Pièges

Les pièges de l’écriture sont nombreux du puits sans fond du manque d’inspiration aux errements des pensées dans les méandres des actualités, fussent-elles personnelles, l’encre sèche parce que l’auteur sèche, parce que parfois il vaut mieux un long blanc que des mots trop secs, parce que la vie est telle que le sel qu’elle y verse parfois rend le plat immangeable, parce que…la vie. A court de mot, à court d’écrit, mais pas à cours de cris, les sujets ne manquent pas, l’expression non plus, elle est bien plus orale qu’écrite depuis quelques temps, la saveur du présent et de la langue prend le pas sur l’écritoire. Conscience, processus de réalisation, la réalisation que les choses arrivent sans qu’on les désirent mais que surtout nous ne pouvons pas revenir sur le passé, rejouer la partition mal jouée, refaire l’exercice jusqu’à exceller, non, juste prendre conscience que les choses sont immuables dans le passé, découvertes dans le présents, envisageable dans le futur sans aucune garantie d’être telles qu’on les imagine. La réalisation de soi, parce que comprendre l’immuabilité des événements, libère l’esprit et le temps pour se consacrer pleinement à aujourd’hui et donc, quelque part à demain. Nos vies glissent sur des rails bien lisses, nous descendons d’un train, et lorsqu’il a quitté la gare, il est impossible d’y remonter, pourquoi chercher à reprendre son passé ? Nous regardons passer les trains, un pas de plus et nous sommes dans le wagon. Le bon ? Comment le savoir sans y être monté ? Personne d’autre ne peut nous donner notre avis, nous ne sommes pas des moutons, du moins dans l’imagerie populaire qui donne à cet animal une connotation stupide simplement parce qu’il évolue en groupe, simplement parce que nous sommes assez stupide pour vouloir le voir comme cela. Le mouton évolue dans la forme la plus adaptée à sa survie, dans le groupe et par le groupe il avance, il récolte chaleur et protection, l’union fait la force, c’est pourtant un dicton d’hommes… Sans monter dans le train, sans tester, sans chercher à savoir, nous ne saurons jamais si c’était ou non le bon wagon. Le mouvement fait plus peur que l’immobilisme, pourtant c’est immobile qu’on ne grandit plus. Il y aura d’autres trains, d’autres wagons, tout comme il n’y en aura pas d’autres, qui sait ? Qui peut prévoir ? Personne. Doit-on attendre de subir son futur ? Doit-on comprendre que nous devons générer le mouvement et non attendre ? Attente. Immobilisme. Attendre c’est imaginer, fantasmer sa vie et ne s’exposer qu’à des désillusions parce que rien ne collera jamais au rêve, les mondes du virtuels et du réels ne sont pas sur la même étagère. Attendre, c’est refuser ce qu’on n’attends pas, c’est se mettre des œillères en ne focalisant que sur l’image rêvée, attendre, c’est désespérer.

Le poids du vécu ne doit pas être un fardeau mais un guide. Le marcheur qui veut un bâton solide taillera la branche mais lui enlèvera ses ramifications pour marcher : ne retenir que le nécessaire pour avancer, s’appuyer sur les parties solides et digérées de notre passé nous ouvre les portes de notre présent et nous prépare à notre futur. Trop souvent, on repart sans avoir vraiment compris ni pris la peine de remettre de l’ordre aux souvenirs, on s’encrasse, on s’alourdit jusqu’à s’y épuiser, épuiser l’autre et finir par couler. Le temps est un allié, savoir le prendre, savoir se retrouver soi c’est aussi le plus beau des cadeaux à faire aux autres. Chaque page de notre grand livre est la suite de la précédente et le début d’une nouvelle, ligne après ligne on se construit, on empile nos couches d’expériences mais si on ne laisse pas le temps de s’imprégner des leçons apprises, les strates se délitent, les délits se multiplient, les lits se vident, ambiance livide. Pause, temps mort, on apprend à tout âge, en prenant le temps, et au final, le temps mort devient un temps bien vivant. Pause écriture, mais vies orales, débats et discussions, on se croise, on se parle, on s’oubli, on avance dans les couloirs du temps. Comment écrire si on n’en prend pas le temps ? Décidément, ce temps est essentiel à nos vies, comme quoi, l’essentiel est de le prendre, non ? Allez, un point, la vie m’appelle, je vous laisse ici, je vous attends dans la vie vraie, le temps de prendre un café ?

