interrogations, la tranquillité du randonneur, celui qui aime, car sans amour point d’échanges, point de partages, point d’envie de discuter. Cette pause pipelette en cours de la montée, elle est belle, elle est noble, elle est rafraichissante, car elle remet juste ce qu’il faut d’humanité au cœur de cette nature aride et rugueuse. Elle redonne foi dans l’humain, celui qui aime, celui qui sourit, celui qui aime s’arrêter mais surtout, elle apprend une chose fort juste : on ne perd jamais de temps, on l’emploie différemment et surtout,  la vie n’est pas une course ni un combat, la vie est un passage dont les murs portent la couleur de vos sourires et vos envies, ils ne sont jamais tout noir ou tout blanc, ils sont juste comme vous les affichez….                  


La vie d'après

Partir mais partir loin, n’être plus ici, n’être plus en vie, n’être plus rien dans ce monde ci, dans ces lieux-là, partir d’ici, sans se retourner, sans oublier qu’il faut oublier jusqu’à l’inoubliable, ce n’est pas facile mais rien n’est jamais facile… Ces pensées-là trottaient dans sa tête depuis trop longtemps déjà, sûrement nées de l’agression même si elles n’étaient pas arrivées de suite après, il faut du temps, un temps de gestation, aucune solution pérenne ne peut naitre dans l’urgence. Il faut du temps et il n’ y a pas de règles. D’abord soigner, panser ses blessures, aller au plus vite, retrouver les fonctions vitales, guérir l’humain, puis vient le temps de l’introspection, de la recherche de compréhension, de sa propre compréhension, savoir, vouloir savoir, une phase délicate pleine de hauts et de bas, à vrai dire, il y a plus de bas que de hauts, mais comme l’a dit Nietzsche, « tout ce qui ne tue pas rend plus fort », alors il a grandi, alors il a appris en cherchant beaucoup… Des aides, il a bien dû en faire le tour, professionnels de la santé dans toutes les dimensions du physique comme du psychique, lecture, écriture, activités, traversées de nombreux déserts, euphories et descentes aux enfers. L’enfer ce n’est pas que les autres, l’enfer, c’est sa propre incompréhension de soi-même. Ne jamais se livrer tant qu’on ne s’est pas livré à soi-même, tant qu’on ne s’est pas délivré de soi-même.


Il fait beau dehors, il sort pour quelques pas au milieu de nulle-part, ces nulles-parts qu’il affectionne. La solitude n’est pas une contrainte ni une ennemie, elle est une alliée, une entremetteuse de rendez-vous avec vous-même. Durant ces dernières années, il a crû être prêt, pouvoir vivre à nouveau, y croire surtout, renaitre et vivre la belle histoire… On ne peut pas faire le grand saut avec une jambe de bois, chaque belle histoire aussi belle fut-elle ne fut que brève et chaque brève et belle histoire ne fut qu’une brèche de plus. Il est des plaies qui ne guérissent jamais, des sortes de maladies rares qui vous laissent orphelin de la vie, non pas que vous ne soyez pas vivant, mais parce que votre vie ne sera jamais plus comme avant. Il est bien difficile de juger et de jauger cela, pour lire une langue, il faut l’avoir apprise, il faut l’avoir comprise, il faut l’avoir assimilée. Peu de personnes ne savent cela, peu de victimes en sont jamais guéries, ces maladies sont dévastatrices tout autant que destructrices, elles portent le voile de l’invisible et rongent sournoisement les chairs et les chairs cérébrales. Oh bien sûr, passé l’agression, la vie n’est plus en danger, elle est différente, elle se souvient et se souviendra toujours, les quelques secondes qui auraient pu être fatales restent à jamais gravées dans le disque dur, mais la haine n’en naît pas, non, c’est l’incompréhension qui prime. Lorsqu’on va au combat, on sait que l’on va au combat, on s’y prépare, le cerveau sait que le corps va être exposé, en danger. Là, c’est la surprise, le coup par derrière, l’effroi de de l’indescriptible pris en pleine face. Il ne souhaite à personne de vivre cela, il n’en tient aucun ressentiment, juste ce vide ,ce manque d’explications qui ne viendront jamais, si ce n’est quelques termes médicaux expliqués par un vieux psychiatre, juste la chute, la bascule d’un monde serein vers la réalité du monde réel, les pires des maladies ne s’affichent pas en souffrance sur les corps des malades mais sur ceux de leurs victimes.



