Fin d'année


C’est la période la plus ressentie dans l’année, qu’elle soit attendue avec impatience ou bien redoutée avec un désamour complet : les fêtes de fin d’année. Elles attisent les convoitises et les rêves les plus doux, elles deviennent un peu plus lourdes au fur et à mesure que les tours de table se rétrécissent, elles finissent par être  pesantes au fil des solitudes. Chacun porte son histoire, son ressenti, il n’y a rien à redire ni surtout à juger en cela, c’est au fond la richesse de l’Humain et de l’humanité.
Le temps est à la pluie, le feu crépite doucement et le voilà à sa table à mots et occasionnellement à maux pour reprendre le stylo et le papier blanc, et, dans cette période de fin d’année, ce sont quelques brumes qui s’en viennent troubler sa vue. Il songe aux Noëls d’avant, ceux de l’enfance empreints de magie, des réveils aux aurores pour des cris aux pieds des sapins successifs, petit cow-boys en plastique, patins à roulette et autre vélo, ce furent émerveillement et joies d’enfant. Puis le temps des enveloppes, des pulls et autres utilités dont on s’apprécie moins le cadeau en ce jour encore attaché au mot magie, et puis les tables moins garnies, les grands-parents partis, les oncles, les tantes, les cousins qui grandissent, petit à petit la famille se resserre autour de ses piliers parentaux, et tout en grandissant on retrouve une autre atmosphère à cette fin d’année. La vie et ses aléas, ses maux aussi qui s’en viennent croquer les chairs des proches, les combats que l’on espère toujours utiles et vainqueurs, et puis un jour, une année c’est l’entrée en clinique à quelques jours de noël du pilier central, l’âme du foyer, la mère. D’autant plus durement ressenti qu’elle intervient le jour de son anniversaire, mais bon, les docteurs sont confiants, elle ressortira pour passer Noël en famille. Alors on croit, on prie tout ce qu’on peut prier, parce que dans ces moments-là c’est la prière qui parait la solution, qui devient un bâton de soutien et de marche, comme une cotisation à un institut de recherche permet de croire que nos quelques billets s’en vont guérir l’être cher. Et puis ce ne fut pas Noël, tant pis, nous le fêterons plus tard, visons désormais le nouvel an, si la fête religieuse n’a pas cru bon de nous satisfaire, que la fête païenne le permette ! Et puis non, encore des inquiétudes, encore des soins, des mots terribles parlant de rayons, de chimiothérapie, et la nouvelle année et ses vœux de bonne santé arrive sans que la mère revienne au foyer. Amère période, tant pis, nous ferons mieux l’an prochain… Et puis après un dernier sursaut, elle a jeté les armes, abandonnée le combat et la sournoise maladie l’a emporté, un sombre jour de janvier. Période difficile dans la vie, la perte de sa maman reste une blessure, qu’elle que soit la vie vécue. Cette dernière période de fin d’année vécue dans l’absence physique aura à jamais gravé d’un sceau sombre les dates du calendrier. Chacun porte son histoire, la sienne est ainsi, désormais détaché des festivités, il les traverse en essayant de profiter et de choyer au mieux les êtres présents tout en restant relié aux êtres partis. A jamais dans nos vies.


Mon béret


Avec un peu de culture ou un brin de connaissance,
Vous sauriez que cette coiffe que je porte avec aisance
N’est qu’un simple béret, tout de laine foulée
Il n’appartient ni aux basques ni même à mes chères Pyrénées,
Il pourrait tout autant être landais ou gascon
Ou bien encore béarnais ou breton

Et si le rouge vous a trompé
Ce n’est ni basque ni contestation
Une simple couleur arrachée au passé
Une coiffe vraie sans ostentation

Oui, c’est là mon béret
Rouge et intransigeant
Sous le soleil, la pluie ou les vents
Ma tête toujours en est couronnée

Porté avec fierté
Sur les chemins du monde
C’est aussi en signe de respect
Pour celles qui m’ont mise au monde
Car si ma maman m’a donnée la vie
Mémé m’offrit mon premier béret

Qu’elles en soient à jamais remerciées.






