Regards


La neige comme un drap mortuaire recouvre toutes traces de vie, les paysages sont vides, blancs, livides à l’infini. Après quelques jours de gris, de sombres, voici venir l’azur bleu pur, le soleil resplendissant, l’absence des vents. C’est un froid sec et une belle lumière, rendue aveuglante par ce tapis immaculé qui donne à ce jour ses premières clartés. Le silence, presque assourdissant tant la neige étouffe aussi les bruits, modèle les sons comme les reliefs. Un jour différent, non, ce n’est pas un jour sans, c’est un autre jour, une autre vision de notre monde qui nous est offerte, la promesse d’un instant à quelques mètres, encore faut-il vouloir le voir, encore faut-il vouloir la cueillir.

Emmitouflé dans son manteau, une écharpe nouée, le béret vissé sur le crane, il referme la porte, délaissant le feu crépitant, le fauteuil moelleux, les accords mélodieux et la ronde des mots, il sort. Les doigts engourdis réclament les gants, le froid pique les oreilles et le nez trop habitués à la chaleur du foyer, ce froid vif mord plus qu’il ne pique, mais la nature est sublime, toute blanche, comme une mariée, elle s’avance devant ses yeux rieurs. Le regard, c’est la carte d’identité de l’âme, la seule empreinte qu’il soit offerte lorsque la tête est toute emmitouflée, seule l’expression des yeux, les plis des ridules donnent à l’autre les seules vraies réponses puisque venues directement du plus profond, oubliant tout travers ou tentative de contrefaçon. Le regard ne triche pas, il est né bien avant le corps, il en est le témoin, le gardien et le sémaphore, celui qui en délivre les messages, encore faut-il prendre la peine de s’y plonger. Tout est blanc, lissé par la brosse céleste, effacé le creux du chemin, recouvert le tas de bois, les arbustes, le mobilier du jardin, aujourd’hui il n’y a même plus de limite, le goudron tout comme le gravier de l’allée sont à l’unisson. Mais ce tapis n’est pas si vierge : quelques traces de vies sont creusées ici : les pattes d’un oiseau, la ligne empruntée par le chat, la neige creusée par un bec affamé, c’est la leçon de chose d’un matin tout blanc, bien plus amusante que dans les livres, ici, elle est vivante et se laisse deviner pour qui s’y attarde, pour qui se prête aux jeux des découvertes. Les pas crissent en écrasant le manteau blanc, comme des cailloux blancs ils trahissent les directions, ils tissent un fil d’Ariane tout au long de la promenade. Il marche, sans but autre que de se retrouver enfant, ébloui par la lumière, étonné par la neige, comme une première fois sans cesse renouvelée. Il marche et s’amuse de la fumée de sa respiration, de la majesté  des arbres dont les traits de blancs venus surligner la ramure et se détachant dans le ciel bleu pur révèlent bien plus la stature. La cheminée de la maison semble s’époumoner, délivrant ses panaches blancs à ce ciel vierge de nuages, les tuiles disparues sous un édredon de flocons rassemblés. Il marche, se retourne et emplit son regards de mille émerveillements, il savoure cet instant, plaisir éphémère qui mérite de quitter sa bulle de confort, magie du moment qui est venu, sans vraiment se poser et qui disparaitra dès que le soleil, plus haut, plus fort, brisera la glace, fera fondre ce paysage, dès que la terre avalera ce blanc trop présent, dès que les pas auront souillé ce monde immaculé.

Il continue sa promenade vers nulle part, il vit, il respire et il est heureux. De son âme d’enfant bien présente, il sourit à cette magie, à cette vie et à ces endroits loin des tumultes, et lorsqu’il faudra rentrer, lorsqu’il croisera ses propres pas en chemin, il rentrera ému de ces douces lumières et des ces paysages presque surnaturels, au fond, on ne voit jamais le monde qu’avec son propre regard, qu’avec ses propres yeux. Il n’est pas vraiment utile de le raconter, sachons juste le savourer et le pratiquer.



A quelques pas


A quelques pas du lycée,
A quelques pas du parking en sécurité
A quelques pas du passage protégé
Elle a traversé

Il faisait froid, Il faisait nuit
Bien emmitouflé dans sa capuche
Elle a traversé

Bien emmitouflé dans ses brumes
Elle a traversé

Derrière ses vitres trop sombres
Derrière ses vitres non dégelées
Il a déboulé

Un grand coup d’accélérateur
Pour qu’on remarquer son bolide
Un coup en plein cœur
Une peur livide

Puis plus rien
Le silence et le vide

Puis les cris, les pleurs, la peur
Un bolide enfui
Une enfant endormie
Le visage pâle et fermé
Sur le bitume glacé

A quelques pas du lycée
Un parent trop pressé
Un parking oublié
Une famille brisée

A quelques pas du lycée
Une voiture embuée
Rapide et sans visibilité
Une vie tuée

Faut-il être dupe ?
Manquer de tant de temps
Pour jeter ses enfants
Et rendre leur joie caduque

Faut-il être con ?
Manquer à ce point de neurones
Pour jouer les fanfarons
Et finir en prison ?

A quelques pas du lycée,
Un parking sécurisé
Un tout petit détour
Pour préserver ses amours

Au pied de la cité
Un parking goudronné
Où prendre le temps
De nettoyer ses vitres et y voir en grand

A quelques pas du lycée
Jamais arrivée
Partie sans un baiser
Insouciante envolée
Cauchemar insensé

A quelques pas, 
Juste quelques pas...
Valaient-ils une vie?
Valaient-ils l'oubli?

Plusieurs temps ont passé,
Les bolides toujours plus rapides
Les arrêts toujours plus nombreux
Les capuches baissées, 
Les peurs livides
Des actes malheureux

Amer