Il va faire beau

 Etrange monde, le visible mis à l’arrêt par l’invisible, le souffle de la vie intoxiqué par le souffle de la mort, le monde réel devenu un monde viral où nous virons tous, où nous virons tout, où nous vivrons quand bien même. Ce n’est qu’un coup d’arrêt, un coup derrière, un stop and go pour parler moderne, une mise à l’arrêt, une mise aux arrêts, une pause. Hors du temps, pas longtemps, loin du temps, pour longtemps, hors de nous, pour un moment, hors de tout, pour un temps. C’est quoi la vie ? C’est quoi l’utile ? c’est quoi l’inutile ? A trop courir on en oublie de marcher, à trop marcher, on en oublie de rêver, à trop rêver, on en oublie de vivre, de respirer. Mais ce monde est puissant, savant, tout le monde sait tout, tout le monde sait ce qu’il faut faire ou plutôt ce qu’il aurait fallu faire puisque désormais l’ordre est dans le désordre, l’avis domine sur la vie, on sait, on tranche, on se libère, on crie, on contredis, on prend la parole, on justifie, bien à l’abri derrière des pseudos, derrières des pseudo-vies, derrière un écran, on tweete, on publie, on existe et on sait. Comment le monde tournait sans les ondes, sans les deux ou trois ou quatre ou cinq jets ? Sans les troubles faces des écrans livides, sans les coups de gueules médiatisés sur l’instant, coupés au montage, démontés, remontés, transformés, la nouvelle s’emballe devient une coquille, vide de sens, vidée de ses instants, reconstruite à la hâte pour être vendue, déchirée par la concurrence, elle se travestit et devient news. Essentiel, non essentiel, les étiquettes valsent, les petits trinquent, les plus gros pensent survivre mais le rouleau compresseur écrase les anciennes règles, aussi sec s’affichent les nouvelles, à la peinture fraiche mais non délavée, le monde accélère et l’internet des objets laisse la place aux objets sur internet. Le virtuel bouffe le réel. Un petit clic pour une grande claque, exit le coin de la rue, voici venu de l’autre bout du globe le graal enfoui si près d’ici sous les couches de plastique opaque. Périmé, périssable, péril puis périr. Cimetières en rayons, des caddies alignés comme une procession en repentance pour le monde d’hier, mais pourquoi une particule invisible venue d’on ne sait où, après avoir bouffé nos bronches s’en vient scier nos branches d’un commerce local ? Stratégie du vide, politique de la terre brûlée, le monde se replie, les vies se cloisonnent, la seule lueur vient de l’écran, le clic salvateur qui permet de survivre, parce que le proche est devenu lointain, parce que le couperet est tombé, parce que le monde n’est plus qu’une ombre toussotante, allons, tout aux tentes. Cotons tiges bien enfoncés, restons négatifs face aux positifs, restons positifs face aux négatifs, l’ombre plane, le monde lui a besoin de lumière, le monde luit, de la lumière, du soleil, du plein air, riche en vitamine, des énergies cosmiques dont vient pourtant la santé, de quoi faire tousser le toussoteur, de quoi bruler les ailes du virus. Quittons un instant l’écran, prenons l’air, assis au soleil ou bien quelques pas à la lumière naturelle, profitons des rayons de soleil, regardons la pluie tomber, les feuilles se détacher de l’arbre pour s’enrouler dans une spirale mortelle. Mortelle ? Non, une transformation. On ne peut être sans avoir été, on renait toujours après la plongée, dans une grande respiration. Le jour succède toujours à la nuit, la lumière sera demain au bout du tunnel. Il est normal d’avoir peur, de craindre, de refuser le changement de règle du jeu. Il est important aussi de préparer demain parce que le plus beau dans une randonnée n’est pas le but mais le chemin. Alors oui, on est à l’arrêt, c’est le bon moment pour préparer son sac, pour refaire ses lacets, réviser la carte de notre vie, vérifier si jusqu’à présent nous étions sur le bon chemin, notre bon chemin, pas celui indiqué, pas celui imposé, pas celui d’un autre, non, le sien. Notre chemin. Bientôt. Soyons prêt. Il va faire beau.