Marcher lui fait du bien. Il respire, et même si les lambeaux d’hier s’en viennent piétiner les belles images du moment, il sourit car il sait aujourd’hui où il est et qui il est. Certes, plus rien ne sera jamais comme avant, mais qui peut dire le contraire, même sans avoir vécu l’invivable ? Au fond, la vie, c’est plein de chemins, de sentiers, on peut très bien y faire sa route sans en être égratigné mais on peut tout aussi bien n’en jamais voir le bout espéré. Les contes de fées n’existent que dans les livres et les jolis films, mais au-delà, il y a la réalité, elle n’est ni rose, ni noire, le monde n’est pas bicolore ni bipolaire, enfin, pas tout le monde. Il aimait bien cet endroit, vaste prairie en falaise au-dessus des flots rageurs, espace ouvert aux quatre vents, herbes longues et graciles ondulant sous les souffles d’Eole, buissons mal taillés et chemins serpentant le long, il y passait de longues marches de réflexion, avec cette douce impression d’avoir déjà vécu et de n’être plus fait pour ce monde ci. Partir mais partir loin, n’être plus ici, n’être plus en vie, n’être plus rien dans ce monde ci, dans ces lieux-là, partir d’ici, sans se retourner, sans oublier qu’il faut oublier jusqu’à l’inoubliable, ce n’est pas facile mais rien n’est jamais facile… Ces pensées-là trottaient dans sa tête depuis trop longtemps déjà, aujourd’hui, elles prenaient tout leur sens. Il avait fermé sa maison, la vente avait été rondement menée, désormais c’est ici qu’il désirait respirer, seul, et seulement respirer.    

          

Bouclier

Au fil de nos temps, les mots se travestissent, les états de l’âme changent de couleurs comme de noms, désormais il n’y a plus de dépression nerveuse, il n’y a plus de pétage de plomb, non, désormais il y a fatigue et « burn out ». C’est mieux, c’est plus propre, ça fait plus « mode », plus « chébran » comme dirait les « djeun’s » d’un autre temps… C’est sport, c’est beau, c’est de l’anglais. Oui, mieux vaut le préciser sans quoi « burn out » pourrait tomber dans la facile confusion. Traduire l’intraduisible, que pourrait-on dire, cramé ? Mais cramé dans ses instants ultimes, lorsqu’il n’y a plus rien à cramer, lorsque le feu s’éteint de lui-même…. Pas terrible comme état, mais état tout de même et comme chaque état, il est une composante qui ne doit pas dénaturer ni faire oublier l’être piégé derrière. Non, ne pas laisser s’éteindre la flamme car sans flamme il n’y a plus de vie. Bien plus que la chimie il y a la vie et ses multiples formes, bien plus que les médicaments, il y a les chimies des vies, qu’elles soient minérales, végétales, animales, humaines ou spirituelles, chacune apporte ses énergies nécessaires à rejoindre le mieux, cette étape subtilement nécessaire pour donner cette impulsion des deux pieds sur le fond de la piscine. On a beau changé les mots, les mal êtres demeurent des maux de l’être.


Comme l’anglais est à la mode, on a inventé le stress. N’en parlez pas à vos anciens, eux, le patois anglais n’a jamais été leur tasse de thé, alors l’équivalent en patois du mot « stress » va falloir vous accrocher pour le trouver ! Au pire, avant, on était inquiet, ou bien anxieux, angoissé dans sa terminologie la plus latine, racine amère des angines qui vous serre et vous étouffe entre ses mors comme un étau, mais de stress, non, pas question. Là encore, nature et chaleur humaine, détente en bienfait, réflexions spirituelles en source d’apaisement, c’est par les mêmes approches que l’on soigne et aide à libérer des liens qui nous oppressent.  Sans autres chimies que l’alchimie de la vie. Vraie.



Se recentrer, se rapprocher de notre monde. Planter ses racines dans le sol, sentir les rochers, les pierres et la terre, caresser le végétal, planter ses doigts dans la pelouse, soigner et respirer ses fleurs, se nourrir de l’animal, le vol de l’oiseau, la féline compagnie, la promenade du chien, chaque geste, chaque pensées, chaque évolutions parmi ces règnes du vivant sont sources de vie. Se relâcher, se laisser aller, lâcher prise sur l’existant, s’évader et rêver, méditer, se connecter aux sources spirituelles, sans doctrine, sans imposition, juste relier ses racines aux cieux. Etre, mais être soi, en équilibre entre terre et ciel, au cœur des règnes vivants, vivant parmi les vivants, évoluant dans les aires de la vie. L’exercice n’est pas simple mais comme tout exercice, il s’apprend, il se comprend, il se pratique et par la pratique nait l’expérience et la fluidité. Bien sûr cela n’ôtera pas les sources de stress ni de « burn out » mais ces pratiques aideront à les évacuer, puis peu à peu à se forger un bouclier pour mieux s’en protéger…    


Chienne de vie

Qui sème le vent ne récolte qu’un bon rhume, il n’est jamais bon de trainer dans les courants d’air. Brasser de l’air n’est pas mieux, mieux vaut se taire, quant à parler pour ne rien dire, là, c’est le summum, et il faut bien le reconnaitre, bien trop souvent employé. Trop, à tort et à travers, ce qui n’arrange rien, parler à tort et à travers ne mène à rien, mieux vaut se taire.


