Parenthèses


Bientôt un mois de vécu dans cette nouvelle année, bientôt un mois de vaincu dans cet an plus tout neuf, trente jours et toutes ses choses qui sont venues en garnir les jours. Dire qu’il y a peu encore, on parlait de fin du monde, de tragiques événements, de lieux mystiques comme points de survie, et puis… Et puis la vie a continué, et puis les pôles sont restés bien alignés, et puis, nos chères Pyrénées sont les montagnes les plus enneigées de toute l’Europe. Mais bordel, il est où ce réchauffement climatique ? Serait-ce donc cela la fin du monde, celui des superstitions, celui des thèses et des antithèses ? Celui des parenthèses ?

Au moins pendant quelques instants le monde a songé qu’il pouvait ne plus être, et les êtres ont pensé qu’ils pouvaient n’être plus. Quelques instants, c’est peu dans une vie, mais parfois, cela peut-être suffisant, pour avoir le déclic, pour prendre conscience, c’est aussi cela la vie, un impondérable, un accident, un incident, une rencontre, un déclencheur pour éveiller l’esprit. A chacun ses méthodes, ses croyances, ses envies, et si certains se cherchent un gourou, si d’autres se mettent à entendre les soucoupes voler, ce n’est que parce qu’il ne sert à rien de faire tous le même métier. Par contre, quel que soit le métier, quelle que soit la voie choisie, pour bien faire les choses, toute profession, fut-elle de foi, nécessite d’être pratiquée avec l’amour du métier. Faire les choses sans amour ne rime à rien, pire, cela ne sert à rien. Sans conviction, sans entrain, sans volonté, vous êtes la proie de votre activité et non le moteur. On ne peut pas soigner sans aimer, on ne peut pas tendre la main sans aimer, on ne peut pas vivre sans amour mais au fond, c’est quoi l’amour ? Des auteurs, des philosophes, des poètes l’ont étudié, disséqué, expliqué, résumé, chanté, mise en vers, vous n’avez qu’à fouiller un peu parmi vos liens, chacun trouvera la définition qui lui convient. Et c’est tant mieux. Tant mieux, parce que nous sommes tous différents, parce que les amours sont tous différents, et parce que différents ne fait pas de différence entre les gens mais dans leur manière de voir, de comprendre, d’analyser et d’aimer. Tant mieux parce que nous ne sommes pas des robots, n’en déplaisent aux tristes sires des épurations ethniques entachant l’Histoire depuis la nuit des temps. Tant mieux, parce que nous sommes différents mais aussi semblables, nous sommes certes différemment semblables mais semblablement différent. Je vous assure qu’il n’y a aucun jongle là-dedans, juste une vérité qu’il convient de bien prendre en considération lorsqu’on s’approche des rapports humains, sans s’éloigner du sujet. C’est pourtant si simple dans la littérature de parler de personnes que tout oppose ; Pourtant, à bien voir les choses, si cela les oppose, c’est bien que cela les réunit, non ? Une opposition serait bancale sans son opposition, non ? Un exemple, qui n’a rien de politique, quoique, vue l’actualité…. On parle de bien de sexe opposé, non ? Alors, doit-on s’opposer au sexe ? Je pense bien que, dans la majorité des cas, les sexes opposés se rassemblent et même parfois s’assemblent. D’ailleurs, même dans les groupuscules de même sexe, je ne pense pas qu’ils soient opposés au sexe….  Vous voyez ? Ok, je ferme la parenthèse.

La seule force véritable qui animera ce monde est l’amour. L’amour de faire les choses, l’amour qu’on met dans notre vie, l’amour au sens le plus large qu’il soit et non la vision trop restreinte que l’on veut bien en donner trop souvent. C’est cet amour qui fait rayonner les visages, qui déclenche les sourires, qui égaye la voix de souriants trémolos, qui plissent le coin des yeux à vous en faire péter les pattes d’oies, cette joie simple et sans calcul, ce sourire attendrissant qui ne demande rien mais reçoit tellement en retour. Dans chaque situation, fut-elle désagréable, il y a toujours deux façons de réagir. Œil pour œil et dent pour dent, c’est biblique et même d’avant, le sang répond au sang, la colère à la colère, les mots aux mots, les maux aux maux. Cercle vicieux sans fin si ce n’est la destruction des deux parties, car dès lors, même le vainqueur ne peut-être que vaincu, trop d’énergies dépensées pour ne s’être que replié, que ne s’être crispé, ratatiné au point d’exploser et de se détruire soi-même. L’autre façon, n’est pas la plus simple, du moins, pas la première fois, ni la seconde d’ailleurs, elle requiert du temps de l’exercice et de l’amour. Elle requiert d’oublier le choc reçu, de comprendre et d’entendre la colère qui s’exprime, d’en poser les bases sur lesquelles la discussion pourra démarrer, se construire, s’étoffer, remettant tout à plat, et par le ciment de l’amour, construire le phare qui viendra apporter sa lumière sur tant d’incompréhensions. En quelque sorte, mettre l’agressivité entre parenthèses, et oser vraiment construire ne serait-ce que des mots, des mots vrais, c’est déjà beaucoup. Lorsqu’on aime les gens, lorsqu’on essaie vraiment, la couleur du monde en devient différente, un autre couleur, une autre lueur, un début de lumière et lorsque le feu prend, une contagion où l’amour devient religion. C’est peut-être pour cela que les religions prêchent l’amour, mais elles ne sont que folklore, elles ne sont que codifications par les hommes pour mieux gouverner les hommes, elles n’ont rien de divin, d’ailleurs, le divin ne serait pas divin s’il n’était en chacun de nous. L’homme prie son dieu pour lui donner la force qu’il n’a pas confiance de se donner directement. Le jour où il aura conscience de cela, ce jour là, la force sera avec lui. Il n’y a pas de blasphème mais simple vision, celle-là même partagé sans doute par Saint Augustin qui lorsqu’il dit « Si vous ne connaissez pas de prière, inventez-la » ne dit pas autre chose :Vous n’avez pas besoin de code pour faire par vous-même ce dont vous avez envie, la prière n’a rien de religieux, c’est une méditation avec au besoin quelques formulations ni secrètes, ni magiques pour mieux vous centrer et vous connecter avec votre guide, votre ange, votre esprit, bref tout ce qui est nécessaire de situer hors de soi par peur de le savoir en soi. Vous doutez ? Un petit exercice simple, qui ne vous prendra que quelques instants. Que vous soyez fatigué ou bien énervé, ce qui est de toute façon une autre forme de fatigue, installez vous confortablement, allongé, debout, assis, sur le sol, un lit, un fauteuil, fermez les yeux, écoutez-vous respirer, comptez vos respirations, jouez avec elles, sur un cycle de quatre, quatre inspirations en comptant un, deux, trois, quatre, puis retenez cet air dans vos poumons, toujours sur un, deux, trois, quatre, puis soufflez lentement, toujours sur un, deux, trois, quatre, puis gardez vos poumons vidés, toujours sur un, deux, trois, quatre, et reprenez cela sur plusieurs cycle, jusqu’à être familier de la chose, et alors, visualisez un paysage que vous aimez, de la chaleur, une couleur comme l’orange… Puis, doucement, laissez partir le paysage et ouvrez vos yeux. Une courte pause qui aura durée une éternité, une courte détente qui vous aura régénérée. Tout cela, par votre choix, par vos choix, celui de faire l’exercice, celui du lieu, de la position, du paysage, des couleurs, en somme, vous êtes mieux parce que vous avez choisi de l’être et de faire….une parenthèse…. Une parenthèse ouverte ? Mais c’est le monde à l’envers !

Parce que...


La vie c’est quoi ?
La vie c’est avoir une famille, une maison, un jardin, une piscine, un chien, des chats, la vie c’est avoir des vacances, l’hiver ici, l’été là-bas, la vie c’est avoir une belle voiture dans le garage, des rêves plein les étagères, … Non, ce n’est rien de tout ça ! La vie, c’est un morceau de bois dans lequel viennent se planter des clous à chaque coups reçus, des petits clous, des gros clous, des petits trous, des gros trous, des petits coups, des gros coups, des coups qui fragilisent, des coups qui transpercent l’écorce, le bouclier, des coups qui fragilisent, des coups qui détruisent et même si avec le temps certains clous finissent par rouiller, finissent par tomber, et même si par remord des clous enfoncés sont arrachés, il reste toujours une marque, une trace, une blessure. Et le bois de la vie doit composer avec, et le bois de la vie doit exister avec et sans, et c’est ainsi que se transforment nos vies. Pousse une nouvelle écorce, plus épaisse, un bouclier plus lourd, mais dessous, les blessures restent, la vie reste marquée. Cela n’empêche pas l’arbre de grandir, mais il grandit différemment, cela n’empêche pas les branches d’aller chercher le soleil, mais en dessous, le tronc est abimé.

