Le silence a du bon

Le silence a du bon, il repose… En fait, il repose les questions. Les bonnes ? Y-a-t-il vraiment de mauvaises questions ? Je ne le pense pas, il n’y a que des questions mal formulées, ou bien posées trop tôt, avant l’heure c’est plus l’heure, après l’heure c’est plus l’heure, à défaut d’être à l’heure au moins évitons les heurts sans oublier que la bonne heure fait le bonheur des uns et le malheur des autres, là aussi c’est bien connu ! Au fond, le silence repose sur des évidences cela semble évident.


Plus de bruit que le bruit de sa vie, plus de heurt, que ses propres heurts, plus d’espace, beaucoup plus d’espace, une autre vision du temps, une autre appropriation des choses, il n’y a pas d’échappatoire, pas de distraction, juste soi face au silence, face à soi. Une mise à plat pour une mise au point, ça met à plat, mais au moins on met un point sur les coups de poings reçus, sur les coups de poings donnés, et ces points-là ne sont pas des points de suspensions mettant en suspens l’ombre d’une vie mais des points finaux mis au bout des lignes mal effacés des épisodes erratiques d’une vie riche en erreur. On apprend toujours de ses erreurs, encore faut-il le vouloir, encore faut-il vouloir apprendre, comprendre, relire une dernière fois et clore ce qui n’est plus d’actualité. Et non, les douleurs du présent ne sont pas les douleurs d’hier, ce sont des douleurs de mauvaise cicatrisation actuelle des blessures d’hier, là est la nuance. Plutôt rouge sang la couleur de la nuance si vous voyez ce que je veux dire. Chercher à soigner et à guérir ses plaies dans la lumière de la lame qui les a infligées, reviendrait à soigner le serpent plutôt que sa morsure. On meurt de la morsure et non pas du serpent, tuer le serpent ne sert à rien, même pas à calmer sa colère de s’être fait mordre. Entre refuser de coupables vengeances et tendre l’autre joue, il y a un axe, droit, droit devant soi, oui, c’est ça, marcher droit devant soi, ne pas se retourner, ne pas chercher à reprendre ses sentiers d’autrefois une autre fois, lever la tête, poser son regard sur l’horizon et marcher, droit devant. Le chemin est le but et les buts d’hier ne sont plus les buts de demain.

  
Il faut le vouloir, rien n’est facile, l’être humain n’est pas un solitaire, il porte dans ses gênes la meute de ses congénères, qu’il le veuille ou non. Il est part de la meute et la meute est la part qui le complète, qu’il le veuille ou non. S’isoler, faire silence, c’est s’accorder du temps à soi, pour soi mais aussi pour la meute, on ne peut donner le meilleur de soi qu’en étant soi complétement. Encore une fois tout peut paraitre facile à lire, à dire, à écrire, mais il faut un apprentissage pour y parvenir. Long ou court, tout dépendra des envies, de la vitesse d’acquisition, des leçons et des lumières qu’elles vous auront apportées. Ah les lumières…. Il y en aurait à écrire sur ces fameuses lumières, ces ampoules comme dans les dessins animés qui s’en viennent naitre au-dessus de votre tête et s’illuminer en vous arrachant un « Eureka ! » du fond de vos tripes….Mais parfois les ampoules restent éteintes, parfois elles sont minuscules et bien pâles mais la moindre de ces lucioles doit être pour vous la lumière du phare vous guidant au-delà de votre nuit. Ne jamais chercher le plus, le plus grand, le mieux, le plus fort, le phare plus puissant, la vague plus grosse à surfer, non, il se peut qu’elle ne vienne pas, il se peut que ce phare ne soit qu’un hélicoptère ou un avion vous entrainant dans une mauvaise direction. Prenez l’instant, ayez confiance dans cette toute petite lumière qui en demande qu’à grandir en vous. Mettez-vous en marche et en mouvement, c’est ici et maintenant le départ, n’attendez pas, n’attendez plus. Croyez. Soyez. Marchez.