Silence. Les mots glissent en silence, ils sont les habits à peine défaits qui glissent sur la peau et tombent au sol, ils vous mettent à nu, comment pourrait-on s’habiller de silence et d’absence ? Les mots s’envolent, l’air devient pesant de ce vide, lourd de ces silences, pesant comme une absence. Vide. Au bout de la nuit, il n’y a plus rien. Un corps dénudé, un drap à peine froissé, un silence. Tout au bout de la nuit, par le coin du volet, un chien aboie, les chiens aboient toujours la nuit lorsque vous avez les volets tournés. S’il faisait clair de lune, vous verriez briller leurs crocs luisant de bave, prêt à vous mordre les mollets dès lors que vous leurs tournerez le dos. Ils ont tant et tant à baver, sur vous, sur vos silences, sur les ombres de votre vie qu’ils n’ont jamais cherché à mettre en lumière. Bavez chiens fidèles dont les seules fidélités pourraient s’appeler pouvoir, obsession, obstination, bavez mais bavez la tête haute, soyez fier de vos crocs et de vos bavant aboiements, vous ne mordez que de l’air et n’érigez que votre propre tombeau, votre gloire ne porte que les couleurs de vos fiels, de toute façon, vous n’aboierez jamais que de loin et parmi vos semblables, c’est dans la foule des siens que les chiens se dressent le cou pour paraitre supérieur, vous profitez de la nuit sans lune qui plus est sans compter les grilles épaisses qui nous séparent. Au fond, même le silence à peine troublé par vos crécelles finit par se recoucher et s’étendre sans fin. Je ne vous hais pas, chiens imbus, cela serait vous faire trop d’honneur, chiens vous êtes, chiens vous resterez, jusqu’à ce que vous vous dévoriez entre vous n’en laissant que deux, chacun apeuré de finir sous les crocs de l’autre, préférant retrousser les babines et s’étrangler de bave mais baver de loin à jamais. Le courage par le nombre n’est pas du courage, au combat le guerrier ne revêt pas plusieurs boucliers, il faut se battre pour vaincre et non vaincre pour s’ébattre. Barrez-vous, retournez dans vos cages, régalez vos ménagères de ménageries en glapissement jouissif d’être des terreurs, des terreurs de rien se terrant sans se taire, quel dommage que vous fussiez sourds.


Silence. Le vrai silence n’existe pas, il y a toujours quelque chose à écouter, une écorce qui se détend, une poutre qui craque, le feu qui crépite, la feuille glissant et tombant du vase,  un lit qui grince, une musique douce égrenant les secondes, chaque bruit est le grain de sable d’un sablier nocturne, ces nuits blanches au cœur de la nuit noire apprennent par petites touches à monter ses gammes d’insomniaque chronique, noctambule d’une autre forme, pas vraiment nyctalope mais en devenir, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, sans aucune forme de véto. Le vrai noir n’existe pas non plus, il y a toujours une lueur d’espoir même dans les heures les plus sombres, et à ce jeu de faux, même les nuits blanches ne sont jamais vraiment blanches, elles ne remettent pas à blanc les pages sombres d’une existence. Inexacte inexistence. Tout ceci est à la fois compliqué et à la fois simple : un silence sans silence dans une nuit sans bruit, une obscurité à peine éclairé qui luit en de pâles reflets jusqu’au cœur de la nuit, une existence dont la seule évidence réside dans l’inexistence. Et la fuite se poursuit en matin….


Silence. Les chiens dorment, ou plutôt non, ils se reposent, on ne peut baver sans arrêt, il faut savoir se poser, et puis, lorsque les neurones et les synapses s’épuisent, il faut bien faire des pallier, choisir entre baver et réfléchir, dommage pourtant qu’il s’agisse plus de réfléchir à mieux mordre et mieux baver plutôt qu’à comprendre que baver et mordre ne servent à rien. Les chiens lorsqu’ils sont entre eux en perdent les moyens de grandir, la médiocrité appelle la médiocrité, dépêchez-vous, elle vous attend. Le jour se lève, pâle et hagard, voici venu le temps de votre gamelle qu’un préposé s’en vient déposer dans vos bacs d’acier. La presse vous régale de ces faits divers jusqu’en rubrique des chiens écrasés, l’odeur âcre du sang se marie aux odeurs d’imprimerie, abreuvez-vous de ce cinglant mélange pour nourrir vos fétides diatribes, quel dommage que de ces chiens écrasés vous ne vous fassiez pas une raison suffisante pour l’écraser à jamais. Vous ne serez jamais que des chiens à l’orgueil mal placé, prenez garde à vos truffes…