Les rendez-vous manqués… Qui n’a pas manqué de rendez-vous ?
Parce que on n’avait pas le temps, parce qu’on était pressé, parce qu’on avait d’autres choses à faire, d’autres priorités, parce que ce n’était pas le moment, parce qu’on a eut peur, parce qu’on a refusé, parce qu’on n’a pas osé, parce qu’il y a toujours mieux à faire, parce qu’il vaut mieux faire autre chose, écrire, envoyer un petit mot, composer un message, …. Pourtant, ce temps qui nous manque pour toutes ces attentions aux vivants, c’est bel et bien le temps que l’on trouve lorsqu’il s’agit de rendre hommage et dire au revoir une dernière fois, peut-être parce qu’il est plus facile de pousser la grille du cimetière que la porte de la maison, parce que soudain on a le temps, parce que soudain on a pris le temps, tout simplement. Ainsi va la vie et ainsi va le temps et dans tous nos rendez-vous manqués, certains sont manqués à jamais parce qu’il n’existe pas deux moments de temps identiques, parce qu’il n’existe pas deux fois la même opportunité. Alors oui, les rendez-vous sont manqués, les rendez-vous furent manqués, mais de tout cela, il reste des trace et de tout cela il reste un espace, une place dans la mémoire, non pas une place pour la rancœur, non pas une place pour la haine, non pas une place pour un regret, sentiments futiles, inutiles, destructeurs, imbéciles, parce qu’ils ne sont ancrés que dans un passé, non, la place de la mémoire, elle est pour le présent, elle est pour le futur, elle est pour les temps à venir, et plutôt que de se dire « et si j’avais eu le temps », et plutôt que de se dire « et si j’avais pris le temps » et plutôt que de se dire « et si j’y étais passé », et plutôt que de se dire « et si on s’était vus » mieux vaut se dire « on va prendre son temps, on va réaliser la futilité du présent, que les êtres présents existent au présent, qu’on ne connait pas le futur, c’est aujourd’hui et maintenant qu’il faut agir » et bien sûr la vie reprend, et bien sûr la vie refait ses courses, et bien sûr la vie nous bouffe le temps, parce qu’on a le temps, parce qu’on a toujours le temps, toujours le temps, toujours… Des rendez-vous manqués on en a tous. Des images du passé on en a tous, des bouquets d’immortelles sur une pierre froide, on n’en a tous. Pied de nez.

Le présent est une richesse, le présent est un cadeau, le présent est un présent. Souvenez-vous-en. Et aux peurs, toujours imbéciles, et aux rancœurs toujours malhabiles, et aux manques de temps, encore plus débiles, faites face et remettez les à leurs places, laissez leurs prendre leurs bon temps hors de votre temps. Car la vie c’est quoi ? La vie est un concept dont chacun écrit les lignes, dont chacun choisit les axes, et dans ce mode de vie-là, il y a des têtes pleines, il y a des têtes vides, il y a des têtes brulées, il y a des casse-cous, il y a des casse-couilles, il y a des casse-têtes, l y a des problèmes et des défis et dans tout cela, dans chaque bonheur, dans chaque emmerde, il y a la vie. Alors oui, la vie est une belle chose, une enveloppe ; Une enveloppe que chacun emplit à sa guise, chacun est libre de la remplir ou de la laisser vide. Et dans cette vie, faite d’errance, faite de souffrance, faite de bienveillance, faite de générosité, il y a du temps, toujours du temps, il y a des priorités, toujours des priorités, il y a des impératifs, toujours des impératifs, il y a des facultatifs, toujours des facultatifs, mais pour chacun d’eux, c’est vous seul qui décidez, ce que vous déclarez en facultatif, ce que vous déclarez en impératif, ce que vous mettez en priorité, vous qui choisissez votre temps, bref, vous et vous seul, qui êtes le moteur de votre vie et de votre vie seule. Dans les casse-cous, les preneurs de risques, il y a les trompe-la-mort qui dévalent à toute vitesse les pentes de leurs vies, cherchant la dose d’adrénaline dans un "run" ultime, il y a les casse-cous de l’amour qui vont s’enfermer dans des histoires qui tourneront toujours court, qui rêvent, qui fantasment, qui espèrent sans jamais oser pousser la porte, sans jamais dire « je t’aime », parce que "je t’aime" sont les mots les plus lourds, les plus durs de la langue française, parce que ce sont aussi des mots mal utilisés, mal employés, galvaudés, parce qu’on oublie de dire "je t’aime" aux gens que l’on aime vraiment, parce qu’on a toujours le temps, parce que « oui, non, là, je ne sais pas », la pudeur étrangle la voix, « c’est promis, je le dirai demain, la prochaine fois »  ce demain, cette prochaine fois qui un jour ne vient pas, ne vient plus. Il y a des "je t’aime" qu’on dit, non pas sans les penser, mais plutôt sans les vivre pleinement, sans les cultiver, sans les entretenir, parce qu’un "je t’aime" c’est fragile, ça s’entretient, un "je t’aime", ça se soigne, ça ne se jette pas comme ça, à la bouche du premier venu, ni au visage d’une quelconque entrevue, mais parce que dire "je t’aime"  à une pierre froide, c’est vraiment pas ce qu’on fait de mieux, parce qu’un "je t’aime" qui se conjugue à l’imparfait c’est encore plus vide qu’une absence de mot, c’est encore plus vide et plus froid que l’absence, que le manque.

Alors oui, oui, il va falloir que l’humanité apprenne à dire "je t’aime", il va falloir que l’humanité apprenne à vivre avec son temps, à composer son temps, à quitter la passivité devant la course des aiguilles, pour redevenir actif, pour redevenir acteur, pour redevenir vivant, pour vivre, pour espérer, pour prendre le temps, pour oser mais pour oser vraiment, parce que dans toutes les réponses de votre vie, celles que vous avez déjà en vous, c’est le "non", pourquoi diable, avoir peur d’aller chercher le "oui" ?

Quelques pas


Quelques pas de plus, quelques pas en dehors du sentier, quelques pas dans l’épais maquis qui bientôt dévoile des sentes animales et des parfums exquis, quelques pas encore et c’est le bord de la falaise, ce bloc de roches grises taillées à la hache qui surplombent l’étroit défilé, et tandis que le corps lutte contre les vents violents, ce sont les yeux qui n’en peuvent plus de s’abreuver de paysages. Encore un jour, encore une course, encore un petit groupe à qui faire découvrir les beautés et les trésors de ce tas de cailloux, encore une fois mais pas la dernière fois, d’ici il ne se lassait pas. Chaque saison avait son secret, son accord dominant, et si aujourd’hui le thym l’emportait, ce n’est que par abandon en pur repos végétatif des autres hôtes de ces lieux. Un véritable terrain de jeux, peu fréquenté, dont il avait appris les passages, les ficelles et les codes, avant d’en réciter l’alphabet de la botanique locale dans les deux langues officielles du pays, le français bien sûr, le patois local bien plus figuratif, et au diable le trop savant latin sauf en quelques plantes dont la désignation érudite l’avait marqué.  La beauté des virées ici, c’est qu’elles n’avaient pas de hauts sommets à vaincre mais pesaient tout autant quand même dans les mollets. Leurs richesses, c’étaient de traverser mille paysages en l’espace de quelques kilomètres. Leurs plus, c’étaient de réjouir aussi bien l’odorat que la vue, de se sentir explorateur plutôt qu’un énième randonneur sur les traces usées d’un sentier bien trop marqué. Sans compter que chaque pas apportait un nouveau regard sur tel ou tel village, sur telle ou telle plante, sur ce vieux château, cet ancien prieuré, cette bergerie en ruine, un pays de frontières entre templiers et évêchés, une terre d’histoire qui s’endort sous le soleil et les parfums.

Quelle que soit l’occasion, seul ou accompagné, à deux ou à plusieurs, c’était toujours un plaisir, un bonheur de venir ici. Un lien invisible et secret entre garrigues et sang, entre parfums et pensées, une sorte de remise en forme, sportive sans en avoir l’air, secrète mais nécessaire. Le temps avait beau passé, les sentiers avaient beau changer de place, c’était toujours le même attrait et le jeu, le défi suprême, reconnaitre l’éperon rocheux, le pin un peu plus courbé qui donnait la direction pour le passage secret, bien loin des sentiers de grandes promenades. Quelle joie de se poser là, de sortir son repas du sac et de gouter mille saveurs en même temps, par tous les sens qu’il nous a été donné. Venir à l’aube, voir le soleil se coucher, sous la pluie légère qui exhale les parfums, sous le soleil de plomb qui brûle les essences, chaque fois une nouvelle fois. C’est l’art de jouir de ces sens dans tous les sens, certains endroits vous attirent peut-être plus que d’autres, peut-être par votre vécu, peut-être parce que tout simplement les connexions s’opèrent mieux, la communion avec les éléments, avec la nature, le besoin impétueux d’y recharger ses sensations, ses énergies, ces endroits qui sont vos endroits parce que tout simplement vous êtes bien ici. Lui, c’était là, entre maquis, garrigues, barres rocheuses et pinèdes, vignes et petites routes, de ces coins qu’on qualifie d’arides et de déserts avant d’avoir osé y poser le pied. Des trésors aux portes de la ville, c’est ainsi, peu les connaissent, peu les fréquente, mais quel bonheur il avait d’y venir marcher, encore plus de le partager…

Une pause sous le grand arbre, antenne à cigales pour se laisser bercer des crissements d’acier, le soleil s’amuse à chauffer plus fort pour que les belles augmentent le rythme, une buse décrit de larges cercles au-dessus d’une vieille vigne, les joies simples de la faune et de la flore, de la vie tout simplement. Allez, un peu de courage, la course n’est pas finie, il faut reprendre la marche, rechausser le sac et filer entre les cairns balisant l’ancien tracé. Un gros lézard vert à la gorge turquoise file se cacher sous les pierres, regrettant de laisser sa pierre chaude mais fuyant le danger de l’homme. Triste conséquence d’un homme prédateur ou simplement tueur, par jeu et par ennui, par peur et par connerie, au final, l’animal fuit pour se protéger, et l’homme qui marche perd une occasion de voir ce délicat spectacle de cet animal hautement coloré et devenu si rare… Il faut savoir approcher en silence, se servir du zoom et de son appareil pour bien le photographier et le voir mieux par la suite… Un peu de patience et de discrétion que diable ! Marcher hors du temps, comme il avait appris à le faire… Prendre le temps dans le temps, c’est s’offrir du bon temps, tout simplement….