Une bouteille à la mer

Le vent souffle et grossit les vagues, la pluie fine trouble la vitre de la fenêtre de toit, la maison grande et silencieuse résonne des derniers accords de piano une dernière fois, c'est un dimanche matin comme un autre, ou pas, chaque jour est différent, chaque jour s'apprend, se vit, s'aime. Le moment est propice à l'abandon. Une page pleine à lire, une page vide à écrire, nos vies sont ainsi. Entre hier et demain s'étale aujourd'hui. Choisir la vie, choisir l'écrit, choisir les cris des mots que la plume semble arracher au papier. Choisir car la vie n'est faite que de choix. Sans connaitre la fin, sans savoir forcément pourquoi, nous sommes ici et maintenant, désireux d'apprendre, d'avancer, de connaitre d'être et loin d'avoir. L'automne est bien là même piqué de quelques jours d'été, de coup de chaud à peine trahi par des jours courts, des lumières rases qui caressent l'horizon, des instants que nous tentons de capturer à coup de pixel et de photographies. Ici et maintenant. Nos vies sont des bouteilles à la mer, jetées dans les vagues de l'ennui, voguant à l'infini sur des océans d'aventure, elles flottent comme des bouchons, visibles, invisibles, sans jamais vraiment couler même si parfois il nous arrive d'avoir le mal de mer d'être tant ballotté. Parfois une vague nous submerge, et nous touchons le fond, non pas de notre vie mais celui de notre coquille de verre, pourtant nous nous sentons tellement écrasé, tellement anéanti que nous avons la volonté de disparaître, de plonger dans les abysses et de fuir la lumière. Parfois au contraire, c'est l'euphorie qui nous fait surfer sur la vague, nous irradie de soleil et nous réchauffe le cœur et le corps. Parfois c'est la vie paisible, le calme plat entre deux vagues, nous divaguons. Soleil ou ciel gris, de jour comme de nuit, nous laissons nos vies dériver sans essayer d'en prendre le contrôle. 



Le hasard. La bouteille dérive et vient s'échouer sur une plage ensoleillée bordée de cocotiers. Le hasard. La bouteille vient se briser contre les rochers d'un archipel déchiqueté où les vents froids et glaciaux s'abattent quotidiennement. Le hasard. La bouteille navigue sur les flots, portées par les courants elle vogue et traverse les océans sans jamais se poser. Le hasard. Le hasard, c'est aussi de pousser la porte, pousser le bouchon et se jeter à l'eau. Apprendre à nager, choisir son cap, rejoindre la rive et vivre par soi-même et pour soi-même à l'endroit que nous choisirons, apprendre à vivre et à être soi. Il n'y a pas de hasard, jamais, il n'y a que des moments et des regards différents que nous portons sur ces moments-là. Apprendre à s'échouer, c'est apprendre à échouer, à apprendre de cet échouement, apprendre à se relever, apprendre à apprendre. La vie n'est qu'un grand escalier où chaque marche s'apprend, se comprend, se gravit, par notre propre évolution, nous progressons, nous gravissons notre vie, c'est un peu notre montagne, et peu importe qu'elle soit colline, dune ou grand sommet, la véritable leçon est dans le chemin et non dans le terme du voyage. Osons sortir de notre bouteille confortable, osons respirer l'air du large, osons vivre, tout simplement.



Le vent souffle et la pluie rafraîchit les joues tout autant que le jour, il fait bon marcher et respirer ce grand air, il fait bon embrasser ces mille couleurs, ces nuances de gris sans cesse changeantes, il fait bon savourer ces instants présents. Le moment est propice à l'abandon, s'abandonner à soi. Etre soi. Respirer. Vivre. La bouteille s'est posée. Elle ne s'est pas échouée. Elle n'a pas échoué. Bon vent.


