Du temps pour les vivants


C’est un jour sans soleil, un jour sans pluie, un jour sans envie. Il y a du monde, une foule d’anonymes, les uns aux yeux des autres car ainsi va la vie, nous menons tous nos barques vers des horizons lointains tout en oubliant d’où nous partons, nos ports et nos attaches, si proches. C’est un jour anodin où les gens se sont réunis pour dire au revoir à celui qui n’est plus. Un jour quelconque, un jour à part, un jour où l’on se souvient.

Les regards plus ou moins embués, les paroles éphémères, les mots troublés, les mots que l’on croit bons, les mots ordinaires sur des vies ordinaires. Là. Il n’est plus. Alors on raconte, on sourit même, on se rappelle des souvenirs d’une enfance, des attentions, des engueulades, des repas interminables, des longues tables, des bricolages, des travaux à n’en plus finir, et l’on remet de la dorure sur des pleurs d’hier, on appelle à la rigolade à peine contenue par des souvenirs vieux mais liées. Il n’est plus, mais on se rappelle du temps où il était. Un temps passé et à bien écouter les histoires, un temps tout de même lointain. Car ainsi vont les vies, on se croise, on vit, on partage et on rit, puis chacun trace sa route, sans jamais se retourner, en emportant les fleurs séchées du passé en croyant les voir s’épanouir à jamais. Pourtant, il n’est pas difficile de réaliser que les fleurs fanées ne sont plus les roses fleuries du jardin de la vie. Pourtant, si le bateau file promptement vers nos horizons lointains c’est bel et bien que nous en tenons fermement la barre et gardons le cap vers ces ailleurs flamboyant. Pourtant, si nous nous rappelons d’hier c’est qu’hier n’est pas mort ni même à jamais mort dans nos cœurs. Alors on parle, on se souvient et on raconte comme si rien n’avait jamais changé.

Pourtant il est là, impassible et froid à ces rires, étanche à ces émotions. Il est là et il n’est plus. Une petite voix s’en vient et interroge : « Dis, tu parles si bien de lui dans des jours lointains, mais quand l’as-tu vu pour la dernière fois ? Quand ? L’as-tu vu le dos courbé, les mains endolories de trop travailler, les cheveux blancs laissant place aux cheveux rares, les mots hésitants et le regard perdu ? L’as-tu vu il y a quelques jours, encore marchant, encore souriant, encore parlant ? L’as-tu entendu dans ton téléphone dernier cri ? L’as-tu entendu autrement que dans tes souvenirs d’enfance choyé ? » C’est terrible une petite voix, ça vous perce les tympans et vous glace le sang. Triste réalité, nous courons sans savoir vers où et nous quittons ce que nous ne connaissions que trop bien. Sommes-nous imparfaits ou simplement trop parfaits ? Qui sommes-nous ? Peut-être bien que nous sommes, tout simplement, parce qu’il a été là pour glisser quelques conseils, parfois douloureux à recevoir, parfois nous auront-ils paru imbéciles, mais chaque pierre du chemin construit notre chemin et si nous oublions ces pierres, n’oublions jamais d’où nous sommes partis, d’où nous sommes issus, sachons aussi accorder du temps au temps, du temps aux vivants.

Promenade aux bois



Il y a dans ces bois, un parterre de fleurs
Il y a dans ces bois, une couche de douceur
Il y a dans ces bois, un instant sans heure
Il y a dans ces bois, un répit de bonheur

Là, près du ruisseau guilleret, Il est deux rochers
Près desquels des cendres sont éparpillées
Cendres sans conséquence d’une vie achevée
Cendres glacées à jamais dispersées

Au creux de ce bois, tant de pas, tant de pas
Au creux de ce bois, promeneurs et animaux
Passent près des rochers, admire le ruisseau
Sans savoir ni se douter qui se cachait là

Futilité de nos pas, futilité de nos vies
Tant de pas, tant de traces, une vie
Poussières d’éternité vouées à l’oubli
Tout s’efface, des cendres sans bruit

Il y a dans ce bois, un parterre de fleurs
Il y a dans ce bois, des émois et un cœur
Il y a dans ce bois, hors du temps, des peurs
Il y a dans ces bois, un répit de bonheur

Des rochers pour les initiés, au bord de l’eau
Des pensées en fleurs et en pleurs parfois
Alors les larmes se mélangent au ruisseau
Elles glissent et voguent sans doute vers moi
 




