Dans la tradition de Pâques, à côté des chocolats, il
est celle de l’omelette. Je ne sais pas si cela est de mise dans toutes les
régions, mais par chez nous, la fin du carême se traduit par ces omelettes
faites des œufs pondus en nombre durant la période d’abstinence et qu’il
convient d’utiliser pour ne pas les perdre. Au menu, gâteaux merveilles, sortes
d’oreillettes plus épaisses, et puis bien sûr, l’omelette. Du côté de
Bessieres, elle bat des records de gigantisme, en taille, en nombre d’œuf, et
donc de convives venus gouter à la fameuse baveuse. Dans ma famille, c’est
plutôt une omelette dessert, non, nous ne sommes pas norvégiens, ou alors, il y
a des détails qui m’échappent…. Non, l’omelette de ma maman est faite d’œufs, jusque-là
c’est normal, mais au moment de la rouler dans la poêle, elle est saupoudrée de
sucre, puis en fin de cuisson, c’est une casserole d’eau de vie de ferme, précédemment
réchauffée par le fiston qui est embrasée et versée en larmes de feu sur la
préparation… Ce jus, recueilli et reversé sur l’omelette à coup de cuillère
perd ses alcools et nourrit de parfum et de flammes oranges et bleues un
fabuleux dessert qu’aucun lundi de pâques au soir ne saurait manquer…. Du
moins, tant que la cuisinière experte était parmi nous pour nous en régaler.
Cette année, c’est en pensant à ces trésors de
gourmandises patiemment distillés, parfois cachés, toujours appréciés que nous clôturerons
notre week-end pascal. Et même si nous tenons la recette et les ingrédients,
même si nos souvenirs gourmands revoient les tours de mains, ça sera une année
sans, un vide dans le cœur, autour de la table, mais une présence toujours
aimante et discrète pour son petit monde. On a beau savoir que les choses ne
sont pas éternelles, pas plus que nos vies, on reste quand même cueillis à
froid lorsque le vent emporte nos amours d’éternels enfants. Ainsi s’en va les
vies, celles qui changent de monde, de lumière, celles qui restent et se
souviennent, et si les larmes font quelques fois souvent briller nos yeux, ce n’est
qu’après tout la fierté d’avoir vécu, partagé et connu ces trop bons moments.
Il n’est nulle tristesse qui l’emportera sur l’amour, le respect, la dévotion et
la filiation. Il n’est nul regret, inutile, imbécile de nous retenir dans un
passé à jamais figé. C’est par les épreuves que nous vivons, ce sont par elles
que nous nous transformons et évoluons. Cela ne veut pas dire « oublier ».
Cela veut dire « aimer ». La plus belle des récompenses à offrir à
celle qui vous a donné la vie, c’est de lui montrer que vous en êtes digne,
fier, prêt à prendre votre place et non pas la sienne, on ne marche pas dans
les traces des autres, on se sert du sillon tracé pour grandir, s’épanouir et à
son tour briller. Donner est une belle chose, le faire sans retour est un
langage d’amour.
On a tous notre parcours, nos souvenirs, madeleines de
Proust ou bien omelettes flambées, merveilles ou bien terrible mousse aux chocolats
en après pâques, interprétation culinaire tout comme conseils reçus en des
époques où les oreilles étaient bouchées de trop de certitudes, je ne sais plus
tout ce dont j’ai pu bénéficier, je sais juste aujourd’hui que tu n’es plus là
maman, combien de sacrifices ont coutés ces amours maternels et parentaux.
Cruauté de l’enfance qui distribue l’insouciance et nous apporte la réflexion
avec retard, mais serions-nous autrement si les choses étaient autrement ?
Adissias maman, avec toi s’en va la branche occitane et chantante de mon sang.
Par toi j’ai appris à aimer ces terroirs, cette langue, ce monde et ô combien
de façon de cuisiner les ingrédients les plus basiques, car le monde paysan est
d’abord un monde de la terre, un peuple de terrien qui mesure son labeur sans
décompte des heures, qui sait se nourrir des produits d’un terroir, légumes ou
ces fameux mousserons, volailles galopantes et œufs du jour, l’omelette au fond
est un bel exemple et si désormais le cassoulet porte des lettres de noblesses,
combien se souvienne qu’il est né sans haricot mais plutôt garni de ces douces
fèves d’à peine printemps ?
Joyeuses pâques et rappelez-vous qu’on ne fait d’omelette
sans casser des œufs….