De nouveau


Le sablier du temps égraine ses particules, le sable glisse, il quitte le haut du récipient pour s’écraser tout en bas, puis la main innocente s’en vient les retourner et file le temps, et glissent les grains de sable. Les pages blanches jaunissent du désespoir d’être noircies, désertées de leur maitre es tortures, éloignées du stylo bleu habituel, orphelines du temps et des idées mais …surtout du temps. Que ne serait l’Homme s’il ne se plaignait sans cesse du temps ?
Alors bon, voici venu le temps de retourner le sablier, de le coucher pour que cesse enfin la fuite inexorable du temps, la course du sable et pourquoi pas, mettre enfin un grain de sable pour en stopper la course ? Le soir décline, les jours sont déjà bien raccourcis loin de leur apogée, les températures encre chaude d’autant plus soulignées par l’absence de vent. Le bruit des vagues est loin, l’endroit calme exhale les essences de bois divers et le piano lent de Didier Squiban ponctue le silence loin d’être pesant. S’asseoir devant la feuille blanche, un peu confus de n’être pas venu plus tôt, un peu intimidé par cette surface immaculée, par ce stylo froid, par ce retour aux sources de l’écriture…
Comme préparation, juste un temps à soi. Un temps pour soi, un temps pour se poser, s’asseoir dans l’herbe, pieds nus, caresser les brins de verdure à rebrousse-poil, laisser son esprit s’apaiser, les tensions disparaitre, s’enraciner dans notre Terre, sentir les énergies douces et régénératrices envahir le corps puis s’abandonner les regards perdu dans l’azur pur du ciel d’été. Respirer, lentement. Oublier les ondes, les appareils électroniques, les faux liens de vraie virtualité. S’offrir ce moment à soi. Etre sans avoir, être comme un être en devenir, parce qu’on grandit toujours et tout le temps, même les jours où cela fait mal, tout comme les poussées de croissance de notre enfance. Sentir le sol  frais, l’air chaud sur les jours, le regard perdu à chercher un quelconque point d’arrêt dans ce ciel désespérément bleu, partir en voyage en ciel et terre, entre ici et tant d’ailleurs, s’oublier, s’abandonner puis enfin se redresser lentement, respirer profondément et regagner le petit bureau, la pièce obscure toute de bois vêtue, regarder la flamme de la bougie danser sur la page, sentir les saveurs sucrés de l’encens et laisser glisser le stylo, simplement, comme pour reprendre le rythme, comme le coureur retrouvant ses premières foulées, écrire, dessiner des mots, oublier les maux, écrire, encore et de nouveau, parce qu’au fond, les vieilles passions ne meurent jamais, parce qu’au fond, le plaisir d’être soi c’est aussi réaliser combien toutes les facettes d’un être nécessitent d’être travaillées et polies pour mieux en révéler la profondeur et la brillance : chaque être est un diamant dont il est le joailler, à chacun de prendre la peine de se trouver et de s’accorder le temps de polir ses facettes sans jouer à pile ou face et sans se voiler la face non plus.

Ad patres


Georges Brassens a écrit « lorsque mon âme et mon corps ne seront plus d’accord que sur un point : la rupture » Une bien belle phrase qui appelle et interroge. En effet, lorsque l’âme et le corps prendront des chemins différents, d’ailleurs, qu’en sait-on ? Qu’est-ce que le corps, cet habit de chair sur des cintres d’os qui plait aux uns et déplait aux autres, ce costume qui selon comment on le porte nous donne l’air bien habillé, souriant ou bien encore mal fringué et triste. Ce costume au fond ne sera plus qu’un amas sur son cintre aussi inerte que le veux peignoir troué oublié à la patère de la salle de bain gardé on ne sait pourquoi, parce qu’il a toujours été là, parce qu’il fait partie de notre vie. Le corps, lui, n’est pas un bien matériel, il effacera sa présence matérielle pour n’exister qu’au virtuel des souvenirs. Selon nos sociétés, nos croyances, nos coutumes, il sera enfermé dans une boite aux bois précieux pour disparaitre sous la terre, la pierre ou les flammes échappant aux regards à jamais. Réduit au silence, à l’absence. On nait, on vit, on disparait, on plonge dans l’oubli du quotidien ou l’on ne vit plus que par souvenir.
Alors oui, le jour où mon âme et mon corps ne seront plus d’accord que sur un point : la rupture, que faudra-t-il qu’il advienne ? Mon âme a toujours été bohème, voyageuse, même dans les moments les plus sérieux les plus stricts : sur le banc d’une classe, dans les moments les plus étranges, les plus tristes où la rigueur fut de mise, mon âme bien peu conquise s’en allait perpétuellement divaguer vers quelques sommets, quelques randonnées, quelques es capades, quelques contrées familières, quelques désirs d’ailleurs, de ces ailleurs qui nous abiment de ces abimes où nous plongeons, de ces plongeons où nous respirons, de ces respirations qu’on appelle la vie. De mon âme donc, point de souci, point de salut, d’ailleurs aurait-elle seulement dit au revoir ? Oh ! Je ne sais pas ce qu’il y a après, ai-je seulement su ce qu’il y avait pendant ? Je n’ai aucun souvenir de ce qu’il y avait avant. Selon nos classiques populaires, peut-être rêverais-je mes maitres et prendrais-je dans la fumée de leurs pipes d’écumes de leurs cigarettes l’occasion de croiser quelques mots, d’y entendre accrocher leurs vers, je ne sais, peut-être rêverais mes proches, mes amis trop tôt enfuis, trop tôt partis, mais part’ on seulement trop tard ? Peut-être qu’il n’y a que le néant, qu’il n’y a que poussière d’étoile qu’il n’y a rien tout simplement ; enfin bref, mon âme fera sa malle, elle fera son voyage, elle fera ce qu’elle voudra, au fond, comme elle a toujours voulu, la belle affaire que voici, la belle âme que voilà !