Quelque part...


Que serait la vie si nous n’y mettions la vie à l’intérieur ? Une coquille vide ? Une porte fermée à double tour ? Mais celui qui s’isole le plus n’est-il pas celui qui n’ose pas franchir le seuil ? On peut aider, on peut aimer son prochain, cela ne portera ses fruits que si l’autre est enclin à recevoir, prendre et partager, et s’il est à son tour capable de donner, d’aider et d’aimer, alors ce n’est pas une porte qui s’ouvrira mais des barrières sur le monde qui disparaitront. Peur ou pudeur, elles ne sont que mauvaise conseillère, elles ne font qu’empêcher d’avancer, d’être mieux et de se sentir mieux mais il est difficile de les vaincre parce qu’elles trouvent racines au plus profond de soi. C’était bel et bien ces réflexions qui l’avaient conduit un beau jour à tout plaquer dans cette société trop industrielle et trop impersonnelle pour retrouver l’essence de la vie, une vieille bâtisse dans un coin paumé en bordures d’un sentier, sur ces chemins qui sont bien plus des chemins de spiritualité qu’un itinéraire simple pour se rendre à Saint Jacques de Compostelle. D’ailleurs, n’était-ce pas là un signe de recherche de soi que toutes ces errances venant parfois en souffrance arpenter ces chemins de rochers ?

La maison était saine, il avait suffit de pas grands choses pour la rendre habitable, mais le trésor était dans sa vieille grange attenante, dont les greniers à foin avaient libéré un vaste plateau, qu’il avait sommairement aménagé en dortoirs et leurs commodités attenantes. La grande pièce à vivre et son immense table prenait dès lors tout son sens, accueillir, partager, échanger, bien plus que nourrir, et plutôt qu’un lieu de vie, c’était un carrefour d’échanges, chaque soir un nouvel arrivant, chaque soir un groupe différemment constitué, parfois certains pris au jeu des mots échangés restaient plusieurs jours, histoire de retrouver des forces, mais surtout, cueillant là le précieux d’une vie : la richesse des partages, les discussions mais aussi les lectures de quelques livres jamais fatigués d’offrir leurs savoirs à des paires d’yeux sans cesse changeant. Des oboles reçues, c’était bien sûr les repas qui en consommaient le plus, mais aussi les travaux, l’amélioration des conditions, les agrandissements car à force de bouche à oreille, à force de pèlerins en mal de spiritualités, le plus dur était certains soirs de devoir refuser le gîte. Les soirées un peu fraiche, la cheminée brillait d’une belle flambée et chacun s’approchait pour s’abreuver de lumière et de chaleur, avant ou après la soupe chaude, parce que marcher sur ces chemins restent malgré tout un effort, parce que pour beaucoup les kilomètres finissent par peser de leurs douleurs, un peu de chaleur, un peu de réconfort, se sentir comme à la maison,  c’était tout de même bienfaisant. C’est étrange combien les gens changent. Les godillots aux pieds, le sac sur le dos, les voilà randonneurs, marcheurs, détendus, aptes à voir les variations de verts, la dentelle d’une feuille de chêne, joyeux d’humer les parfums d’herbes, de discuter avec les personnes rencontrées, d’ouvrir la porte de leur cœur en toute décontraction ; En tenue de ville, les portes sont fermées à double tours, on aboie plus qu’on ne parle, on ne salue même plus ses voisins. Tristesse. Pourtant, quel que soit le costume, l’habit, c’est le même être, la même personne, comment peut-on être si différent ? Parfois il y songeait, en se rappelant ces années d’avant la vie ici, le boulot, les bouchons, les collègues, les clients, les courses, les visages fermés sauf en quelques échappées sportives ou associatives, et encore, même là la sinistrose gangrénait peu à peu les tissus sains. Aucun regret, c’est ici qu’il est et qu’il l’est vraiment. Le temps n’avait plus de prise, chaque jour prenait sa place sans recours au calendrier, chaque jour portait ses devoirs et ses leçons, et chaque soir le berçait d’une journée bien rempli, d’une chose apprise, d’une envie de lendemain, un cycle de positif qui ne cessait de circuler et d’apporter un plus. N’est-ce pas là, la quête d’une vie ?

Il est ainsi des rencontres que l’on fait au bord des sentiers, au hasard des pas, un soir de marche où l’on cherche où poser son sac. Si jamais vous venez randonner dans nos sauvages Pyrénées,  c’est une étape où il fait bon s’arrêter, du côté de …… Non, je ne le dirai pas, non pour en réserver l’adresse, cela irait par devers moi, non, juste que tout au long de vos routes se trouvent tout plein d’endroits, de gites et de guides prêt à vous emmener plus loin. Prendre le temps de les découvrir, savoir les écouter, y cueillir sa leçon, son plaisir fait aussi partie de l’expérience. Il faut savoir oser et faire ses propres pas plutôt que de toujours suivre les traces des autres. Après tout, ce qui est bon pour l’autre n’est peut-être pas bon pour soi, nous sommes tous différents, chacun avance au rythme de son pas.

Un pas après l’autre…

C'est ainsi


Voilà, le triptyque est passé, messe d’enterrement, messe de neuvaine, messe des défunts, les esprits vont pouvoir s’apaiser et la laisser partir enfin pour le voyage qui l’attend, les vivants aussi pourront faire leur voyage et prendre corps à ce qui est la nouvelle donne de leurs vies. Ainsi ce construit le long cycle de nos vies. Jour à jour les pensées s’estompent, elles ne disparaissent pas, non, juste que les accents trop criards sont atténués, les souvenirs lissés, triés, classés, comme ils se classeront encore et encore. La grande page de la moitié des origines de ma vie vient de disparaitre sans que je n’aie pu en noter les lieux, les dates, les anecdotes pourtant maintes fois répétées de toute cette vie qui m’a donnée la vie. C’est ainsi. Vont s’estomper aussi, du moins je l’espère, les fausses réalités des liens autours, qui, sans doute par croyance d’une contagion de la mort, se tiennent à distance, alors que vous auriez besoin de vrais partages, se servent des messages, écrits, textotés, vocaux pour vous apporter tout votre soutien mais de loin. Qu’ils se rassurent, nous ne sommes pas pestiférés, ni même contagieux, juste perdus, vivants, désireux d’un peu de temps, un peu de visite entre nos quatre murs bien vides, non pas d’invitations à distance, ni de messages à lire encore et encore. Le courrier abonde, il est administratif, pénible et destructif, alors s’il vous plait, un peu de chaleur humaine apportée dans ces murs froids est une belle offrande. Qu’ils se rassurent aussi, nous ne leurs en voulons pas, nous comprenons que ce n’est pas facile de trouver des mots, encore moins du temps, encore moins de ne pas savoir s’il faut venir en noir ou non, mais tout cela, au fond, ce n’est que parce que l’humanité a perdu son humanité. Apprenez à être, et mieux, soyez ! Ce que je dois à mes parents, c’est cette simplicité de vie : une porte toujours ouverte, un paquet de nouilles dans le placard, deux ou trois bricoles pour faire d’une improvisation, un moment bien vivant et riche en partage. Il nous arrive de rire, de pleurer, de sourire, de rigoler, d’être absent, triste, d’agir de façon mécanique, bref, d’êtres vivants, que nous soyons en costume comme en jean, en guenilles ou bien mieux fringués. Bien sûr, elle nous manque, comme elle peut manquer à tout un chacun qu’elle a su éclairer de sa générosité,  mais nous sommes là et vivant. Disponibles et accessibles. Osez !