Adieu tonton

Etrange rapprochement des dates, au moment où le calendrier fait converger mes pensées vers toi, mémé, voilà que ton fils s’en vient te rejoindre, si tant est qu’il y ait rapprochement des âmes, les corps ayant terminé leurs vies terrestres pour s’en aller trépasser sous terre. Comme une autre épreuve, comme un triste rappel de notre mortalité, comme un rappel aussi des liens qui sont sensés nous unir, nous membre d’une même famille, c’est bien à tous que je pense et à nous tous dont je revois les images des événements que nous avons partagés, heureux ou triste, toutes ces années qui font ma vie, ponctuées des naissances de vous mes chers cousins, ponctuées des rires, des fâcheries, des pleurs, des joies de se retrouver, des rendez-vous pris et qu’au final nous avons manqués. Triste journée que ce jour qui pleure de pluie, de ces nouvelles qui viennent sonner le clairon et annoncent la fin d’un être. Adieu mon oncle, les souvenirs coulent en larmes mais il est tard pour regretter, juste se dire qu’on va essayer de corriger le tir et de s’accorder le temps parce que personne n’est éternel, parce que vivre nécessite aussi ces bains de familles, ces cafés, ces apéritifs, ces repas pour se retrouver, pas simplement ces coup de fils déguisés en sms. Adieu tonton, Aimé, tel fut ton nom sur terre, je pense à ton frère, je pense à ta sœur, ma mère qui perd aujourd’hui son petit frère. On a beau savoir la maladie, on a beau savoir que l’immortalité n’est donné qu’aux vivants, le rappel à l’ordre est toujours amer. Mon deuxième oncle à presqu’un an, ma grand-mère il ya trois ans, la fin de l’hiver sonne triste sans vouloir rapprocher les dates. Quelques mots, quelques larmes, beaucoup de pensées, je sais qu’encore une fois, rien ne va se refermer tout à fait, je sais qu’encore une fois, une cicatrice va saigner, ainsi va la vie.

S’il existe une vie après la vie, si l’âme sans va retrouver d’autres âmes, embrasse bien pépé et mémé, car même si sur terre nous ne sommes pas toujours en bonne entente, le temps ne retient jamais que les bons souvenirs. Merci pour toutes les choses apprises, merci pour ces années de rire, de vacances, de présence, même discrète, j’en mesure aujourd’hui cruellement leur valeur. A ma tante, à mes cousins, à tes petits enfants je pense, car là est la terrible épreuve, celle de mesurer la place de l’absent. Adieu tonton. Tu manques beaucoup à ta famille, aux tiens qui sont les miens, liens de sang, liens d’absence, cruel moment. Adieu.

En rentrant chez elle, la porte était ouverte

En rentrant chez elle, la porte était ouverte…

Quel temps faisait-il, je ne m’en souviens pas. Il est des jours comme ça où les sentiments occultent toutes ces choses anodines qui peuplent nos existences au point de parfois y prendre une place importante, une façon peut-être d’en combler le vide. Une journée au ralenti, un jour en accéléré, une vie, des vies qui défilent, un instant hors du temps et pourtant terriblement dans le temps, une clôture d’un temps qui occulte le temps, le moment ou l’occulte prend le pas sur le réel, étrange course du temps, succession d’actions et de pauses, de comptes, de décomptes et de fins.

