Quoi
de plus important que le silence ?
Ne
dit-on pas « le silence est d’or » ? Pourtant, combien il est
difficile d’entendre les silences et malheureusement, combien il semble de plus
en plus difficile de respecter les silences. Est-ce le penchant trop branché
communication de notre société qui en est la cause ? Sont-ce la densité et
le nombre des réseaux sociaux déployés et utilisés qui provoquent cela ?
Malgré cette relative « visibilité » nous sommes tous des cétacés dérivant
à la grande surface des océans, ce n’est pas parce qu’on se pointe de temps à
autre dans le périmètre de tel ou tel réseau, forum ou autres que c’est là la
totalité de notre existence. Cela parait évident du côté du vivant, cela semble
l’être moins du côté des grands navigateurs auxquels de temps en temps on peut
souhaiter bon vent, tout simplement parce que eux naviguent et que nous partons
en plongée dans les grandes profondeurs des océans de la vie. Silence.
Marcher
au cœur de la nature, voir la vie sous mille formes, l’écouter en silence,
c’est respecter ce monde merveilleux malgré notre intrusion, c’est aussi
prendre conscience de la géographie invisible des lieux, ce ruisseau qui se
laisse deviner par sa mélodie, mais aussi la population bien cachée,
sifflements de marmottes, cri perçant de l’aigle, sonnailles lointaines de
troupeaux en estive. Savourer ces instants, faire silence et écouter les autres
sons, ceux si légers qu’ils finissent par s’envoler loin de nos oreilles trop
urbaines. Comment peut-on marcher au cœur de la nature les oreilles bouchées
par des écouteurs crieurs de sons synthétiques ? C’est une mode urbaine
qui s’en vient de plus en plus dans nos montagnes, chacun est libre de ses
plaisirs et déplaisirs mais vivre à plein sens l’expérience du moment est déjà
inespéré pour bien vouloir y consacrer l’attention nécessaire, c’est une belle
leçon d’humilité devant la nature, une émotion intense qui se mérite et se
médite en silence. Il est rare de disposer en permanence de nos cinq sens, il
suffit de marcher de nuit pour voir combien la vision défaillante cherche à se
compenser par l’écoute aux aguets, par le toucher mis en avant, par le silence
quasi religieux pour ne pas troubler l’audition. Silence.
Une
pause dans la vie, une pause d’envie, ce n’est pas forcément un repos ni un
dépit, sortons des clichés, cherchons à voir le monde dans sa globalité,
l’humain dans ses complexités, la vie dans ses milles richesses et facettes.
Une pause, déconnecté, débranché, « aux abonnés absents » selon la
formule consacrée, une forme de retour à l’ancien temps, là aussi, difficile à
comprendre dans notre monde par trop câblé, relié où le « je t’appelle,
donc tu réponds » sonne comme une évidence, mais non, le monde n’est pas
que cela et il n’est nul besoin de grimper tout en haut de la montagne ou de se
réfugier au fin fond d’un monastère pour éprouver le silence et le besoin de se
retrouver. Là encore, il n’est nul besoin de méditer profondément pour cela,
s’accorder du temps, se donner à ses passions, accomplir quelques travaux, se
lancer dans ses propres défis, sans connections aux bruits extérieurs juste
l’accompagnement musical et nos propres bruits, ceux qu’on génère de manière
inconsciente ou tellement consciente qu’ils nous sont sortis de la tête, ceux
des outils utilisés, le glissement feutré d’un pinceau sur le mur, le bruit
sourd de la goutte de peinture préférant le sol au mur juste précédé d’un grand
cri du cœur qu’on ne peut réprimer… Silence.
Et
puis il y a les silences non voulus, les silences d’émotions, ceux qui prennent
place là où les mots ne trouvent pas la leur. Les grandes douleurs sont muettes
parait-il, mais à vrai dire, elles n’ont pas besoin d’être grandes pour nous
réduire au silence. La vie est faite d’arrivées et de départs, certains départs
nous laissent hagards, surtout lorsqu’ils se succèdent dans les mêmes rangs d’une
même famille, décimant l’un après l’autre les membres qui nous sont forcément
chers. Ainsi va la vie, elle donne, elle reprend, elle insuffle joies et
peines, courages et abattements. Silence.
Exister.
Mais exister autrement. Exister pleinement. On peut naviguer sur les océans et
soudain apercevoir des dauphins sautant devant l’embarcation. On ne peut en
déduire que la vie des dauphins est de sauter aux devants des bateaux. Les
dauphins ont besoin de calme, de parties de chasse pour se nourrir, de plonger
en eaux claires comme en eaux troubles, de rires, de chants, de jeux. Les
dauphins sont des mammifères, tiens, comme l’Homme…. Etrange ? Non, pas
tant que cela. Silence…….