Je sais que nous ne partageons pas tous les mêmes peurs, ni les mêmes connaissances, ni les mêmes savoirs, ni les mêmes valeurs, mais c’est cela qui fait la richesse de nos échanges. Je sais aussi que soigner peut faire peur, depuis l’antiquité l’Eglise, pouvoir politique dominant, a conduit la chasse aux sorcières pour se réserver le droit et le pouvoir de guérison. Cette même Eglise qui aujourd’hui ne brille que dans sa promptitude à présenter le note tout en oubliant de jouer de la partition. Peut-être serait-il bon qu’elle se pose et fasse l’analyse de son aveuglement. J’ai honte pour ces prêtres qui n’ont pas respecté les dernières étapes de ma maman, je frémis lorsque j’entends le rattachement des prières des frères et sœurs, moines et nones, curés et autres religieux se rattachant, d’après le discours d’un prêtre de substitution, à deux personnages bibliques mais juifs puisque antérieur à la venue du christ. Belle leçon d’histoire bien appropriée, je comprends la défection pour ce folklore mal ficelé. Savoir écouter n’est pas un don, juste une faculté, et la phrase de Khalil Gilbran « Aucun homme ne peut rien vous révéler sinon ce qui repose déjà à demi endormi dans l’aube de votre connaissance » résonne en cela. Ne soyez pas surpris de celui qui vous écoute avec attention en retient les choses que vous lui dites, soyez plutôt conscient des paroles qui s’envolent parce que non captées. Il n’y a rien de sorcier en cela, juste, une composante de l’humain. D’ailleurs, même les sorciers sont des hommes avant tout, le don de soins, d’apaisement, parfois de guérison ne prive pas l’homme ou la femme, d’être homme ou femme. C’est assez difficile de perdre des liens autours de soi, l’isolement provoqué n’est en soi pas une solution. Quelles que soient vos vies, quels que soient vos choix, privilégiez toujours les moments vrais, le temps d’un café, d’une pause, plutôt que communiquer à distance. Ne vous privez pas de vivre, vivez, c’est là votre trésor. Vous ne perdrez jamais votre temps, et en tout cas bien moins que par connexion.  Hier encore, lorsque j’entends des amis demander à mon papa s’ils peuvent venir le voir, j’en mesure que le chemin de la conscience est encore long, je regrette que la pudeur soit si forte et souvent d’ailleurs trop utilisée comme une fausse excuse, une serrure sur la porte, une raison de ne pas avancer.. Savoir écouter n’est ni un art, ni un don, peut-être simplement une forme de respect, qui mériterait d’être mieux apprise, voire même partagée, le top serait aussi une forme de bijective objectivité. Celui qui sait écouter, celui qu’on sait appeler par besoin, peut aussi à son tour avoir besoin, d’écoute, d’échanges, de partages. La richesse de l’Homme est de pas être un robot insensible, entre autres choses.


Chacun est libre de faire ses pas. Où il veut. Quand il veut. Chacun a son mode de fonctionnement. Soyons conscient de cela, respectons cela, mais n’oublions jamais qu’il est tout aussi possible de trouver du temps pour voir les vivants que pour se rendre à un enterrement. Ni colère, ni regret, les choses sont ainsi, parce que c’est ainsi. 

Légende de la petite flamme


Selon une légende très ancienne, venant du fond du temps, du fond des âges, venant de nulle part et de partout à la fois, bien avant que les Mayas ne naissent, et d’autres peuples avant eux, la terre à peine sortie de sa gestation abritait les règnes d’en bas, à savoir, le minéral, le végétal et l’animal. Le monde d’en haut, également peuplé de trois règnes envoya une flamme visiter cette planète bleue. Ce n’était pas une flamme ordinaire, sorite d’un briquet céleste, non, c’était une flamme bien vivante, alliant à la vivacité de son feu, la brillance de son esprit, une flamme spirituelle.

Elle débarqua parmi ce monde étrange, et déambula parmi ces drôles d’habitants. Parmi les minéraux, les réactions furent diverses et tellement variées : certains ne bronchèrent même pas d’être à son contact, d’autres fondirent, d’autres explosèrent même en colères dévastatrices, d’autres disparurent en un éclair…. « Quand même étrange ce règne minéral » se dit la flamme.

Quittant ces drôles d’étendues de sables et de roches, elle partit vers cette masse sombre qui barrait l’horizon toujours à la recherche de renseignements et d’amitié sur cette planète pas si bleue. Quelle surprise, à son approche les végétaux se repliaient sur eux, ils se rabougrissaient, devenaient tout noir en dégageant une drôle d’odeur, d’autres s’embrasaient instantanément, tandis que d’autres semblaient résister avant eux aussi de partir en fumée… « Décidément, cette planète n’est pas une terre de relations » se dit la flamme.

Ne se décourageant pas, elle reprit sa route et s’approcha de ces drôles de choses en mouvement, mais, bizarrement, à son contact, soit elles partaient en hurlant, soit elles prenaient peur, soit elles soufflaient fort ce qui avait pour habitude d’énerver la petite flamme au point de la faire sortir de ses gonds et de s’enflammer en un brasier géant, une attitude certes peu amicale, faisant fuir les plus téméraires de ces drôles d’animaux. « Non, cette planète n’est pas pour moi » se dit la flamme.

Elle contacta ses flammes supérieures pour demander son rappel, mais hélas, la communication passait mal et les seules instructions qu’elle reçut furent de prolonger son séjour et de réussir, coûte que coûte à établir le contact. « C’est facile de prendre les décisions lorsqu’on est loin » pensa-t-elle. Mais la flamme avait plus d’un tour dans son sac, aussi elle en sortit un costume, ni tout à fait animal, ni tout à fait végétal, ni tout à fait minéral, une peau d’Homme dont elle s’habilla. Grace à ce costume, son feu ne brulait plus les plantes, certains animaux daignaient s’approcher et elle réussit à en domestiquer quelques uns, tandis que la roche se troua pour lui offrir un abri. « Décidément, cette planète est bien accueillante, je n’en partirai que lorsque mon costume sera usé » se dit la flamme.

Et ainsi vécu la flamme sur terre, cachée dans ses habits d’Homme, elle se multiplia et colonisa peu à peu la planète d’autres flammes déguisées en êtres humains. Dans son costume elle reprit les éléments des autres règnes, l’apparence d’un animal, la flore à l’intérieur, le cœur de pierre dit-on, puis elle se plaça au-dessus d’eux, une sorte de trait d’union entre les trois règnes d’en bas et les trois règnes d’en haut. Fidèle à sa volonté, chaque fois que le costume était usé ou irrémédiablement déchiré, la flamme l’abandonnait sur place pour s’en aller rejoindre la planète de ces origines. Et depuis ce temps lointain, chaque femme, chaque homme qui meurt, laisse son costume en dépôt à la terre avant de s’en aller briller dans les cieux sous la forme d’une étoile, pour rester bien visible au monde d’en haut comme au monde d’en bas… 


Chaque étoile est un trait d’union entre hier et aujourd’hui, elle brille pour rappeler le feu d’hier, la lumière d’aujourd’hui, la chaleur d’un demain. 

On porte tous en nous une flamme, ne l’oublions pas et sachons la faire briller sans attendre demain. 

Levons nos yeux vers les étoiles qui brillent plutôt que vers les costumes usés, elles éclairent, mais surtout, elles nous guident vers l’espoir.      

Poussières et gravats


Poussières et gravats, après avoir rangé ce qui encombre, place aux décombres, après avoir rangé sa vie en cartons, place à la démolition, la vie n’est qu’un éternel recommencement, oui, mais en pas pareil, ou pas, c’est selon. Depuis combien de temps vivait-il ici ? D’ailleurs, y vivait-il vraiment ? Plutôt qu’un habitat habité, c’est un lieu de passage, un lieu de transit, entre deux vies, entre deux étapes, entre deux projets, entre deux courses, entre deux évasions, de ces lieux anodins et anonymes où l’on passe sans prêter vraiment attention au décor, au confort, un lieu sans vie, sans âme, un lieu inapproprié, tellement vide de sens. Pourquoi ? Comment ? Nul ne serait dire, un matin vînt, un matin comme un autre sans doute, un soir sans espoir ou bien encore plein d’espoir, peu importe, l’heure, le jour, le lieu, au-delà de l’ancrage chronologique, c’est le déclic qui reste le moteur, suffit les quatre murs et le toit qui abrite sans loger, qui figure sans exister un lieu de vie sans vie, place à l’action, et de l’action nait la mise en carton. C’est con une vie quand elle se trouve résumer à quelques cartons, c’est très con lorsque les cartons sont trop lourds de trop de choses, de trop de pages, de trop de sens au point de ne pas pouvoir les bouger. C’est vite entassé en quelques mètres carrés, souvenirs pêle-mêle, papiers et morceaux choisis, tout s’entasse, étagères sans trace des objets qui s’encrassent, vide absolu, l’espace nait du vide.