Mon corps. Mon corps sera posé dans une boite, dont le bois blond ravira surtout le marchand, bien peu les amis venus devant ces quelques planches se rappeler de nos existences communes, alors dans une envie, comment pourrais-je dire, dans une salve d’humour à pas grand-chose, je verrai bien une messe, solennelle mais belle, dans un cadre qui sied, pourquoi pas la basilique Saint Sernin, où je n’ai pas souvenance d’avoir entendu ne serait-ce qu’un bout de messe, ou plutôt non, pourquoi pas la vieille chapelle tout en haut de la montagne, celle qui a vu mes fonds de culottes frotter de trop près le rocher pour jouer les explorateurs et tenter une spéléologie d’enfant dans les grottes cachées au pied de la cascade, pourquoi pas encore cette chapelle petite et coquette aux vitraux magnifiques perdue sur une ile…. Ah ! les iles, elles vous emmènent à voyager, même lorsque vous n’y êtes plus. Allez, j’y file, mon âme appelle mon corps à se bouger, le bruit des vagues sur les rochers, les cris des mouettes et des goélands, les cloches de l’église du bourg, la trompe du ferry, ou bien encore le silence et le vent, tout simplement !



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Vagues


La vague s’en va, la vague revient, elle efface sur le sable les traces d’un présent passé, elle dessine des rides sur le sol humide puis elle repart, puis elle revient, étrange ballet. La vague divague sur les sables, qu’il pleuve ou qu’il vente, elle poursuit inlassablement son travail de sape, elle gomme, polit la plage et s’efface, polie, allant se noyer dans les eaux troubles d’un océan en pleurs. Spectacle sans cesse renouvelé et pourtant spectacle immuable, la course seule change, la plage déserte devient de plus en plus lisse, parfois un coquillage ou deux sort du manteau de sable sa nacre blanchie. Hiver. Quelques pas sur la plage, quelques vagues sous les pas, quelques traces de pas qui se dessinent, s’effacent et disparaissent, l’histoire de la vie. On nait, on vit, on disparait, parcours immuable, dont ou oublie l’exactitude, on court, on se noie de mille tourments, on croit trouver des raisons de vivres dans des occupations qui vous bouffent la vie, puis on meurt finalement à petit feu dans un semblant de confort moderne qu’on nomme bonheur. C’est quoi le bonheur ? Avoir ou être ? Paraitre ou devenir soi ? Etre soi n’est pas être dans la soie, c’est apprendre à se connaitre, à se découvrir, à s’accepter tel qu’on est et non tel que les miroirs en voudraient l’image. Etre, c’est marcher sans se retourner, les pas s’effacent, le sable reprend ses marques, il gomme les blessures, il n’en garde trace, il sait l’importance de l’oubli pour s’offrir tout entier aux nouvelles épreuves, aux pas nonchalants comme aux pas pressés des promeneurs pas pressés, comme aux pas des chalands qui passent et repassent. Hiver. L’air est vif, les vagues se redressent et mordent encore plus loin la plage, elles mettent du cœur à l’ouvrage, elles nettoient, elles effacent, elles lissent et le sable devient une page blanche. Une nouvelle page, celle d’un nouveau jour, celle d’une nuit de pleine lune, celle des cris des oiseaux, celle des enfants galopants, celles des chevaux venus piétinés l’écume dans un matin de brume où l’hiver n’en finit plus de mordre comme s’il savait qu’il n’en n’avait plus pour longtemps, comme s’il savait que le printemps viendra bientôt prendre son temps. Un temps pour chaque chose, un pas après l’autre, le plus important reste le pas qui vient, pas celui qui s’efface sous les vagues. La vie est devant, jusqu’au bout.



