Période d’incertitudes, de peurs, période de repli, confinement.
Paradoxalement, ce repli est comme une ouverture, sur soi, sur nos propres
richesses, sur ce que nous possédons, puis, petit à petit un détachement du
modèle économique de nos vies, ce carcan que nous nous sommes finalement imposés.
S’isoler n’est pas s’isoler, nous développons notre adaptabilité, nous trouvons
d’autres façons de travailler, de communiquer, tout comme l’eau qui s’écoule
contourne l’obstacle ou bien se renforce contre ce qui la bloque pour le briser.
Bien sûr, il y a l’inquiétude, la peur, pour soi, pour nos proches, bien sûr il
y a la contrainte, de ne pouvoir circuler librement, de ne pouvoir partir
marcher, courir, gravir, respirer les embruns, mais c’est l’occasion de passer
plus de temps sur au fond, un territoire inconnu, ce fameux chez soi où nous
passons en coup de vent, où nous déposons de ci, de là des objets, des pseudos
souvenirs de nos voyages, de nos achats. L’occasion est belle de s’y trouver,
pour une longue durée, de se réapproprier l’espace, de ranger, classer, virer
ces incongrus souvenirs, de remettre les pendules à l’heure de nos vies et les meubles
à leur place. Souffler, respirer, s’apercevoir que notre trésor est un cocon
douillet d’où nous observons le monde. Prendre le temps d’un café, d’un thé
pour déambuler entre les pièces, ouvrir la porte, respirer l’air déjà
printanier. Quelques pas au jardin, le temps d’une pause, respirez le parfum
des premières fleurs, voir grossir les bourgeons, découvrir les premières
feuilles encore toutes fripées, mesurer à chaque visite la progression, cette
poussée de vie de la nature. Oui, la nature est en vie et appelle à la vie,
oui, nous sommes vivants, isolés mais vivants. Le temps d’une pause. Le temps
de quelques semaines, le meilleur moyen de faire front à ce virus qui nous fait
affront.
L’herbe est encore humide, le soleil timide, le printemps n’a
pas encore sonné sa naissance, nous n’avons pour l’heure que ses faire-part :
il arrive, il éclot déjà, prématurément, comme une invitation à bouger, à
sortir, comme pour nous narguer d’être dans nos cages dorées, dans nos prisons
de briques et de verres, le printemps est un diable mais nous ne céderons pas
aux chants de ses sirènes, nous ne prendrons pas la clé des champs, non, nous
nous contenterons de notre espace. Redécouvrir les folles herbes, les travaux oubliés,
les projets en sommeil, s’approprier ce dont nous sommes pourtant propriétaire
et que nous ne voyons pas jusqu’ici. Le confinement rend lucide, il nous permet
en resserrant le prisme de nos territoires d’avoir une vue macroscopique de
notre petit chez soi, il nous incite à réduire la focale pour voir ce qui ne
brillait plus à nos yeux trop éblouis. L’herbe est bien verte chez soi,
pourquoi ne pas s’y poser ?
Le vol des premiers papillons, les insectes butineurs et
bourdonnant, il y a de la vie sans entrave qui s’en vient ici, il y a des vies
entravées de trop de libertés prises, il y a des vies parties par des absences
de raison, il y a désormais un temps pour soi, un temps à soi, un temps à
vivre. Vivons et vivons-le pleinement, respirons, profitons de cette respiration
pour penser aussi à soi. L’important est là, apprenons à profiter de tous ces
instants regagnés, loin des bouchons, des trajets parfois interminables, loin
des agitations. Prenons des nouvelles des proches, des lointains, des autres de
soi. Etonnant de briser le modèle, de découvrir la liberté par la contrainte.
Redécouvrons nos vies. Vivons. Au jour le jour, vivons aujourd’hui. Hier a fui,
demain est loin. Aujourd’hui est présent. Un cadeau. Merci.