Une vie, toutes ces années passées, toutes ces années vécues, c’est un ensemble de vies bien difficile à résumer et même à comprendre. Le prisme déformant du temps, ne plus être dans le contexte, admirer le personnage pour tant de choses partagées, comment pourrait-on être neutre ? Dans notre époque mobile, nous avons du mal parfois à imaginer nos anciens autrement que sédentaires, et pourtant, selon les conditions de chacun, il fallait bien aller là où le travail existe, là où la terre nourrira la famille. Cette terre ocre prenant feu sous les rayons du soleil, dans toute la palette des couleurs, à chaque heure du jour, ces collines à perte de vue, ce vent toujours présent, qu’il soit léger ou bien fort, ces parcelles encadrées de ruban de verdures, ces sillons creusés à l’infini pour que les pluies trop ingrates puissent apporter la vie aux semis, c’est là le décor, le berceau, l’établi et le tombeau de la famille. Ces paysages sans fin, si ce n’est d’aller tutoyer l’horizon, ce vent fou qui saoule de ses accents de vies intensément soufflés, ces moulins édentés venant prendre la place de châteaux-forts sur les sommets redondants, c’était sa terre, son pays, un pays qui ne connait pas de frontières, de limites, qu’elles fussent administratives, communales, départementales ou bien encore régionales, ce pays-là n’était qu’une même fratrie, une même patrie, une terre de liberté. Il est des pays où les devises républicaines prennent un sens si ancré dans le quotidien qu’il en devient tout évident de les afficher aux frontons des mairies. C’est dans cette apparente simplicité que naquit le siècle, vingtième du nom, et plus tard, un tout petit peu plus tard, le premier rempart de ma famille, le premier maillon de cette chaine qui me relie à cette terre, un des maillons d’une longue chaine laborieuse et laboureuse. Elle, c’est ma grand-mère, ma mémé comme on disait alors dans ce temps ou les mamys n’étaient pas encore inventées, du moins, pas dans nos contrées reculées et paysannes. C’est ici, dans ce modeste village du Lauragais qu’elle est née, cinq ans après mon grand-père, deux familles parmi quelques autres vivant des fermes espacées, éparpillées, disséminées dans les replis de ces paysages tout en courbes. Des lieux de vies distant mais des actes de vies rapprochant les hommes et les femmes, solidarité dans les travaux des champs comme dans les moments festifs qui rythme le calendrier, partage des joies comme des peines, l’isolement n’était que géographique.

L’enfance ? Je ne peux que l’imaginer, je n’ai jamais parlé de cela avec mes grands-parents, juste quelques anecdotes qui venaient ponctuer notre quotidien d’alors, pas de photos sauf en de rares occasion tels les mariages, des ces vraies photos en sépia qui éclairent de nostalgie les yeux intrigués trop habitués aux couleurs qui les regardent. L’enfance a passé, un peu d’école mais pas trop, les travaux des champs réclament toujours plus de bras pour récolter toujours moins, l’adolescence comme un passage obligé vers l’adulte, les bals, la rencontre dans ce monde si réel, le mariage au cœur des années trente puis la famille, un autre maillon de ma famille, un anneau à ma chaine de vie. Les travaux aux champs, toujours, les changements de fermes, plutôt de métairies aux grés des métayages, et le ciel de septembre qui s’assombrit, gronde et crache les horreurs d’une guerre, le départ du père, mon grand-père, les familles se resserrent autours des quelques hommes restants. L’occupant occupe et préoccupe jusque dans cette zone dite libre, réquisitions des logements et dans les logements, des meilleures chambres, réquisitions de nourriture, et l’angoisse d’être sans nouvelles de l’homme de la maison quand les nouvelles circulant les jours de marché ne cessent d’angoisser. Les enfants grandissent dans cette période agitée autour de la mère, pivot central de la famille, durant ces trop longues années, jusqu’à ce qu’enfin mon grand-père reviennent de la ferme où il était retenu prisonnier. Quelques années encore passées dans ce coin de Lauragais avant d’aller chercher fortune près de la ville, la grande ville et ses maraichages. Les garçons travaillent et apprennent la vie à son contact, le métier sur le tas et le tas de métier suffisamment conséquent pour ne pas rester sans emploi. La fille aussi, l’ainée de la famille, celle qui a veillé et élevé ses frères, celle qui a quitté l’école à la fin du primaire pour s’occuper du foyer, de la cuisine et des bêtes, découvre la vie à la ville, les bals, les dancings comme ils s’appelaient alors, les rencontres, la rencontre, le mariage et l’installation à deux. Mon deuxième rempart, mes parents.