Silence, le jour se lève, il était temps de dormir un peu. La lumière de vos jours me sied peu, je n’ai pas envie de quitter ce lit quand bien même il faille m’en aller promener la chienne. Elle gémit son impatience me regardant de son air cabot, comment parmi une telle espèce puisse-t’il être des individus que l’on aime et d’autres qui ne salive sans cesse qu’à l’idée de vos mollets ? Allez, dehors le molosse, il est temps d’aller battre le pavé. Les rues silencieuses et fraiches sont à nous, l’aube pâlichonne n’inspire pas à la balade, mais où ai-je donc mis mon fusil ?                


Entre montagne et océan

Quelques pas sur la plage, il y a peu de monde, pourtant l’air est doux, l’océan tranquille et la lumière belle, éternellement belle. Sur sa droite, il contemple ses contours à peine voilés, sommets connus et reconnus d’ici : la Rhune et les trois couronnes. Il sourit et se disant : « il y a quelques heures, j’étais là-haut » La proximité de l’océan et des Pyrénées renforçait le caractère unique de cet endroit, la magie qui en découle et la passion pour ce bout de terre et d’eau. Rien d’autre n’avait d’importance lorsqu’il était ici, pas de chichis, ni de mode à suivre, juste goûter à mille saveurs, nager ou marcher, grimper ou bouquiner, les heures passées ici ressourcent bien mieux que toutes les chimies du monde.

Marcher, oui, mais pas marcher sans comprendre, pas marcher sans vouloir apprendre. Chaque terroir est unique et de chaque terroir nait un unique accent, une farouche volonté de vivre, de s’accorder à la nature des lieux pour en cueillir la quintessence des énergies. Ici, il y avait la force de la roche, la douceur de l’air, la rudesse des pentes et la fougue de l’océan. L’air que l’on respire est une tisane aux mille bienfaits sans compter le plus précieux : ici, le temps n’a plus de prise, la montre peut bien aller se rhabiller ou bien dormir pour de longs jours dans la corbeille de l’entrée, le seul temps qui compte se compte en jour et en nuit, le soleil tout puissant, les nuages parfois très gris, les pluies parfois fortes n’ont d’autres motivations que de compter les grains de sable de chaque journée.

Marcher en lisant les lignes de vies dans chaque sente, dans chacun des sentiers. Certes, certains sont fièrement balisés de rouge et de blanc, le fameux GR10 traversent les terres reliant l’atlantique à la méditerranée, d’autres se contentent de traits de couleurs, jaune, orange, bleu, d’autres enfin sont bien plus magique car ils ne portent en eux que les empreintes des bêtes les ayant tracés. C’est pas si bête une bête au fond, elle ne va pas choisir le danger ni la fatigue mais bel et bien la facilité à aller d’un point A à un point B quitte à faire quelques détours, et c’est là le sens de nos randonnées, relier deux points, marcher d’un point A vers un point B en empruntant les chemins de traverses ou les autoroutes à touristes….

Marcher le sac léger et la tête lourde de leçon, celles des animaux, celles de la nature, celles d’un monde qui s’offre qu’à celui qui s’y intéresse vraiment. Il n’y a pas de grands panneaux affichant « vous êtes ici », « là vous verrez un vautour », « ici un pottok », non, il y a la vraie mappemonde, celle sur sa sphère tout entière déployée, géographie sans limite commerciale, ni départementale, encore moins nationale, songez un peu, votre chemin va jouer à saute-mouton avec les bornes frontières, croyez-vous qu’il faille sortir son passeport à chaque entrée et sortie de territoire ? Marcher ici donne une autre dimension de vie, sans relation aucune d’avec les contraintes administratives qui hélas hantent nos quotidiens. Marcher ici, c’est être autre, ni français, ni espagnol, bi basque, ni béarnais, pas même landais, juste humain, non, terrien, oui, c’est cela, enfant de la terre avec la terre pour terrain de jeux et tant pis si Louis XIV a planté les bornes ici plutôt que là.

Marcher, oui marcher, parce que c’est le rythme qu’il convient pour respirer pleinement, pour regarder, observer, voir, sentir ce monde vivre, bouger, respirer. Marcher ici, parce que des sommets on se plait à voir l’océan et parce que cette plage, on se plait à voir ces montagnes à peine les avoir quittées… Il sourit en se souvenant des belles images de là-haut… Demain… Oui, demain.