Il n’est pas plus facile d’affronter son silence que d’en sortir, car une fois accepté et une fois installé dans son confort, une fois que petit à petit vous découvrez l’immensité de votre propre monde, les pensées, les questions foisonneront et l’envie d’en savoir plus, d’en vouloir plus deviendra une maitresse exigeante qui entretiendra une passion dévorante si vous n’oubliez pas que vous seul êtes votre propre guide. Vos pas sont vos pas, vous ne suivez personne, vous bâtissez votre monde, mais ce monde n’est pas une tour d’ivoire ni un bunker de béton échoué sur une plage océane. Vous êtes un parmi les autres, un de la meute, dans la meute, pour la meute et par la meute vous vivez. Prenez conscience de cela, il n’y a pas plus grand danger que l’individualisme que de se croire seul et de se croire permis de tout faire. La liberté s’arrête toujours là où commence celle des autres. Il n’y a pas de barbelés sur ces chemins là pour vous le rappeler, il n’y a pas de meilleur rappel que ceux de sa conscience. Soyons-en conscients.



Le silence a du bon, à condition de s’en servir et d’en sortir. Nul ne doit rester silencieux, juste savoir prendre le temps de l’être de temps en temps….


Quel âge aurait-elle?

« Elle aurait eu quel âge aujourd’hui ? » demanda le petit garçon. Pendant quelques instant il refit le décompte dans sa tête puis d’un coup se mit à sourire « c’est terriblement humain au fond de tout vouloir dater tout le temps, d’afficher des nombres sur les évènements, sur les gens » pensa-t-il. Mais comment répondre à un petit garçon que l’âge au fond, ça ne veut rien dire, lui qui avait coutume de dire « l’âge c’est quoi au fond ? Deux chiffres qui s’entendent si bien qu’au bout d’un an, ils se séparent ». Pas facile lorsqu’on est enfant et que l’âge d’être considéré comme grand obnubile et oppresse les belles années d’apprentissage de la vie. Mais on ne peut laisser une question en suspens…


« Vois-tu mon grand, l’âge c’est une chose qui grandit aussi vite que les petits garçons et les petites filles puis après, l’âge change sans grandir, ou plutôt il grandit sans trop changer… Bien sûr il y a les anniversaires, les bougies aux gros chiffres que l’on place sur les gâteaux, autrefois c’était bien plus compliqué, il fallait une bougie par année et donc, chaque année un gâteau de plus en plus gros… Le plus important pour les adultes, c’est quelque chose qui se nomme santé, un truc invisible qui vient vous bloquer le dos ou bien vous clouer au lit en un souffle, mais par contre, si l’on garde son souffle et que l’on pète la santé, là, les années défilent sans que trop rien ne change, alors on oublie les chiffres, on se perd dans les âges et puis, on compte sur les doigts du temps…. Vois-tu mon grand, ta mamy aurait eu quelques ans de plus, mais le plus important, pour toi, pour nous, pour moi, c’est qu’elle ait pu garder son sourire sans que les grimaces de douleurs le lui volent, qu’elle ait pu garder son accent et ses rires pour venir te taquiner, sans oublier de te gâter de mille et une recettes… Oui, c’est cela qui est important chez les grands, bien plus que l’âge, la forme, la santé, rester de grands enfants tout le temps, tu comprends ? »


Quelques larmes perlaient aux bords des yeux trop embués par tant de souvenir, il n’est jamais facile de maitriser les émotions surtout lorsqu’on les sait écrites sur les pages d’un livre fermé à jamais. Ça sert à ça les livres : on les ouvre au hasard, on en lit quelques lignes, une page, un chapitre et aussitôt les émotions fourmillent et vous prennent sans que vous vous y attendiez. Il renifla bruyamment puis durci son visage poupin dans ces attitudes si caractéristiques des personnages qui veulent jouer au dur, puis répondit : « Je comprends que tu ne veux pas répondre, peut-être que tu as peur de te tromper, mais c’est vrai que c’est pas important, elle me manque beaucoup et j’aimerai tant qu’elle soit là… » Comment ne pas être partagé par les émotions, le sourire de la logique implacable de l’enfant, c’est vrai qu’il avait peur de se tromper, on a toujours du mal à retrouver les choses simples telles que l’âge des siens, mais au-delà des sourires, il y avait ce pincement au cœur, ce rappel de l’absence et ce partage du manque. On a tous nos raison, on a tous nos convictions, comment expliquer à ce petit homme que la fin n’est pas la fin, que la vie n’est pas la vie ? Difficile d’imaginer l’invisible, pourtant…. Il revivait ces premiers moments, ces jours d’après, ce vide pesant, cet absence de chaque instant, ce désarroi tout en réalisant que ce désarroi c’était d’abord le sien, son refus d’être désormais face au non visible, ce manque de présence, celui qu’il avait eu tant et tant de fois où il suffisait de donner de son temps, de prendre le temps, de réaliser et de bien vouloir comprendre que rien n’est éternel. On pleure toujours sur soi, sur sa peur devant cet inconnu qui soudain se dresse devant soi. Comment vais-je vivre cela ? Que serais-je sans toi ? Quelques jours difficiles, quelques semaines, peut-être des mois, il ne souvenait plus très bien, ces instants sont si impalpables parfois, le fonctionnement mécanique inhibe toute perception complète des instants jusqu’à ce matin où la caresse sur sa main c’était faite plus précise, plus sensible et ce matin-là lui avait insufflé une grande énergie. Un simple contact inter plan, un geste pour le rassurer, lui dire « je vais bien, va en paix, sois heureux et apaisé » c’est cela qu’il aimerait pouvoir faire comprendre à l’enfant, mais les enfants veulent toujours voir pour croire, plus encore de nos jours dans cette civilisation du toujours pressé…