Regards


La neige comme un drap mortuaire recouvre toutes traces de vie, les paysages sont vides, blancs, livides à l’infini. Après quelques jours de gris, de sombres, voici venir l’azur bleu pur, le soleil resplendissant, l’absence des vents. C’est un froid sec et une belle lumière, rendue aveuglante par ce tapis immaculé qui donne à ce jour ses premières clartés. Le silence, presque assourdissant tant la neige étouffe aussi les bruits, modèle les sons comme les reliefs. Un jour différent, non, ce n’est pas un jour sans, c’est un autre jour, une autre vision de notre monde qui nous est offerte, la promesse d’un instant à quelques mètres, encore faut-il vouloir le voir, encore faut-il vouloir la cueillir.

Emmitouflé dans son manteau, une écharpe nouée, le béret vissé sur le crane, il referme la porte, délaissant le feu crépitant, le fauteuil moelleux, les accords mélodieux et la ronde des mots, il sort. Les doigts engourdis réclament les gants, le froid pique les oreilles et le nez trop habitués à la chaleur du foyer, ce froid vif mord plus qu’il ne pique, mais la nature est sublime, toute blanche, comme une mariée, elle s’avance devant ses yeux rieurs. Le regard, c’est la carte d’identité de l’âme, la seule empreinte qu’il soit offerte lorsque la tête est toute emmitouflée, seule l’expression des yeux, les plis des ridules donnent à l’autre les seules vraies réponses puisque venues directement du plus profond, oubliant tout travers ou tentative de contrefaçon. Le regard ne triche pas, il est né bien avant le corps, il en est le témoin, le gardien et le sémaphore, celui qui en délivre les messages, encore faut-il prendre la peine de s’y plonger. Tout est blanc, lissé par la brosse céleste, effacé le creux du chemin, recouvert le tas de bois, les arbustes, le mobilier du jardin, aujourd’hui il n’y a même plus de limite, le goudron tout comme le gravier de l’allée sont à l’unisson. Mais ce tapis n’est pas si vierge : quelques traces de vies sont creusées ici : les pattes d’un oiseau, la ligne empruntée par le chat, la neige creusée par un bec affamé, c’est la leçon de chose d’un matin tout blanc, bien plus amusante que dans les livres, ici, elle est vivante et se laisse deviner pour qui s’y attarde, pour qui se prête aux jeux des découvertes. Les pas crissent en écrasant le manteau blanc, comme des cailloux blancs ils trahissent les directions, ils tissent un fil d’Ariane tout au long de la promenade. Il marche, sans but autre que de se retrouver enfant, ébloui par la lumière, étonné par la neige, comme une première fois sans cesse renouvelée. Il marche et s’amuse de la fumée de sa respiration, de la majesté  des arbres dont les traits de blancs venus surligner la ramure et se détachant dans le ciel bleu pur révèlent bien plus la stature. La cheminée de la maison semble s’époumoner, délivrant ses panaches blancs à ce ciel vierge de nuages, les tuiles disparues sous un édredon de flocons rassemblés. Il marche, se retourne et emplit son regards de mille émerveillements, il savoure cet instant, plaisir éphémère qui mérite de quitter sa bulle de confort, magie du moment qui est venu, sans vraiment se poser et qui disparaitra dès que le soleil, plus haut, plus fort, brisera la glace, fera fondre ce paysage, dès que la terre avalera ce blanc trop présent, dès que les pas auront souillé ce monde immaculé.