Partir ? Rester ? Vivre ? Autre ? La vie n’est faite que de choix, un choix chasse l’autre, l’un fuit, l’autre pas, un pas chasse l’autre, pas plus que ça, un pas après l’autre, toujours. Se poser, voir, réfléchir, donner un sens à sa vie tombe sous le sens, de quoi rester interdit. Un sens interdit ? Qui peut interdire ? Dans quel sens ? Nul n’est prophète en son pays, alors, entre ses quatre murs, quelle hérésie ! Qu’à cela ne tienne, les murs ne sont pas droits, qu’ils tombent… Et les murs churent, parce que des fois, de certains choix, les murs choient. Voilà qui fit de la place, un peu, de la poussière, beaucoup, des gravats aussi, des cogitations, toujours. Et comme on ne peut vivre sans limite, d’autres murs s’en vinrent dresser des barrières et cloisonner l’espace, d’autres murs à choyer de chatoyantes couleurs, enfin, cela n’est pas de si tôt, parce que si les murs choient vite, les murs nouveaux ne se relèvent pas aussi vite, surtout dans leurs gestations finales, l’enduit à l’endroit comme à l’envers se passe, se lisse, se ponce avant de pouvoir pioncer entre des murs sains. Soit. De poussières en gravats, de débris en poussières, chaque jour nettoie son prédécesseur, chaque pas soulève ces fines particules blanchissant jusqu’au plus profond des endroits pourtant loin situés. Site en construction, vie en exclusion, l’isolement est nécessaire et l’isolation radicale. Efficace. Le plus dur d’un chantier, c’est de savoir trouver le courage et l’abnégation de se remettre à l’ouvrage, quels que soient les moments, soirées après bouchons qui ne sont pas de liège, week-end et jours fériés qui ne sont pas si nombreux, trompe fatigue et exil des cercles, solitude trompée par le flot musical ou baragouineur tenant compagnie. Déterminé, il avance et fait ses gammes, il apprend et corrige, il vit des hauts et des bas, certaines étapes avancent si lentement, il est plus facile de démolir que de ressusciter, étrange rappel dans la réalité d’autres réalités d’autres vécus. Vécus mais non vaincu, avancer est une force, une volonté, une condition de vie, cette chienne de vie qu’on renie parfois, qu’on conspue, qu’on critique, mais cette vie sans laquelle nous ne serions pas vivants, ni là, debout, heureux et fier d’être en vie, malheureux de perdre des êtres chers, les leçons sont toujours cash, on apprend toujours, pour mieux avancer ou avancer mieux. Les murs se relèvent surement plus vite.

Alors oui, vivre fait mal, parfois et parfois, certains on le mal de vivre. Et puis ? Cela suffit-il pour éteindre la lumière ? Pourquoi abdiquer ? Comment savoir si demain sera pire ou meilleur si ce n’est en le vivant ? Comment ne pas prendre conscience qu’on est acteur de nos états d’âmes et non victime ? Bougeons-nous, soyons nous, acteur, moteur, décideur de notre vie. Il faut du temps, il faut parfois se bruler plusieurs fois pour comprendre que le feu brule, non parce qu’on est con mais parce que le feu revêt plusieurs formes, la flamme d’un feu de bois est plus visible qu’un plat sortant du four, mais ils brulent tous les deux la peau de la même façon, et même lorsqu’on vous crie « attention c’est chaud » l vous faut expérimenter par vous-même pour le réaliser. Pourquoi crier ? Cela atténue-t-il le mal ? C’est votre volonté de vouloir expérimenter qui vous a brûlé, non les gens qui vous ont mis en garde. Ne vous en prenez qu’à vous-même, et mieux, retenez les leçons. Celle de votre propre expérience tout comme celle que vous avez des guides autour de vous pour vous aider à ne pas toujours vous brûler…  

Ma cabane au bout, là-bas


Cela faisait longtemps qu’il marchait, les pas de plus en plus pesant, la neige épaisse qui couvre les sommets est un poids de plus en plus lourds à décrocher des raquettes à chacune de ses enjambées. Le ciel était bleu, de ces bleus purs qui n’existent qu’en montagne, dans ces endroits encore si purs, tellement isolé des pollutions, même si ces dernières gagnent hélas du terrain. « Au moins la neige cache les traces des êtres soi-disant civilisés, oubliant de ci, de là, papier, capsules, déchets et autres conserves » pensait-il en regardant le ressaut au-dessus, repère farceur qui semblait s’éloigner au lieu de se rapprocher. Le silence, le blanc cotonneux couvrant tout relief, le ciel bleu profond, le soleil éclatant, comment ne pas être aux anges devant une telle vision ? Il s’arrêta et s’amusa à regarder sa trace, deux gorges profondes entourées de petites marques régulièrement espacées, une montée en zigzag, parfois un drôle de cercle, sûrement l’endroit d’une prise de photo, d’une gorgée d’eau ou bien de quelques nourritures, les seules marques à défigurer le paysage aujourd’hui. Plus bas, la vallée peinait à se réveiller sous une ligne de nuage bas, quelques toitures renvoyaient des éclairs de lumières, pratiquement toutes les maisons avaient un panache de fumée bleu, une maison, un foyer, un feu comme on disait autrefois.

Il reprit sa course, lentement, tâtant à chaque nouveau pas d’un relief entièrement caché, sol dur, rocher, bruyères ou bien rhododendrons, parfois piégeur pour la raquette. Le profil s’adoucissait, le gros rocher sur la gauche lui était familier, il connaissait bien ce repli de terrain, cette montée plus abrupte contournant le bloc pour arriver à un bout de prairie, ses parcages, sa cabane et au-dessus, le sommet. Là serait la pause, cette vieille cabane de pierre au toit en ardoise, la porte à peine fermée d’un crochet pour éviter que des bêtes ne viennent en salir l’intérieur, sur le côté, la réserve de bois, où les bergers et les randonneurs habitués du secteur se relayaient pour en assurer le chargement. Cela faisait déjà un petit moment que les troupeaux avaient pris leurs quartiers d’hiver dans la plaine, mais comme le secteur n’était pas trop touristique, il savait qu’il y trouverait le refuge, le bois pour le feu, la tranquillité, de bonnes conditions pour y passer une de ces nuits hors du temps. Le soleil éclairait encore l’enclos et la cabane, c’était un bonheur de jouir de ce spectacle. Il déverrouilla la porte, posa son sac sur la grande table, puis se dépêcha d’ouvrir les deux fenêtres et leurs lourds volets, inondant de lumière et d’air frais l’espace clos depuis le départ des bergers. Tout était propre et bien rangé, nul doute, personne n’avait du venir y séjourner. Un peu de bois sec et déjà le feu crépitait, parfumant et chauffant la pièce. Il tira le repas du sac et profita des derniers rayons du soleil pour manger sur le bloc de pierre servant de banc dehors. C’est bien ce genre de moment unique qui vous régénère au plus haut point. Tout petit face à l’immensité des paysages, seul, isolé, coupé d’un monde qui n’est qu’agitations, un temps hors du temps pour vivre, lire, méditer, une échappée belle, dans la beauté de la nature, que rêver de mieux ?   Le soleil s’inclinait dangereusement, ses rayons se détachaient un à un de la cabane, glissant inexorablement sur la prairie enneigée avant de disparaitre complètement, laissant place au froid et à la nuit, le temps de rentrer était venu, non s’en avoir avancé quelques buches pour la soirée. Les volets clos, la porte refermée, une bougie pour tout éclairage, le feu comme chauffage, qu’il fera bon dans l’épais duvet tout à l’heure, mais pour l’heure, place à la lecture, place à l’écriture sur ce vieux cahier, compagnon de sac, place aux pensées, qui ne vous quittent vraiment jamais.

Ces cabanes de montagne sont des refuges utiles, elles hébergent tour à tour, les bergers venant faire leurs métiers, les randonneurs venant y reprendre vigueur, les rêveurs venant y cueillir les songes, les promeneurs venant y étendre leurs pensées, les penseurs venant y reprendre force… Elle égayent le paysage dans les longues montées, elles sont des repères dans les brumes de nuages volant trop bas, elles vous offrent le gite, et la chaleur, l’abri et le réconfort dans le mauvais temps ou la mauvaise estimation de la course. Lorsque vous marcherez dans nos montagnes ou ailleurs, n’hésitez pas à les saluer, préservez les en les tenant fermées, et sachez les entretenir et les respecter. Un jour, vous serez heureux d’en bénéficier. Pour l’heure, refermons la porte et laissons-le dormir…       

L'océan, lui, le sait


Le ciel était gris mais non lourd, d’ailleurs ici, il ne l’est jamais vraiment ; Parfois il porte les colères des montagnes, parfois il est bas chargé d’océan, mais jamais il n’est de ces ciels lourds qui vous oppressent, parce qu’ici, il n’est pas seul, il se doit de composer avec les flots, avec le sable, avec les pins, parce qu’ici il n’est pas le maitre absolu mais un acteur parmi les autres. Le sable était humide, plus sombre qu’à l’accoutumée, couleurs d’hiver sans doute, alors que tout le pays grelotte et glisse. Point de neige, le seul blanc venait de l’écume et des rides que le vent s’amusaient à iriser sur les flots, un semblant de neige histoire de coller à l’actualité. Il marchait le long de la plage, entre vagues et dunes, sans but précis, si ce n’est de marcher, de respirer, de se détendre, de laisser voler ses idées aux vents du large telles des cerfs-volants malhabiles, courses désordonnées, les idées se faufilent, se dépassent, trépassent, veulent jaillir puis retombent dans les profondeurs de l’oubli. L’oubli, comme ça serait bien, comme ça serait facile, mais non, le cerveau n’oublie rien, sinon des choses utiles pour nous, des trucs à se souvenir, mais ils gardent profondément des souvenirs qui s’en cesse s’en viennent gicler parmi les pensées. Comme il aimait ses moments de solitude, une vraie solitude, voulue, cherchée, obtenue, pas de ces solitudes qu’on vit parfois à deux, parfois même à plusieurs, ces moments perturbants qui arrivent lorsqu’on se sent de trop, lorsqu’on ne partage plus rien avec ceux qui vous entoure, lorsque le monde semble tourner dans un sens différent du votre, un peu comme si on est descendu du manège. Une autre vie. Non pas une vie sans relief, les vies ont toujours des reliefs, simplement il arrive parfois que la vie que l’on vit ne nous convient pas, non, une autre vie, un autre relief dont il n’avait pas compris le sens, au final, une vie sans essence, de quoi s’étioler et se vider de son sens, une vie à oublier, mais on n’oublie jamais tout à fait.