Il prit l’enfant contre lui, tendrement, bien décidé à ne pas prononcer ces mots trop usés du « tu comprendras plus tard » et tout en marchant à travers les allées gravillonnées, il le questionna doucement, sur son ressenti, la façon dont sa mammy lui manquait, comment lui imaginait toutes ces choses-là, et pas à pas, c’est un dialogue d’adultes sans tabous qui s’instituait, un dialogue auquel ils étaient tous les deux habitués depuis tant et tant d’années, des rapports de confiance, une juste vérité, une relation vraie qui s’est construite, mot à mot, pas à pas, année après année. C’est par ces sujets graves qu’il réalisa combien ces discussions précédentes portaient pleinement leurs fruits aujourd’hui. On récolte toujours ce que l’on sème…. 


Que lui a-t-il dit ? Ils sont désormais très loin et je ne peux entendre, leurs mots sont intimes et leurs pas s’éloignent alors partons à pas de loups…

      

Indifférence, indifférent

De tant d’indifférence
Il meurt dans le silence
Il disparait sans bruit
Et pour lui, luit la nuit

Le cœur saigne
Se vide, s’épanche
Pourtant tout baigne
Dans ce monde étanche.

Il est parti seul, derrière les palissades
Dressées au milieu des vies maussades
L’oubli, oui, tout n’est plus que passade
Il est parti, il n’est plus là, belle lapalissade

Un silence au milieu des cris,
Un blanc parmi les écrits
Le monde de la nuit ennuie
Mais est-il un ennemi ?

Etouffé par les cris
Le silence se meurt
Etouffée par les bruits
Il attend son heure

Tandis que le monde court
Il marche d’un pas lent
Et dans un monde trop sourd
Il avance, indifférent.

Monde trop laid, monde trop parfait,
Le monde est beau, vaste et gai
Il n’est que celui que l’on construit
Il n’est que celui que l’on bâti

Il marche, il avance, il part à la rencontre
Il laisse de côté ceux qui se la racontent
Il oublie les yeux qui se sont fermés
Lorsqu’il espérait y voir un reflet

Il avance, il marche, il oublie
Les blessures, les coups, la vie
Chaque fin est un début en fait
Eternel débutant, il fut, il est

Chaque rose d’un bouton nait,
Grandit, s’épanouit et disparait
Un nouveau bouton grandit
Et on ôte cette tige flétrie

La vie est comme les roses,
Elle nait, elle grandit, elle s’épanouit,
Et si elle nous parait parfois morose
Il y a toujours un nouveau jour qui luit

Il ne faut pas confondre,
L’ombre d’un regard
Et le regard de l’ombre…
Apprenons juste à voir


Rose et Valentin

La royauté a cédé sa place à la République tout en lui cédant ses maitresses. Ah ! La France et les maitresses, il y aurait tant à écrire, il y aurait voix au chapitre pour tant d’illustres personnages et tant d’illustres inconnus qu’on pourrait bien croire qu’il s’agisse là d’un particularisme génétique de notre génome remontant en des temps bien avant le drapeau tricolore. Cela prête à sourire dès lors qu’on n’est pas bien sûr protagoniste de l’histoire, encore que de nos jours la culture du mélange et de l’échange semble devenir monnaie courante mais heureusement pas encore exercice imposé… Dès lors, on ne peut que sourire un peu plus devant en ce jour fatidique, toutes ces queues faisant la queue pour cueillir d’autres tiges à offrir à l’épouse première ou du moins, la première concubine comme il se dit ailleurs en d’autres contrées. Fleuriste, ah quel beau métier ! Gageons qu’aujourd’hui les roses seront belles et leurs épines délicatement épointées, il suffit de vivre au voisinage de ces boutiques à pardon pour se passer de calendrier et se voir ainsi rappeler quelle date nous sommes…

