Une bouteille à la mer

Le vent souffle et grossit les vagues, la pluie fine trouble la vitre de la fenêtre de toit, la maison grande et silencieuse résonne des derniers accords de piano une dernière fois, c'est un dimanche matin comme un autre, ou pas, chaque jour est différent, chaque jour s'apprend, se vit, s'aime. Le moment est propice à l'abandon. Une page pleine à lire, une page vide à écrire, nos vies sont ainsi. Entre hier et demain s'étale aujourd'hui. Choisir la vie, choisir l'écrit, choisir les cris des mots que la plume semble arracher au papier. Choisir car la vie n'est faite que de choix. Sans connaitre la fin, sans savoir forcément pourquoi, nous sommes ici et maintenant, désireux d'apprendre, d'avancer, de connaitre d'être et loin d'avoir. L'automne est bien là même piqué de quelques jours d'été, de coup de chaud à peine trahi par des jours courts, des lumières rases qui caressent l'horizon, des instants que nous tentons de capturer à coup de pixel et de photographies. Ici et maintenant. Nos vies sont des bouteilles à la mer, jetées dans les vagues de l'ennui, voguant à l'infini sur des océans d'aventure, elles flottent comme des bouchons, visibles, invisibles, sans jamais vraiment couler même si parfois il nous arrive d'avoir le mal de mer d'être tant ballotté. Parfois une vague nous submerge, et nous touchons le fond, non pas de notre vie mais celui de notre coquille de verre, pourtant nous nous sentons tellement écrasé, tellement anéanti que nous avons la volonté de disparaître, de plonger dans les abysses et de fuir la lumière. Parfois au contraire, c'est l'euphorie qui nous fait surfer sur la vague, nous irradie de soleil et nous réchauffe le cœur et le corps. Parfois c'est la vie paisible, le calme plat entre deux vagues, nous divaguons. Soleil ou ciel gris, de jour comme de nuit, nous laissons nos vies dériver sans essayer d'en prendre le contrôle. 



Le hasard. La bouteille dérive et vient s'échouer sur une plage ensoleillée bordée de cocotiers. Le hasard. La bouteille vient se briser contre les rochers d'un archipel déchiqueté où les vents froids et glaciaux s'abattent quotidiennement. Le hasard. La bouteille navigue sur les flots, portées par les courants elle vogue et traverse les océans sans jamais se poser. Le hasard. Le hasard, c'est aussi de pousser la porte, pousser le bouchon et se jeter à l'eau. Apprendre à nager, choisir son cap, rejoindre la rive et vivre par soi-même et pour soi-même à l'endroit que nous choisirons, apprendre à vivre et à être soi. Il n'y a pas de hasard, jamais, il n'y a que des moments et des regards différents que nous portons sur ces moments-là. Apprendre à s'échouer, c'est apprendre à échouer, à apprendre de cet échouement, apprendre à se relever, apprendre à apprendre. La vie n'est qu'un grand escalier où chaque marche s'apprend, se comprend, se gravit, par notre propre évolution, nous progressons, nous gravissons notre vie, c'est un peu notre montagne, et peu importe qu'elle soit colline, dune ou grand sommet, la véritable leçon est dans le chemin et non dans le terme du voyage. Osons sortir de notre bouteille confortable, osons respirer l'air du large, osons vivre, tout simplement.



Le vent souffle et la pluie rafraîchit les joues tout autant que le jour, il fait bon marcher et respirer ce grand air, il fait bon embrasser ces mille couleurs, ces nuances de gris sans cesse changeantes, il fait bon savourer ces instants présents. Le moment est propice à l'abandon, s'abandonner à soi. Etre soi. Respirer. Vivre. La bouteille s'est posée. Elle ne s'est pas échouée. Elle n'a pas échoué. Bon vent.