Il continue sa promenade vers nulle part, il vit, il respire et il est heureux. De son âme d’enfant bien présente, il sourit à cette magie, à cette vie et à ces endroits loin des tumultes, et lorsqu’il faudra rentrer, lorsqu’il croisera ses propres pas en chemin, il rentrera ému de ces douces lumières et des ces paysages presque surnaturels, au fond, on ne voit jamais le monde qu’avec son propre regard, qu’avec ses propres yeux. Il n’est pas vraiment utile de le raconter, sachons juste le savourer et le pratiquer.



A quelques pas


A quelques pas du lycée,
A quelques pas du parking en sécurité
A quelques pas du passage protégé
Elle a traversé

Il faisait froid, Il faisait nuit
Bien emmitouflé dans sa capuche
Elle a traversé

Bien emmitouflé dans ses brumes
Elle a traversé

Derrière ses vitres trop sombres
Derrière ses vitres non dégelées
Il a déboulé

Un grand coup d’accélérateur
Pour qu’on remarquer son bolide
Un coup en plein cœur
Une peur livide

Puis plus rien
Le silence et le vide

Puis les cris, les pleurs, la peur
Un bolide enfui
Une enfant endormie
Le visage pâle et fermé
Sur le bitume glacé

A quelques pas du lycée
Un parent trop pressé
Un parking oublié
Une famille brisée

A quelques pas du lycée
Une voiture embuée
Rapide et sans visibilité
Une vie tuée

Faut-il être dupe ?
Manquer de tant de temps
Pour jeter ses enfants
Et rendre leur joie caduque

Faut-il être con ?
Manquer à ce point de neurones
Pour jouer les fanfarons
Et finir en prison ?

A quelques pas du lycée,
Un parking sécurisé
Un tout petit détour
Pour préserver ses amours

Au pied de la cité
Un parking goudronné
Où prendre le temps
De nettoyer ses vitres et y voir en grand

A quelques pas du lycée
Jamais arrivée
Partie sans un baiser
Insouciante envolée
Cauchemar insensé

A quelques pas, 
Juste quelques pas...
Valaient-ils une vie?
Valaient-ils l'oubli?

Plusieurs temps ont passé,
Les bolides toujours plus rapides
Les arrêts toujours plus nombreux
Les capuches baissées, 
Les peurs livides
Des actes malheureux

Amer


De passage

L’air frais de janvier s’enrichit aujourd’hui d’un vent vif amplifiant la sensation de froid dès lors qu’on se trouve exposé. Il n’y a rien de mieux pour s’en aller respirer le plein air que de se choisir un parcours un peu plus protégé. Quittons la côte exposée, prenons les chemins de traverses entre les haies, les bosquets, traversons ces hameaux aux maisons empilées, blotties les unes contre les autres, vieilles écuries transformées en habitats saisonniers, murettes basses et haies fleuries, c’est la nature qui résiste aux temps et aux frimas. Le corps enveloppé de plusieurs couches, les doigts couverts et la tête protégée, chaussettes épaisses et chaussures étanches qui accrochent bien la roche humide tout comme la boue des sentiers détrempées, nous voilà partis pour un tour qui n’en est pas un, mais au fond, doit-on toujours chercher à faire le tour de tout ? Etrange attitude de l’Homme, chercher la compétition, l’étalon à battre, un parcours de trois heures en faire en seulement deux et demi, et puis quoi ? L’important n’est pas le chemin ni sa longueur mais ce qu’il nous apprend et ce qu’il nous apporte. Nul besoin d’être en meute, à défier le chronomètre, à oublier dans les discours imbéciles le simple bruit du monde : un oiseau qui papille, un bruissement de feuille, un goutte à goutte de ruisseau, l’océan sur les rochers, le vent dans les arbrisseaux, la nature qui parle et raconte. Chose étrange, ici elle ne gémit pas, elle exprime et raconte, la lande, les terres, le sel, la mer, les Hommes, les peuples cachés sous les bruyères, les oiseaux de mer, la pluie qui s’invite, les pierres du sentier, tout est mélodie, discours et leçons, encore faut-il du temps, encore faut-il s’y inviter, loin des foules, loin du bruit artificiel. Que sommes-nous donc devenus pour n’être que des étrangers, des bourreaux de notre Terre ? Pourquoi ce désamour ? Pourquoi ce divorce ? Attitude supérieure de l’être le plus inférieur que la planète héberge mais pour combien de temps encore ?