Petit déjeuner printanier


C’est le printemps,
Ce matin je me suis offert un bonheur,
J’ai pris mon petit déjeuner dehors
Au soleil de ma terrasse,
J’ai regardé le jardin au soleil printanier
Des jacinthes toute de rose dressées
Des tulipes à peine écloses
Quelques dernières fleurs sur le prunus
Au travers des feuilles rouges d’impatience
Les narcisses éclairent de blanc fier les bordures
Tandis que les jonquilles éclatent de jaune
Soulignées du bleu presque froid des muscaris
Les oiseaux gazouillent et chantent
Le vent semble être parti  se reposer
Les bourdons noirs dansent autour des pollens
Il ne manquerait plus qu’un papillon.
Le soleil sur ma peau m’offre ses premières chaleurs
Le chat lui, a préféré rester devant la cheminée
Tout est calme, pas un bruit autre que la nature
La douce odeur du pain grillé, un beurre à peine salé,
Les fumerolles du café, c’est un dimanche de mars
C’est un printemps et une belle journée
C’est la vie qui renaît
C’est l’envie qui est
C’est si simple le bonheur






Ecouter le silence


Ecouter le silence, c’est entendre les bruits de la vie, se réveiller et prendre conscience de la maison qui vit. Le feu qui crépite, le tic-tac de l’horloge, les craquements de la charpente au sortir de la nuit sous les premiers rayons du soleil. Peu à peu, il écoute, il entend, il s’installe dans ce monde auquel jusque-là il n’avait pas prêté attention. Peu à peu il chemine avec moins d’hésitations dans ces lieux pas encore tout à fait familier. La pièce est petite et encore trop meublée, elle vit dans ces instants de transitions où deux vies s’entrechoquent, celle de la possession limite collectionneuse à en friser la correctionnelle et celle plus dénudée, plus simple et tellement plus essentielle. A quoi servent les piles d’assiettes aux décors variés si l’on oublie de les sortir de leur cercueil de bois sentant la cire pour les aérer ? L’essentiel est dans la vie, l’usage, non dans la possession. Quelques verres pour les amis de passages, les amis de naufrage, les coups perdus et les soifs d’écouter, quelques ustensiles pour une cuisine simple et utilisant les produits du coin, quelques chaises mais pas trop, un table pas trop grande, un coin pour se détendre et lire en écoutant la musique des bruits d’ici. Un fond musical pour parfois se plonger dans des rêveries dont les brumes ne tiennent en rien des fumées toxiques, un abri, un refuge, des murs de pierres, austères pour qui ne sait lire dans leurs rides les vies passées, des bout de rochers égratignés par des éclats de rire et des travaux d’antan. Un cocon, essentiel.

Il fait grincer la fenêtre et repousse le vieux volet au bleu éclatant qu’un valet tout rouillé mais fidèle au poste s’acharne à retenir sous les coups de vents et parfois les vagues de pluies, de celles à faire fuir les touristes qui ont du mal à comprendre qu’elles ne durent jamais très longtemps, ici le temps change au gré des marées et selon ses propres envies, le ciel a toujours la bougeotte, il se pare de bleu et le mélange sans cesse de gris. C’est peut-être pour cela que les volets sont souvent bleu éclatant, c’est peut-être pour cela que les pierres paraissent austères, c’est grâce à cela que le monde passe avec bruit et repart aux jours raccourcis. Le temps est clair, le ciel est gris, l’air puissant et iodé, la fumée retombe et le chat peine à s’aventurer au dehors. Il referme la fenêtre sans rideau, découvre la pièce baigner d’un peu plus de lumière et s’en va faire couler son café. Un coup de tisonnier, la flamme se redresse et envoi un gerbe d’étincelle aussitôt aspirée par la cheminée, le feu s’exprime, s’étire et se contorsionne comme au saut de son lit. La vie s’installe, les oiseaux pépient, une voiture passe, des bouts de conversations s’accrochent aux murs, bientôt rugira la corne du vieux roulier qui emporte les iliens vers là-bas et d’autres bruits. A chacun son rythme de vie et d’envies. Pour l’heure, cela sera petit-déjeuner et lecture avant d’aller se dégourdir les jambes sur des chemins improbables en un parcours non encore décidés, l’avantage d’ici est de pouvoir marcher à l’envie, un bout de route, un chemin, un sentier, un vieux lavoir, une falaise, un bout de mer, une colère d’océan, un bosquet, quelques perdreaux, des faisans, des parcages, quelques vaches et moutons, une auto qui passe et salue, un ciel gris qui ne l’est plus, une simple vie qui retrouve un essentiel. Son essentiel.



