L’ombre douce hier devient mordante aujourd’hui, le ciel pâlit
dans ses derniers regards bleus et le vent léger s’en vient jeter un froid sur
la fin de l’été. Marcher. Sentir le sol meuble, parfois imbibé des eaux
nocturnes, marcher, oui, toujours marcher, telle est la simple quête, l’histoire
d’une vie. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours marché. Bien sûr, les
premiers pas sont toujours hésitants, mais ils conduisent l’enfant vers sa vie
d’Homme, et au fond, les hésitations de nos vies ne naissent-elles pas dans
celles de ces premiers pas ?
Combien de pas une vie contient-elle ? Le saura-t-on
jamais ? La marche, c’est le rythme le plus rapide associé au rythme le
plus lent, le cœur qui s’emballe tandis que le pas s’allège, plus lourd,
gravissant la pente, escaladant la pierre, le souffle court et le regard
lointain, c’est si beau la nature, le monde. Il y a toujours quelque chose à
voir, à découvrir, le regard trouve toujours à se poser, à s’accrocher, même
lorsque le pied glisse, crisse et cherche le bon point d’appui. Un sous-bois,
une forêt épaisse n’arrive pas non plus à stopper la vue, il y a mille fleurs,
il y a des drôles de champignons, un bois à la courbure étrange, une frêle
fougère, parfois un chevreuil, une grenouille rousse, un lézard ou la timide
salamandre, la vie est partout et rien ne vaut la vie. Marcher, oui, marcher.
Avancer et parcourir les sentiers, apprendre et chercher à comprendre, pourquoi
ici, pourquoi cela, voir les traces, l’empreinte que laissent les vieux murs
sous la mousse tendre, signe de vies éteintes, signe de vies présentes, la vie
nait de la vie, rien ne meurt vraiment si ce n’est ce que laissons mourir quand
nous ne le tuons pas de nos propres oublis.
Drôle de chemin que la vie, une verte prairie, une forêt
sombre, un désert de solitude, une voie monotone laissant sans voix, l’oubli
puis l’oubli de l’oubli, parti aux oubliettes, et le ciel devient noir et gris,
il pleut sur nos pleurs comme il arrose de vie ces sols trop secs faisant y
pousser la vie, en de tendres verts aux feuillages en formes différentes,
quelques fleurs fragiles essaient d’éclairer le tout histoire d’attirer quelques
insectes butineurs et pourquoi pas quelques papillons. Ah les papillons….
Drôles de trouble-fêtes, ils s’en viennent vous gargouiller dans les tripes
avant de vous chavirer les têtes puis s’en vont comme si de rien n’était et
vous laissent à votre propre chrysalide. Mutation de l’être, le raisin devient
jus sucrée puis fermente et s’enivre de mille alcools pour devenir cet exquis
vin juste divin. Leçon de choses, lettres belles, pleines et déliées, écrites à
la plume d’un sergent devenu major, la couverture jaunie d’un cahier sur
laquelle elles sont tracées renferment mille leçons que nos vies nous poussent
à oublier…. Pourtant tout est là, la vraie alchimie de la vie : le raisin
devient vin, la chenille papillon, le petit enfant devient grand et les
premiers pas deviennent parents de tant de descendant parfois montant au gré
des montagnes, aux grés donnant la couleur des paysages. Ce qui aujourd’hui te
laisse triste donnera demain la splendeur insoupçonnée d’une vie. Oui.
Le vent frais et l’ombre mordant font se détrousser les
manches retroussées, et même sans personne aux trousses, le pas s’accélère,
histoire de réchauffer le corps et pour tout dire de quitter plus vite ce monde
froid. Simple perception ou bien réalité des choses ? Il y aura toujours
une hésitation, parce que toute simple chose s’entoure de son contraire, la
lumière et l’ombre, le chaud et le froid, la pente et la montée, tout est
vérité, mais vérité différente selon le regard porté. Le bonheur de marcher est
aussi celui de voyager, dans son propre corps, ses propres pensées, se perdre
dans ses idées, mélanger les couleurs, éclairer les sombres, atténuer les trop
vives et se laisser aller, à l’émerveillement, à la découverte, au chemin…. Ah !
Le chemin…..