La ville a grandi, la ville a grossi, elle a dévoré les jardins maraichers, cultiver l’immeuble là où poussaient les poireaux et les racines de salsifis, mes grands-parents se sont trouvés aspirés par les tours de bétons et leur vie devint urbaine. Exit les mobiles du passé, place au nouveau mobilier, le formica ivoire est venu remplacer le bois patiné par les longues années. D’eux, je n’ai connu que ces années-là, génération lino et hlm, dans ces quartiers populaires aux accents d’Espagne et de Maghreb où la solidarité et les échanges fonctionnaient à plein régime encore. J’ai grandi aux odeurs de cette cité, aux sourires de toutes ces grands-mères, aux gouts des bonbons et des pâtisseries maisons, aux joujoux de plastiques colorés et cette gentillesse débordant de balcon en balcon. La ville à l’année, les week-ends et les vacances dans d’autres collines, celle du piémont de nos chères Pyrénées, et durant deux mois d’été, la rudesse et les joies d’y vivre avec les grands-parents, même si les œillères de l’enfance empêchent de réaliser tout cet amour distillé, exprimé par le geste, par l’action plutôt que par les mots et la tendresse des caresses ou des baisers. La ville a grandi encore et encore, nous aussi au fil du temps, acteurs de nos vies, et l’âge venant, la santé de mon grand-père se dégrada, respirer devint un combat, une machine l’aidait en cela, quelques heures par jour en plus de la nuit. Des périodes chez mes parents, des périodes en hospitalisation, c’était mes années d’étudiants et je déjeunais avec eux lorsqu’ils y étaient. Coupure d’un temps scolaire, retrouvailles familiales, plaisirs d’apprendre le passé dans un présent trop rapide. Mon grand-père s’éteint juste avant mes épreuves, la mitoyenneté des deux a détruit les souvenirs des deux. Une page se tournait mais le livre était encore ouvert, ma grand-mère avait besoin de nous et nous avions besoin d’elle, égoïstes que nous sommes. Un changement d’appartement, deux étages de moins à monter, une coupure d’avec le passé même si le bâtiment était le même, les courses et les visites, autant de grain de temps dans le grand sablier qui construit nos rides. Et c’est encore en septembre que le sol vibra, les fenêtre éclatèrent et le ciel s’assombrit d’un nuage jaune. Une autre guerre, les suite d’une violente explosion en l’usine AZF, un combat pour s’en relever, des séquelles physiques, des opérations, des soins, et l’exil voulu par le fils bien aimé dans une maison de convalescence d’abord, un passage éclair dans la famille et les affres d’un mouroir couteux, les coulisses de notre société, celle qui tourne les talons à ceux qui vous ont chéris. Heureusement, il existe dans ces établissements qui placent l’humain à la première place de ses priorités, et c’est là que mémé a connu un retour à la vie. Du personnel souriant, présent, des animations, des soins, l’abandon du fauteuil roulant pour marcher seule simplement appuyée sur sa canne, des visites familiales régulières, ce fut des années de bonheurs, du soleil sur sa vie. Bien sûr il y avait l’usure, plutôt les usures, celles des privations, des mauvaises alimentations, celles du labeur, celles de l’âge et celles de la terrible explosion. Des hauts et des bas, des soins dans l’urgence, un cœur fatigué dans un corps qui ne l’était pas moins, puis le dernier pied de nez, comme si les poumons étaient trop faibles pour souffler les quatre vingt treize bougies, elle s’éteignit quelques jours avant. Une triste nouvelle apprise par mon père, une émotion très contenue à laquelle on pense s’attendre puis soudain, un torrent de pluie qui bouillonne dans le cœur et ruisselle sur les joues, les cris se libèrent bien avant l’écrit, je réalisais combien à travers ma grand-mère je perdais le rempart qui protégeaient mes parents, je prenais conscience qu’ils se retrouvaient soudain en tête de liste de cette liste inhumaine et pourtant si réelle, la vie n’est bien qu’une maladie mortelle qu’on attrape à la naissance. A travers mes larmes, je pensais à cet arrière petit fils qui fut son complice et son dernier amour, non pas qu’elle n’ait aimé que lui, mais juste que dans l’ascendance et la descendance des âges, la même candeur se retrouve et donne-là un sacré terrain d’entente dénuée de toute pudeur. Un premier chagrin d’amour pour lui, parti avec sa classe pour une classe de neige, un retour difficile en prévision. Je pensai aussi à ma mère, orpheline tout à fait désormais, ces derniers années avaient été celles du rapprochement, peut-être même de la compréhension. On apprend à tout âge, encore faut-il vouloir apprendre. J’étais las sous ma douche chaude et mes larmes épuisaient la chaleur de mon cœur, je me sentais dépossédé de ceux que j’aimais, pépé, mémé, que n’ai-je consacré du temps à discuter avec vous ? Que n’ai-je réalisé combien vous n’étiez pas éternels au lieu de courir dans des courses contre un temps perdues d’avance ? Vous ai-je simplement dit combien je vous aimé ? Les années qui suivent vous appellent de mes pensées, l’adulte comprend en grandissant, il pleure les leçons non apprises et réalise le parcours des ainés. Une petite main dans la mienne, nous sommes si complice, plus que ne seraient père et fils, une drôle de relation, une relation drôle, enrichissante et constructive, pour les deux, nous sommes égarés parmi ces gens hagards, ces yeux rougis, ces fleurs trop présentes, tandis que toi tu reposes encore sur ton lit blanc, le visage livide d’un corps sans vie. Mutisme d’un petit homme qui refuse la cruelle vérité, le choix implacable de n’avoir pas le choix, un enfant perdu dans le tourbillon des images qui défilent dans sa tête, tout comme dans la mienne, des sourires, des taquineries, des baisers et une voix qui ne résonnera plus que dans nos cœurs. Une envie de fuir aussi, loin de ces gens qui vous dévisagent, loin de ces visages familiers qui ne savent plus s’ils doivent vous consoler ou vous laisser exploser, et sa main qui écrase la mienne comme pour me dire de ne pas l’abandonner. Une messe solennelle et trop pesante par cette envie de diffuser une biographie apprise quelques instants plus tôt en nous interrogeant, des larmes qui brûlent les yeux mais un grand respect pour celle qui dort, l’âme loin du corps, cette boite oblongue de bois blond aux poignées trop dorées, cette femme qu’on célèbre loin de chez elle. Et puis la sortie, la lumière aveuglante d’un jour frais de février, les condoléances auxquelles on ne sait que répondre, le fourgon qu’on referme et la poursuite en voiture vers ce cher Lauragais, ce petit village qui la vit naitre, voilà, qu’elle y retournait à jamais.