Le grand orchestre des éléments jouait sa symphonie, au rythme du flux et du reflux répondait le vent et voilà que les oiseaux s’en venaient à gouailler leurs chants amers et perçants, des cris qui ne forment plus qu’un cri pour repousser ce grain de temps qui attriste et affame, un cri de faim. Combien de pas ? Combien de plages ? Combien de dunes ? Combien…. Décompte des comptes, lorsque les pensées se perdent, elles focalisent sur un je ne sais quoi pour s’accrocher, se reposer, reprendre des forces et repartir à l’attaque d’autres vies, d’autres mondes, d’autres temps, d’autres plages de temps. Qu’il est bon de marcher sans chronomètre, sans but, sans raison, juste profiter de l’endroit et du temps, profiter d’être vivant et de vivre l’endroit en ce temps précis, quel que soit le temps qu’il fasse. Il n’y avait rien autour, les montagnes avaient disparu, la ville s’estompait promptement, personne sur le sable, même les bateaux semblaient avoir oublié de quitter le port. Seul au monde, seul aux mondes, celui de la terre, celui des rêves, celui des réalités. Un pas après l’autre, juste cela…. Ah ! Si les pensées pouvaient en faire de même…. Mais non, elles cognent dans la tête, elles vibrent, elles secouent, elles consomment les énergies et les pas se font sans s’en rendre compte, heureusement que ce n’est pas le désert : bientôt la vieille chapelle indique plus surement qu’un panneau indicateur où les pas l’ont conduit. Une courte pause, assis sur un de ces troncs que les flots de l’hiver ont déposé ici, bois blanchi et vieilli par les secousses, les roulements, avant d’être rejeté sur le sable ocre. Des bouts de filets, des bouts de cordes, des os de seiche, des bouts de bois, loin de la plage bien propre et bien ratissée de l’été, c’était là pourtant la vraie nature, la plage qu’il aimait. Sans fard, sans fioriture, juste ce doux mélange de force et de violence qui venait ici briser ses ardeurs. La nature, comme l’être humain s’apprécie pleinement lorsqu’on la cueille à vif, sans maquillage, sans triche, brut de forme, être soi tel qu’on est, peut-être un jour les hommes comprendront cela et oublieront la pudeur qui les travestit, le paraitre pour l’être. Vivre tel qu’on est, pleurer sans permission, parce qu’un enfant rit, parce que le héros retrouve le chemin, parce qu’un être cher s’est enfui vers le royaume des lumières, pleurer, parce qu’on en a envie.

En se forgeant des grands principes, l’Homme a oublié qu’il n’était qu’un Homme, dans toute son humanité, avec la grande richesse de ses sentiments, qu’elles qu’en soient leurs expressions. Il ne porte pas un masque, et si la pudeur l’empêche de parler, c’est aussi parce que peu de gens autour savent écouter. L’océan, lui, le sait…  

Comme un blanc


Et la neige s’en vînt de son épais manteau,
Blanchir la campagne, dès le matin, très tôt
Et le vent lugubre souffle et gronde ses rafales
Même avec blanc, ce n’est pas un matin pâle.

Le froid mord de ses dents aiguisées par la bise
La neige brûle et les yeux, et la peau à sa guise
Mordante compagne venue de nuit par surprise
Certes, c’est l’hiver, la pluie en blanc s’est mise

Ainsi nous voilà réveillés par un blanc dimanche,
Les toits pleurent en froides larmes cette revanche,
L’hiver sur l’automne cette fois gagnant la manche,
Couvrant de son blanc manteau jusqu’aux branches

Le jardin se réveille lui aussi, tout déguisé.
Les lavandes ont mis leurs blancs bonnets
Les camélias aidés par le vent s’en débarrassent
Il n’est pas un espace qui n’en porte pas traces

Après ce tour d’horizon, vite rentrons,
Du bois dans la cheminée vite brûlons,
Un épais chocolat bien chaud, buvons,
De ces images en mots, vite, essayons…



Action de vie


Le temps passe, il n’est pas que glace, à travers ce côté froid, dans ces étendues glaciales il y a aussi le feu, celui de la colère devant telle et telle chose, celui du foyer qu’il faut s’approprier et apprendre sans mentor à cultiver, à entretenir, le feu de la passion, de la vie, des vivants, des êtres autours eux-aussi orphelins, il y a la pluie, celle des larmes, celles des drames personnels, mini drames à l’échelle dramatique mais chaque drame est une arme qui coule en larme…

Le temps avance, sans surplace, si ce n’est celui des amitiés, quoique à travers ces épreuves, elles brillent, souvent par leurs absences, trop confortablement installées dans leurs tours d’ivoire d’où on ne voit rien, ni le vide, ni le manque, ni le veuf froidement seul, ni la filiation errante et perdue, ni les étapes les plus basiques de la logistique ou de l’art culinaire. D’un temps de grande communication, un simple geste d’amitié devient un « n’hésite pas à appeler, passe nous voir » sans peut-être comprendre que le poids des moments d’une vie partie sont aussi dévastateurs psychiquement que physiquement, que les énergies sont basses, tremblantes, et qu’aller rajouter un déplacement, un appel reste un pic à escalader dont les forces en présence ne sont plus capables; sans peut-être voir dans ce froid discours, les mêmes mots qu'un "on vous écrira" à un demandeur d'emploi, un "on pense bien à toi" à un malade seul dans sa chambre.... Le deuil est aussi une maladie, non contagieuse, sauf peut-être pour les très proches...

Le temps écrit, des rides sur les visages, il blanchit les cheveux et les poils, il hypothétique l’avenir bien que ce dernier ne soit pas vraiment d’actualité. Sur les maux qu’il écrit, les amitiés écrivent des mots, sur papier, sur écran, des mots tracés, des mots électroniques, des mots sympathiques qui viennent et s’empilent, des mots grésillant dans le téléphone, cet objet fascinant qui s’en vient interrompre la conversation des trop rares personnes ayant fait le déplacement, qui vient interrompre ces micro-siestes que le cerveau commande parce que le sommeil n’est pas réparateur, cet objet dérangeant parce qu’au fond, s’il nous ravit d’entendre ceux qui sont loin, il nous prive tout autant de voir ceux qui sont près….du moins géographiquement.

Le temps défile, à l’autre bout de la vie, le décompte des jours, des semaines, plus tard des mois et des ans se fait comme dans les premières larmes d’un nouveau-né. La vie est un grand cercle, on nait, on grandit, on vieillit, on meurt, avec parfois hélas des raccourcis, de toute façon, le cercle de nos cercles est forcément trop court, on finit vite par être étouffé de tous ces cercles trop courts qui s’en viennent resserrer les rangs et nous oppresser de si peu d’espace d’amour, parce que c’est cela la vie, de l’amour éparpillé en graines, des graines semées parfois dès l’absence, des graines cultivées, entretenues, des graines récoltés à chaque moisson organisées ou improvisées, des graines perdues parce que trop arrosées, parce que trop oubliées, parce qu’on a toujours le temps de revenir les voir, les entretenir, parce que ….c’est la faute au temps.

Le temps est et en étant il nous ouvre les yeux. Le regard sur les choses, le parfum des roses, la vision du monde réel, de notre petit monde dans ses réalités. Le regard est preneur d’émotions, même les absences sont des émotions, dire qu’on est plus clairvoyant dans ces moments-là ne serait pas complétement faux. Vient alors le temps de l’action, le besoin du mouvement, de se libérer de certains poids, de certaines cordes débouchant sur rien, sur des ballons dégonflés, sur des numéros à impasse, sur des vies qu’au fond on dérange. Le temps aussi de revoir l’ordre de ses priorités, parce qu’une vie c’est court, on ne peut pas tout faire, on ne peut que vivre et vivre au mieux en faisant ses choix, en dessinant soi-même l’ordre de ses priorités. Cela nécessite du temps, du recul, de l’ordre et de la méthode, mais la vie mérite qu’on la vive pleinement, entièrement. Il n’est pas facile de trouver ses mots, il n’est pas simple de trouver du temps pour l’autre, nos vies sont tellement trépidantes !