S’enfuir sur une ile, loin du monde, n’est pas s’enfuir mais au contraire, se retrouver. Soi. Une ile est un château dont le pont levis est le bateau qui s’éloigne, dont les murailles sont ses belles falaises, dont les douves sont l’immensité des océans et dont le donjon n’est que le clocher du village. Isolement selon ses propres volontés, apaisement selon sa propre volonté. Plein air, chaque jour, quel que soit le temps ou plutôt la météo, mieux vaut éviter le quiproquo, le temps n’apporte rien, il n’est qu’un sablier imbécile qui d’ailleurs, ici se boucherait des cailloux qui le remplirait. Oublions le temps chronophage, vivons la météo, le ciel, l’eau, la terre, la vie dans ce grand ensemble cosmique qui devrait seul diriger nos vies. Marcher, sans but, écouter, respirer, regarder, sentir, toucher du bout des yeux ces terres immenses peuplées de mille espèces, se perdre entre ciel et mer, marcher et s’arrêter, parce qu’une trouée végétale a offert le regard sur la petite crique, parce qu’après la courte montée c’est les pierres grises du hameau d’avant le village, parce qu’un rapide arc-en-ciel est venu dire bonjour, parce qu’un bateau à la voile rouge passe près de nous, marcher, parce que c’est vivre, respirer et espérer que ce monde s’éveille enfin et comprenne que nous ne sommes que locataires et temporaires ici.


A jamais

Assis devant le monde, le regard perdu dans l’immensité, à peine quelques crêtes d’écumes s’en viennent souligner d’un trait de relief ces vagues molles d’un jour de janvier. L’air est frais, vif, mordant pourtant il est bienfaisant, respirable, il nettoie les poumons et emporte avec lui les pensées un brin morose. Quelques pas sur la côte, un sentier succédant au goudron des vieux chemins, quelques marches pour gravir le dénivelé d’un brin de falaise effondrée par les flots, des murailles de pruneliers et autres ronciers entre lesquelles il fait bon marcher puis enfin, posé comme oublié un banc face à l’océan, une invitation à voyager. Assis. Quelques notes de musique, le piano sonore aux notes posées entre deux silences pour accompagner le voyage et se laisser emporter. Loin. La foule n’est plus, la foule s’est tue, la foule adieu. Personne, que le vol précis des goélands, les cris des grisards attendant la pitance, que le souffle du vent dans les arbrisseaux. Symphonie. Le ciel est gris, de ces mille gris qui feraient tout à la fois le bonheur et le chagrin des peintres, difficile à cerner, à peine observer les voilà changeant. De ces couches de nuages voilant le soleil et venant se poser sur les flots à peine troublés qui feraient l’objectif du photographe, de ces grains de folies venant à peine mouiller la tête que déjà ils s’enfuient. Il n’y a pas de spleen, il n’y a pas de temps, parce qu’ici simplement le temps n’est plus, il file sans doute mais ici, il ne compte pas et on ne le compte pas. Bien sûr il y a le rythme des jours et des nuits, le rythmes des ouvertures des commerces et la sirène du bateau venant déposer puis reprendre ses flopées de voyageurs, seul lien entre le monde agité et la terre calme, ou plutôt, le caillou. C’est ainsi qu’il se nomme, caillou, un bout de roche poussée du fond des eaux, mais de son nom, il s’en fout, on ne vit pas pour un nom, un titre, on vit pour être. Soi. Ce jour frais et plus ou moins gris, combien préfèreront le passer au chaud, enfoui dans le ventre d’une maison à la chaleur presque suffocante lorsque l’on rentre enfin, aux senteurs de miel, de pâtisseries, de thés ou de chocolat chaud ? Combien resteront à
regarder derrière la vitre épaisse les cieux changeants oubliant d’y voir les mille reflets qu’ils savent faire défiler en un rien de temps ? Peu importe, tant pis ou tant mieux, c’est selon, il fait si bon gravir les sentiers comme bon nous semble, s’arrêter sur le vieux banc puis poursuivre la course qui n’en est pas une, pourquoi courir ? Nos existences ne valent rien de mieux que lorsqu’elles se posent, composent et prennent la pose qui s’impose devant cet absolu ravissement qui ne se révèle qu’à ceux qui en prennent le temps. La vie est ainsi faite : on nait, on grandit en voulant tout apprendre, tout voir, tout découvrir, on court pour accomplir cette mission, on entasse des images dans les tiroirs du temps, dans les albums d’images, dans les disques durs des machines puis un jour on s’assied, on regarde, simplement, on photographie du regard ces paysages simples et ouverts, on y fait sa mise au point et on sourit devant tant de beautés et de bienfaits. Simplement. Alors, dans le jour qui descend, on se lève, sans regret, sans affolement puis on rentre vers son port d’attache ou les amarres n’ont jamais été aussi relâchées, on goûte simplement ce trésor qu’on nomme ‘liberté. A jamais.