En rentrant chez elle, la porte était ouverte, celle de ce petit cimetière trop connu pour abriter les tombes aux noms trop familiers depuis tant de générations, des dalles alignées en travers de la pente, des cyprès trop vieux pour briser l’impétueux vent d’Autan, et au bout, dans la dernière travée, presque tout en haut, une pierre posée à même le sol ou reposait depuis onze ans déjà mon grand père. Ici ils étaient nés, ici ils vécurent leurs débuts de vies, ici ils vivront leurs début d’éternité. Moment d’émotion encore à la vision de cet habit de bois qui recouvrait pépé, déception et colère enfin explosée pour mon petit homme qui pensait que sous le couvercle levé il allait enfin connaitre son arrière grand-père, rasé de près et souriant comme sur la photo du caveau. J’avais envie de desserrer mon col, de jeter ma veste, de m’enfuir en courant, d’aller là-haut, au-delà du moulin pleurer et penser à eux deux, et aussi à tous ces orphelins, ma mère, ses frères, les conjoints, mes cousins, ma sœur, mon neveu, mais le temps n’était pas encore venu de cette libération, il fallait s’accorder un peu de temps dans le temps des vivants, renouer ces liens que la vie érode et détruit mais que la mort rétabli, paradoxe de notre monde. Cette porte ouverte, combien de fois je l’ai vu close, le vieux verrou de fer usé par les mains maladroites à ouvrir le battant, ce grincement sans lequel l’instant n’aurait pas le même écho. Cette porte ouverte, c’est aussi celle de l’armoire aux souvenirs, celles aussi du coffre aux émotions, les blindages de l’homme ne sont pas assez fort pour étouffer ces gestes d’humanité et d’humilité. Cette porte reste ouverte, et je n’ai pas besoin de me mesurer aux ombres des cyprès, ni de toucher la froide dalle de marbre pour savoir qu’ici est né une partie de mon sang, pour comprendre combien ces collines, cette terre, ce vent, ce ruisseau paisible qui coulent en bas, ce soleil jamais trop brûlant ne sont que les quatre éléments qui gouvernent nos vies, mais surtout, ce ne sont que les quatre éléments qui m’ont à jamais construit et me construisent encore car le chemin n’est jamais fini.