Voilà combien de temps


« Voilà combien de jours, voilà combien de nuits, voilà combien de temps que tu es repartis » chantait Barbara et il ne sait pas pourquoi, ce matin cet air lui vient aux lèvres de la mémoire. La notion du temps est tout autre lorsqu’on vit hors du temps, hors du monde, accroché comme une bernique sur son rocher, ce ne sont plus les tic-tacs de l’horloge du bureau mais les coups de trompes du roulier faisant ses inlassables traversées entre là-bas et ici. Là-bas, c’est plus gris, plus bruyant, plus vivant diraient certains, là-bas, c’est la grande terre, le continent, sa vie qui grouille, court, rugit, klaxonne, crie, résonne et bourdonne. Ici, c’est la vie qui passe au gré des nuages, des vents, des envies, c’est le vol des goélands à rase roches, c’est le parfum des bouffées d’iode, ce sont les premières fleurs, les premières couleurs, les premiers vols bourdonnants. Rien ne s’oppose, tout se complète, telle est la vie, les jours succèdent aux nuits, les nuits succèdent aux jours, subtil équilibre, il y a les frimas, il y a les coups de chaud, telle est la vie. « Voilà combien de temps ? » s’interroge-t-il en lui-même, pas pressé d’y trouver une réponse tout en parcourant les sentiers côtiers d’un pas pas pressé, subtil éloge de la lenteur qui n’a rien avoir avec la paresse, non, cette lenteur n’est qu’une offrande à la vie, une offrande à soi : s’offrir le temps, celui que les hommes n’ont plus, ceux de là-bas, le temps de voir, le temps d’observer, le temps de se régaler, de comprendre et de chercher à comprendre, pourquoi l’oiseau, pourquoi l’abeille, pourquoi la vie…. Et pourquoi pas ? Et pourquoi pas !

La sonate du temps associe ici les instruments non pas à vent mais du vent aux percussions des vagues sur les rochers. Ici tremblent et sonnent les arbrisseaux, les graciles herbes, les coques de bois et leurs lourdes chaines dans le petit port, parfois lorsqu’Eole est plus en forme, c’est la vieille girouette qui grince ses rhumatismes, le volet de la maison abandonnée ou le portillon qu’on a oublié de fermer. Pourquoi d’ailleurs serait-il fermé ? Ici il n’y a pas de clé, pas de clôture digne de là-bas, ces murs hauts qui enserrent les maisons auxquelles il ne manque qu’un mirador, non, juste quelques pierres bâties en des murs humbles et bas pour dire aux chats de faire un peu d’exercice lorsqu’ils traversent les terrains dont ils se moquent de savoir qu’ils ont des propriétaires. Le portail ne s’est jamais marié, il vit sans chaine, sans collier, sans clé, il clôture par la forme avec l’élégance de ne pas enfermer. Il est juste là parce que nous ne sommes pas des chats et que nous préférons le plancher des vaches pour traverser nos parcelles plutôt que l’escalade des murets. Certains l’ont même démonté, parfois même remplacé par un simple cordage, histoire de mettre un peu de marin dans les terres, un peu de marrant dans les têtes. Les percussions peuvent être douces, presque tendres, puis devenir rapidement colériques, comme si elles cherchaient à trouver le point de résonnance de ces rochers qui ont eu l’outrecuidance de s’aventurer en mer. La mer, c’est cette belle étendue qui nous sépare de là-bas. L’océan lui est de l’autre côté, on n’en voit pas le bout, immense terrain d’eau et de force sur lequel glisse les bateaux et les oiseaux de mer. Etrange tout de même que les oiseaux de mer s’aventurent en océan…. Parfois, lorsque le temps est clair, on aperçoit les côtes voisines de la presqu’ile et de l’autre ile, la grande. Comment chercher à mesurer le temps, à s’en aller dans le passé pour compter les jours et les nuits tel un prisonnier ? Ici, il n’est pas de prison, il n’est pas de détention, il n’est que liberté et mesure d’avoir le temps, celui après lequel toute une foule de gens là-bas courent après sans jamais le rattraper. Vous ne le rattraperez jamais, ne le cherchez plus, il est ici, en cavale et en liberté. Au fond, il le comprend très bien, heureux d’en avoir fait de même.