Le temps est un ruban d'écume

Les années passent, elles filent avec plus ou moins d’élégance, et si d’aucuns se mettent en transe et dansent à chaque changement du nombre au crépuscule de la pénombre, d’autres les regardent passer, sans regret, peut-on aimer une année achevée ? Les années partent, s’enfuient dans des mémoires, elles glissent et finissent par disparaitre, doit-on fêter la nouvelle née ou bien pleurer sur feu l’année ? Puis finalement, au fond, doit-on croire qu’une année démarre au 1er janvier, doit-on croire qu’elle se meurt sur son 31 ? Le temps est un ruban qui danse dans nos mémoires, c’est un cerf-volant voguant aux vents de nos évènements ; Tantôt il nous frôle, tantôt il nous caresse, tantôt il nous hérisse les poils, tout compte fait, il ne nous laisse pas indifférent. Indifférence ou pas, le temps vole et revient parfois nous toucher, parfois au propre, parfois au figuré, parfois au présent, parfois un vieux bout de ruban passé, toujours à temps mais il n’y a pas plusieurs ruban, il n’y a que le ruban du temps. Est-ce pour cela que le monde s’essouffle de ‘bonne année’ ? Tant pis et tant mieux, nul n’est besoin d’un minutage précis pour se rappeler que l’un existe et que l’autre se meurt, nul besoin d’un mois de janvier plutôt qu’un mois en fleur. Le temps est un ruban et nous sommes des papillons, volant de date en date pourvu qu’elle signifie quelque chose, une présence, un anniversaire, un souvenir.


L’armoire aux souvenirs croule sous les paquets enrubannés, il s’en échappe des senteurs différentes, des colorations variées et des mots d’un autre temps. Faut-il en clore la porte, la clouer au pilori ? Faut-il allumer un grand feu et mettre le feu à ces feux souvenirs ? D’autres paquets, d’autres rubans, d’autres étapes viendront alors occuper l’espace, nos vies ne sont que de grands escaliers où celui qui ne monte pas se vautre à la première marche, l’avantage étant de n’en point connaitre le nombre. Tiens, encore un nombre, au fil du temps, les nombres s’empilent, s’associent, se superposent et forment d’autres nombres que le grand ruban viendra désigner d’un pli que l’on nommera date ou bien rendez-vous, c’est selon. Oublions l’armoire, le lit, la chambre, oublions le refuge, le pavillon, le chalet, partons à la recherche du rien, c’est autre ruban qui parfois s’en vient, cette autre coquin qui se fait tout petit mais qui sait si bien apporter à nos vies ce tout petit rien. Partons respirer le grand air, allons près des falaises où s’époumonent dans de vagues relents ces flots d’écumes caressant les rochers. Ils cognent à grand fracas mais la roche résiste et tant mieux, sinon point de spectacle, nous ne serions que fétu sur un château de sable aux vagues agonissant. Le bruit, les saveurs iodées, les vagues, les gerbes d’écumes et le vent venant taquiner les cheveux rebelles, percer l’étoffe à toucher le corps. Alors le regard se perd dans la lande, les bruyères sont belles en cette saison, le paysage désert et les pensées voyageuses, oubliant un premier de janvier, oubliant une fin d’année, parce qu’au fond, ce qui compte, c’est bel et bien le temps présent, celui d’être ici, à jamais.