Une date comme une autre...

Une date comme une autre, ou presque…. Une journée de la femme, ou presque…. Une journée pour une femme, le jour de son anniversaire, tout simplement. Une femme sans laquelle je ne serai pas ce que je suis, et vers laquelle mes pensées du jour s’envolent, si tant est qu’il faille voler pour la retrouver. Les liens sont ainsi, parfois volages, parfois serrés, mais ils sont établis. Le temps n’est qu’un fripon qui fripent nos visages et donnent de la profondeur aux sentiments, certaines dates anniversaires viennent réveiller les plus endormis, les émotions replongent et ouvrent la porte d’un coffre fort dont on pensait avoir jeté la clé, c’est ainsi que nous sommes, humains dénués de boutons de remise à zéro, le temps n’efface pas les choses les plus solidement gravées, les parfums les plus suaves, nous avons tous nos madeleines de Proust. Que serions-nous sans cela ?

Ce n’est pas parce que c’est son anniversaire que j’y pense aujourd’hui, c’est parce que j’y pense souvent que le jour de son anniversaire brille d’un éclat particulier. Bien sûr, les derniers jours pèsent plus encore, parce que plus récemment inscrits, parce qu’intenses, parce qu’il est peut être plus facile de se remémorer les souvenirs du dessus du panier, mais les pensées voyagent sur la totalité de l’histoire, celle partagée comme celle racontée, et dans ces voyages-là il n’y a pas forcement de noir et blancs ni de sépias sur les images passées. Les souvenirs nous sont propres, chacun en a sa perception, sa description, son vocabulaire. Ce ne sont que tendres souvenirs, mais aussi, cruelle douleur et le sentiment de manque, plus la lumière sur beaucoup de choses, les raisons vraies qui font que certaines sont là et d’autres pas, en dépit des rôles et des places tenues ou sensées être tenues. On apprend à tout âge, et sur ce coup-là, j’ai encore bien appris malgré moi. Toujours ce grand bal trop peuplé de faussaires, « je te connais parce que j’ai besoin de toi, je te range sur l’étagère des « prêt à servir en cas de soucis » lorsque ma vie brille à nouveau ». J’apprends, je nettoie, je trie et je classe, opération kleenex et vieux papiers, le samu social ferme ses portes, prière de s’en aller sonner ailleurs.

En attendant, pause. Arrêt des images, texte suit. Une place se libère sur étagère, l’occasion d’aller y faire la poussière, pendant quelques temps se souvenir en voyant la place vide du vase cassé, puis réorganiser les choses ou remplacer, le vide appelle le vide, mais laissez les morceaux à la poubelle, les colles ont des solvants agressifs que je ne supporte plus. En attendant, mes pensées voyagent et je pense à toi, femme de ma vie, une énergie, un vécu, une volonté, des rires, des pleurs, des grincements, des images fortes, joyeuses ou tristes, une porte ouverte sur un monde devenu bien différent, une ouverture aussi, celle de l’esprit.

Quelques mots encore pour te dire combien je pense à toi, et combien les mots résonnent au cœur….

Trois années déjà que tu n’es plus, une année dure que cette année-là, mais riche au final de bien des enseignements….. Pensées pour toi mémé…