Il nous écrira


Quelle étrange idée, quitter le sud et ses chaleurs et ses foules pour s’isoler sur même pas un bout de terre mais un simple caillou émergeant des flots et sans cordon ombilical le reliant au monde ? Un choix de vie, un choix d’envie, le choix de la vie. Simple, tranquille, calme et détendue. La vie, tout simplement. Loin des miroirs aux alouettes, loin des modes, des fausses tentations, loin de ce monde devenu trop superficiel, c’est en somme en retour à l’essentiel. Un retour à la vie, une renaissance, un isolement qui n’en est pas, un repli non pas sur soi mais vers soi, comme seules les étapes en solitaire sur les sommets peuvent en offrir. L’abandon d’un modèle de vie pour un autre. Oublier l’avoir pour découvrir l’être et être plus qu’avoir, un mantra plus qu’un credo, pourvu qu’il y reste du papier, un stylo, de quoi noter, revenir de temps à autre à ces jeux d’écritures qui sont autant de moments de plaisirs, de voyages et un peu de partage.

Les valises sont bouclées, les meubles abandonnés, les placards vidés, les clés sous le paillasson qui ne dit plus bonjour mais bon vent. Les volets sont clos, le feu est éteint, les herbes folles dans les vases trahissent le progressif abandon des lieux, il ne manquerait qu’un voile de brume pour adoucir le tableau en estompant les contours d’une ancienne vie, ou plutôt, d’un épisode clos d’une vie qui poursuit. Un taxi qui démarre, une gare, des trains, une autre gare, d’autres trains, un autre gare au bord de l’eau cette fois-ci, des bateaux, un bateau, des vaguelettes puis des vagues, un ciel gris riche de mille gris, plus une terre autour, des roulis, des tangages, un relief, un mur dans la mer, des vagues qui se brisent dessus, un virage, une corne qui rugit, un arrêt et des passagers qui se pressent. Lui ne bouge pas, il serre sa valise, avance lentement, comme voulant profiter de ces derniers pas sur ce bout de continent mobile, comme pour se préparer à poser enfin le pied sur le caillou, sentir la pierre profondément ancrée à la Terre, la belle planète bleue que tant d’hommes assassinent, respirer ces odeurs d’iode et de poissons, se sentir vivant et en même temps enfant. Comme l’enfant quittant le ventre de sa mère, il quitte les flots de la mer pour cette ile, il reste un moment à l’arrêt, à regarder les bateaux bien alignés, à s’assurer que le gros pourvoyeur de vies s’en retourne vers les cieux gris, et là, il pleure, des larmes salés comme la mer, des larmes neuves comme sa vie, des larmes de bonheurs à venir, des larmes d’épisodes désormais enfuis de l’autre côté de l’eau, de l’autre côté d’aujourd’hui, de l’autre côté de celui qu’on oublie. Il est à l’aube d’un nouveau jour, le premier de sa vie, celui d’ici. Il n’est plus parti, il ne s’est pas enfui, il est ici et maintenant, peu importe hier, peu importe avant-hier, la vie se vit au présent, le futur ne s’écrit qu’au présent, avant il se rêve, il s’espère, il en devient troublant et finit par bouffer l’essence même de la vie, le seul et unique moment : le présent. Le soir tombe dans le bruit de vagues, quelques oiseaux de mers deviennent des oiseaux d’iles en rasant les reliefs avant de disparaître dans l’abri d’une crique, de quelques buissons, d’une plage invisible. Machinalement, il remonte son col, empoigne sa valise et traverse le port et ses bâtiments colorés, il marche lentement, les yeux encore humides mais heureux, il gravit la route principale qui conduit au bourg, rangées de maisons à peine désordonnées qui essayent de se blottir autour de l’église, quelques commerces s’affichent en vitrines, puis quelques maisons autour de ces routes tendues comme des fils sur une toile d’araignée, puis des jardins, des friches, des landes, d’autres maisons et tout au bout de chacun des fils, une falaise où les flots grognent parfois. Le vent souffle sans forcer, quelques gouttelettes viennent caresser le visage comme des bouts de bienvenue, quelques pas dans une obscurité de plus en plus présente et enfin le portillon de bois sans clé, le bout de jardin à traverser et la vieille porte où grince la clé. Il y est. 

Patience, peut-être qu’une fois le bagage ouvert, le cœur reposé, la page tournée, il nous écrira…