Mais elles vivent, alors, ne passons pas à côté, vivons-les, avec force et avec passion, en toute réalité, un café, une balade, un vrai moment, c’est cela la vie, bien plus que des mots éparpillés sur les fils numériques, des mots à sens unique qui nous privent de vivre avec nos six sens…

Hiver

Matin repeint de blanc,
Hiver, cent pour cent,
En serait-il autrement?

Il neige et neige lentement
Il neige, doucettement 
Mais il neige assurément.

Soir sans espoir,
Soir tout noir,

La neige est partie,
Chassée par la pluie,
La neige est partie, avant la nuit,

Il pleut, il pleut, la terre n'en peut plus,
Il pleut, il pleut, et la neige s'en fut !

L’hiver est là, il joue de ses flèches
Froid, pluies, neige, il se dépêche

La terre boit, la terre de boue,
La terre gèle, dégèle et devient boue
Nous autres essayons de rester debout

Nous autres bravons ces intempéries
L’hiver est à passer à l’abri.

Hagard


Les jours avaient passé, tout lui semblait être allé vite, si vite en si peu de temps. Il y eut d’abord cette période d’approche de la fin d’année, cette frénésie qui s’empare des gens, cette boulimie d’achat qui fait tout oublier, rituel de chaque année, devenant pesant un peu plus chaque année mais cette année, le poids de l’existence vînt d’ailleurs, une nouvelle hospitalisation, une de plus, sans trop d’appréhension, l’inhibition venant de ces journées répétés, entrées, sorties, moins bien, mieux, fatigues, radiothérapies, chimiothérapies… Les fêtes ne sont pas fêtes pour tout le monde. Une période de congés, des travaux, des visites, un rituel téléphonique chaque soir, le dialogue de la journée, se tenir au courant, l’un de l’autre, partager, échanger, vivre à distance. Au fil des jours, les dates clés passent, des espoirs de sorties pour des moments familiaux, des dégradations, des prolongations… Dix huit jours entrecoupés de hauts, de bas, de très hauts, de très bas et puis fin.
Lorsque le mot fin s’écrit ainsi sur la page de sa vie, sur la page de la génération de sa vie, c’est d’abord un coup assourdissant, dont on reste groggy dans les suites de temps, sans vraiment réaliser ce qu’il arrive, sans comprendre tout à fait qu’elle ne reviendra pas de ce long voyage vers la vie. On a beau traverser des étapes administratives, religieuses, familiales, on a beau lire le nom d’une moitié de sa vie sur la pierre, l’impression n’est pas encore acquise, les réflexes de prendre le téléphone, de dire « tiens, ça faut que je lui demande » viennent comme ils sont venus tout au long de la vie. Il était là, debout, hagard, seul sur cette grande étendue d’herbe et de gravier où trônait le désormais sinistre monument de granit que les nombreuses fleurs n’arrivaient pas à colorer, il était là, debout à voir et revoir les images dépassées, les lettres d’or gravées à jamais dans la pierre dont on ne fait pas les cœurs. Les pensées se cognent dans sa tête, entre les vivants, les survivants et l’absente, désormais absente à jamais. Comment va-t-on vivre ce nouveau temps ? Comment…Qui…. Les peurs aussi, parce qu’à ouvrir le livre des morts, on pense tout de suite aux vivants, l’effroi de perdre encore est un froid qui glace bien plus que la pluie de ce triste hiver. Comment ne pas avoir peur lorsque la fragilité des choses s’en vient faire une répugnante démonstration ? Que cet endroit est sinistre, froid, mal dessinée, mal agencé, désolant… Combien d’autres endroits seront à jamais vides ? Non, pas tout à fait. Bien sûr le corps, l’image en mouvement, l’évolution morphologique est à jamais stoppée, mais les pensées sont et seront toujours là, les mots échangés et à jamais résonneront les sons, le cri de victoire contre une dune de sable ocre en bordure de cet océan dont l’amour rapproche. Il est difficile de devenir orphelin, cela, il commençait à le mesurer. C’est un peu l’enfant qui devient actif, les vacances scolaires et leurs insouciances qui laissent place à quelques trois semaines de congés durement capitalisés, une autre étape du monde adulte.

Vide, il marche sur ce gravier gorgé d’eau, les semelles semblent être trouées tellement le froid envahit ses pieds lorsque déjà machinalement, il referme la grille du cimetière, étrange barrière entre le monde des vivants et celui des morts, entre la grande route et le supermarché et la plaine triste où les marbres rivalisent d’imaginations morbides. Il conduit presque sans y faire attention jusque chez lui, ce chez lui en travaux, ces outils au sol, cette poussière de plâtre et d’enduit, ces bouts de fils, ces cartons, ce presque camping. Place au feu, place au canapé dans lequel il choit brutalement, vidé et épuisé, groggy d’il ne sait pas quoi, un vide qui s’ajoute au vide, une solitude dans la solitude, un monde trop pressé qui se presse d’écrire et de textoter, un vertige à en perdre toute réalité. Non, ce soir le clavier sera lui aussi orphelin, le téléphone éteint, une bougie, un encens, des flammes dans la cheminée, une lecture et la douceur d’une tisane, le corps, comme l’âme cherche sans cesse son repos, les courses des derniers jours, les vacances sans vacances finissent pas peser, comme l’absence, comme les absences, parce que quand même il faut bien le dire, on oublie trop souvent de dire « je t’aime », on crève de pudeur envers les siens et puis non, « merci » ne se dit pas que pour une tranche de pain….


Merci pour cette belle tranche de vie, et même si on a pleuré, même si on pleure, tout de même, avant, qu’est ce qu’on a bien ri avec toi, c’est cela nos souvenirs communs, sans omettre la tendresse, les joies même dans les peines, la vie dans tous ses éclats.    

Espoirs


Parce qu’il y a le vent, la pluie, la nuit, le froid
Parce qu’il y a le vide, la peur, l’absence, l’effroi
Parce qu’il y a le temps, le manque, le désarroi
Parce qu’il y a cette terrible réalité, tu n’es plus là

Parce que le temps file et glisse
Parce que le vide lui s’immisce
Parce que la conscience vient
Parce que toi, tu ne reviens

Comment dire ? Mal, peur, froid, vent
Comment parler ? Muet, silence, blanc
Comment se réchauffer ? Vide, distance, téléphone
Comment partager ? Libre, seul, personne

Chaque seconde, le temps pèse son éternité
Chaque soir, le téléphone pleure des mots inusités
Chaque espoir d’un retour se meurt à jamais
Chaque pensée se faufile dans les objets

Malhabile malabar, trop fort pour y croire
Malaise malaisé qui clôt le déchu espoir
Mal être, installé sans s’en apercevoir
Malotrus qui passent sans voir

Mais la fin n’est pas dans le noir
Mais le jour se lève sans voix
Mais si à bout le corps s’est effacé
C’est pour que vive l’esprit libre et libéré

A cela, il nous faut croire,
Vivre pour te voir
Vivre et partager avec gloire
Ces moments de vies, d’espoirs







Sur l'écran noir de mes nuits blanches

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, l’image sans son nait sans image, la faute à pas de chance, la faute au temps qui passe, la faute à personne si ce n’est à ce qu’on appelle aussi « la vie ». C’est ainsi que se passe mes nuits blanche, dans un noir d’encre, cette encre de chine qui ne demande qu’à toucher de la plume la toile blanche et y ancrer des émotions, ces diables d’émotions qui font parfois que les mots sont, qui font aujourd’hui que les mots sont…inutiles.

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, je ne me fais plus de cinéma, j’y vois au contraire très clair et clairement, l’écran est noir parce que tu n’es plus là. D’ordinaire, à la fin du film, il y a le générique, avec les noms par ordre d’apparition à l’écran de nos vies. Lorsqu’on prend le train en marche, c’est déjà tout un peuple qui est à l’écran, notre premier écran, tout blanc. Ce coup-ci, point de générique, peut-être que la pellicule a rompu brutalement, peut-être qu’un opérateur va venir la recoller, peut-être qu’enfin la lumière sur l’écran va revenir et ces personnages tous revenir, peut-être que nos héros toujours là au bon moment s’en vont venir nous rassurer…. Peut-être qu’il faudra attendre une autre éternité pour cela. L’écran est noir, il fait froid, il fait vide, la nuit est blanche, glaciale.

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, trône un écrin blanc dans la nuit noire, et même si la tristesse voudrait bien s’inviter, ce sont les rires, les sourires, les parfums, les douceurs, les attentions, les petits riens tous ces cadeaux de la vie dont on ne mesure le sens et la portée que lorsqu’ils sont enfuis, qui l’emporte et colorient l’arc-en-ciel de nos souvenirs, le résumé de nos vies ; Leur chaleur l’emporte sur le froid que la nuit blanche voudrait bien étaler.

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, l’image est partie, enfuie à jamais, du moins, l’image à venir, celle du futur, celles des rides et des sourires plissés, celles des douleurs un peu plus présentes, celles d’autres belles étapes que nous n’écrirons jamais. A leurs places, ce sont les images d’hier mais surtout d’avant-hier, enjolivées certainement par le travail de la mémoire, les discussions silencieuses, les choix à assumer tout seul, les confidences en l’air mais surtout une grande présence.

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, le son a suivi l’image, plus de chaleur de cet accent aux parfums des terres familiales du Lauragais, plus ces intonations, ces expressions, ce patois qui s’en vient colorer une phrase, cet amour en mots mis en son sans mise en scène, mais pourtant, tout au fond de ma tête vide, ils résonnent ces mots, elles éclatent ces couleurs d’accent, et résonnent encore ces cris de victoire lorsque à travers la maladie t’essoufflant  pour marcher, tu as vaincu la dune pour retrouver ce bord d’océan qui nous est si familier dans un après-midi de septembre.

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, je n’ai pas su lire le mot « fin ». Peut-être parce qu’il n’y a pas de fin, juste un discret « à suivre », peut-être parce que si le temps terrestre met un terme au voyage, l’esprit reste parmi les siens, enfin débarrassé de ce poids mort, il voyage entre ses êtres chers, quel qu’en soit le lieu de leurs résidence. Résilience.

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, je fixe l’invisible, je n’y vois rien c’est sûr, pourtant, le petit prince avait raison, « on ne voit bien qu’avec le cœur » et une fois assimilé cela, je te vois, souriante et aimante, à l’écrire ce mot me fait froid : aimante, amiante, comment l’ordre des lettres peut-être aussi cruel ? Souriante et quand même triste de nous avoir quitté si vite, mais tu sais, de là où tu es, tu nous vois tous, le vertige a du te quitter, profite pour regarder vivre tout ton petit monde, ne te moques pas de nos maladresses, nous ne saurons jamais cuisiner ni même découper le poulet rôti comme toi, j’en passe et des meilleures, mais que veux-tu, on t’a toujours laissé faire en pensant qu’on avait bien le temps d’apprendre….. C’est une dimension humaine cela que d’avoir le temps ! Le temps n’est plus, ou plutôt, il est différent, il est autre, tu es là, quelque part près de nous, nous, nous sommes là, sans vraiment te voir, sans vraiment t’entendre, mais qu’est-ce qu’on te parle !

Sur l’écran noir de mes nuits blanches, un mot s’affiche en noir : « espoir ». Ce noir est trop sombre pour coller à l’espoir, alors faisons tous qu’à petites touches de blanc, le noir vire au gris, l’anthracite au gris souris, le gris au blanc presque blanc, faisons en sorte que l’espoir luise et éclaire nos nuits blanches ou noires, faisons en sorte que l’espoir nous sourit. 

Le livre de la vie


S’il est parfois difficile de devenir adulte, il est encore plus dur de devenir orphelin. Peut-être parce qu’on ne le maitrise pas, peut-être parce qu’on ne le voit pas toujours venir, peut-être aussi parce que toutes nos vies nous gardons et garderons nos yeux d’enfants, du moins tant que nous ne fermerons pas la porte aux sentiments.


La vie est un livre, roman, essai, poésie ou succession d’ennuyantes proses, mais elle est la vie, bien ordonnée, avec cette particularité : les pages lues se referment et se collent à jamais, on ne peut jamais les relire, tout au plus, se les remémorer. Dans les parcours que d’aucuns nomment classiques, il y a les chapitres classés par âge ou bien, par ordre d’apparition à l’écran de nos vies. D’abord les aïeux, arrière-grands-parents, grands-parents, parents, quelques pages de soi, et des pages à écrire pour les générations qui suivent. Mon livre n’était pas bien épais, je n’ai pas eu loisir de lire les pages de mes arrière-grands-parents, ni celles de mes grands-parents paternels, partis déjà trop tôt pour leur filiation, j’ai lu trop rapidement celle de mon grand-père maternel dans cette période que l’on appelle « l’âge con » où les priorités sont toutes autres, j’ai parcouru plus volontiers surtout sur la fin celles de ma grand-mère maternelle, et quand ses pages se sont collées, c’est avec effroi que j’ai songé alors que les chapitres suivants concernait mes parents. Et la lecture a repris, d’abord attentive par perception de cette fragilité de la vie, puis plus ou moins distante par variation saisonnière de l’indice des priorités, ainsi vivons-nous.


Dans le grand cahier de texte, il y a pourtant de fréquent rappel, des phases d’hospitalisations, de soins aux noms innommables, chimiothérapies, radiothérapies sont hélas que trop monnaies courantes dans notre société de plus en plus déglinguée, et au mot « cancer » s’ajoutent des mélanomes, des bénins, des malins, des lymphomes, des leucémies, des métastases et un jour on découvre « mésothéliome ». Les soins, les liens, l’affect font que la pensée va vers la guérison, chaque cycle de hauts et de bas n’est vus que par les hauts sans voir combien ces maux insidieux rongent, dévorent et vainquent. Brutalement, la page qu’on était en train de lire se tourne, se ferme et se colle l’espace de temps où l’on avait la tête tournée, entre deux rendez-vous, entre deux espérances, le mot fin frappe fort en plein vol une histoire dont on souhaitait encore écrire de nombreuses lignes. Combien il est difficile de subir cela, combien il est malaisé de trouver sa juste place, de vivre les craintes des pages suivantes à lire, à écrire, de matérialiser ces étapes de fins, d’accompagner les uns et les autres, de vivre parmi tout cela, de continuer d’espérer, de cheminer et de clore le grand livre des regrets à la lecture inutile, dévastatrice et imparfaite puisqu’elle ne se conjugue qu’à l’imparfait.


Bien sûr, il y a des pages et des pages à écrire, bien sûr il y a là une impasse, un autre chemin, une autre voie à prendre, sans la voix maternelle et réelle mais cette voix résonnera longtemps dans ma tête, mais ces images, ses victoires et tant d’autres belles choses seront ponctuer le cours de mon existence qu’elle qu’en soit sa longueur. Pour l’heure, il n’est pas encore venu le temps de l’émergence, la phase de la réalisation, la perception du vide et son vertige associé. Pour l’heure, le temps est lecture, écriture, sommeil sans sommeil, nuit comme jour, robots humains, survie plus que vie mais ainsi va la vie, ainsi s’en vont les pages du grand livre de nos petites vies. Savoir qu’on ne peut plus lire ces pages est peut-être triste certes, mais c’est surtout porteur de messages, d’espoir, de messages d’espoir. Au-delà de la tristesse, il y a la tendresse, l’espérance, le renouveau, la vie. Choisissons ce chemin, en mémoire des miens.

Cinémas


Cinéma, images en mouvement, des premiers pas balbutiant, d’un rythme saccadé tu as su trouver ta voie avant de trouver la voix. D’abord noir et blanc, puis colorisé avant d’être en couleur, puis évolution des technologies, tu devins numérique, cherchant à prendre du relief tu expérimentas la troisième dimension, pour aujourd’hui maitriser à la perfection, les sons, les images et les épaisseurs. A quand les parfums, les odeurs ?
Cinéma je t’ai connu enfant, tantôt en des salons aux fauteuils confortables tout de rouge vêtus, couleur de passion, tantôt assis sur un pliant, une chaise en plastique anodine, cinéma de plein-air, de plein ciel, embaumés des embruns marins.

Cinéma je t’ai visité, dans de très grandes salles de gigantesques complexes aux allures de supermarchés près desquels tu vas te prostituer ; Confort sommaire, les sons voyagent d’une salle à l’autre, d’un film à l’autre, mais le progrès est là : cinéma en odorama, parfum unique de pop-corn écœurant, éclairs de lumières de portables toujours en action…. Ainsi va la consommation.

Cinéma je t’ai aimé, dans ce petit cinéma de quartier bien pensé, petite salle à grand confort, projecteur numérique, écran en hauteur pour ne pas être gêné par un trop grand pile-poil devant soi, son de haute qualité, programmation en phase avec les sorties nationales et prix riquiqui…. Merci ! La rançon de la gloire est en train de t’agrandir d’autres salles, espérons que tu n’en perdras pas ta bonne humeur et ta haute qualité.

Cinéma je t’ai parcouru jusqu’au fond des salles d’art et d’essais, un autre monde, des films en version originale et même des films originaux en versions originales, des salles très cosy, un public différent, une découverte d’autres facettes de notre vaste monde jusqu’en des continents dont on ne voit que trop peu les images.

Cinéma, j’ai pris mes quartiers entre les murs de cette bâtisse récente à l’allure de vieille ferme, tour à tour taverne, brasserie, coin de lecture, coin de discussion, de rencontre, de conversations auprès du feu devant la grande cheminée et bien sûr, ces quatre petites salles aux films tantôt désopilant, tantôt émouvant, tantôt porteur de tant de réflexions, parfois même suivi de débat. Avec mon petit cinéma de quartier, vous êtes mes préférés…

Que dire en clin d’œil ? 
Peut-être que la couleur fait mieux ressortir le côté noir de certains films, tandis que le noir et blanc apporte une poésie haute en couleurs ? 

Vous avez dit paradoxal ? Paradoxal ? Tiens, comme c’est paradoxal………