Alors oui, fêtons la saint Valentin, de préférence aux Valentin et n’oublions pas que le lendemain il faudra souhaiter la saint Claude… Nom d’une pipe ! C’est vrai qu’il est farceur ce calendrier de février ! Faut-il y voir de grivoises coïncidences ? Non, bien sûr, restons prudes, et surtout ayons la prudence de ne point attendre quand et comment fêter chaque jour de l’année, et mieux, faisons fi des dates imposées, le commerce ne s’en portera que mieux, et vous pourrez mesurer mesdames et messieurs combien il est mille fois plus agréable de recevoir un cadeau, un bouquet, une fleur impromptue plutôt que d’attendre une date imposée pour cela. Enfin, ce n’est par là que ma pensée… Sans compter qu’en bon usage des traditions, des us, des coutumes et d’autres passions, il est difficile de ne pas se mélanger les bouquets si tout doit être fait le même jour… Un peu de sourire tout de même, après tout, trois roues sur un scooter ne sont pas de trop pour trouver l’équilibre, n’est-ce pas là une belle image ? La royauté ayant perdu la tête, il est facile de dire que tout ceci n’a ni queue ni tête,  ou bien trop… Mais en creusant un peu plus, non pas pour planter des fleurs, encore une fois ce sont de vieilles traditions païennes, d’anciennes fêtes du printemps à venir et de la fécondité qui se trouvent mis au goût du jour de la chrétienté par imposition d’un saint patron. Et oui, cachez ce sein que je ne saurai voir, ou plutôt « couvrez ce sein que je ne saurai voir… » Comme l’écrivit Molière, un saint sur un sein, il n’y a rien de plus homonyme en ces temps féconds de mariage pour tous. Humour toujours, il n’y a pas plus beau soleil qu’un sourire sur les lèvres, et s’il est latin et terriblement français d’accorder de grivoises pensées sur certains évènements de nos vies et de notre calendrier, cela n’est que badineries et joyeuses humeurs, après tout, une mouche est plus belle lorsqu’elle se posait au-dessus d’une lèvre du dix-huitième siècle que lorsque trop de gens du vint-et-unième la prennent si facilement.

Ne boudez pas votre plaisir, allez cueillir vos roses à peine écloses sur les jardins indiens, merci à tous nos avions, camions et autres nobles inventions qui permettent ainsi d’à temps les acheminer. C’est bizarre combien l’humour se perd au fil des temps, de nos jours, les mots sont vite agression, fussent-ils bons.

« Les mots ne sont pas violents,
Les mots ne sont pas violons,
Les mots sont les cordes d’un violon
Que votre archet s’en vient pincer »


Belles roses et bonne Saint Valentin…




Pile ou face?

Tic, tac, seul le tic-tac résonne
Flip, flap, la pluie tombe et sonne
Cric, crac, le parquet frissonne
Vide, silencieux, ainsi l’homme

Les sons du silence sont les plus doux
Ils s’en viennent vibrer jusqu’à vous
Ils occupent l’espace déserté
Jusqu’à venir vous irriter

C’est beau le silence,
Pas un bruit ne danse,
Pourquoi donc le troubler
De ces onomatopées ?

La pluie tombe plus fort,
Le vent souffle plus fort
Course imbécile des bruits
Qui du silence s’ennuient

Tic, tact, tic… plus rien
Sans pile, le réveil s’éteint
Assez ! Le silence d’airain,
L’homme fatigué étreint

Cette pluie frappe et frappe encore,
Ce vent en tempête souffle plus fort,
Ça suffit, il n’en peut plus de ce dehors
Qui dedans s’en vient sonner plus fort

Tombe la pluie, souffle le vent
Epuisé il rage, il s’étend
Pris aux pièges du temps,
Fatigué, le sommeil il attend

Le sommeil ne vient pas
Le sommeil ne viendra pas,
Pas plus que quiconque
Pas plus qu’un quelconque

Plus tard, l’astre du jour se glisse
A travers des volets les interstices,
En rayons de poussières il plisse,
Le matin hagard qui s’immisce

Les paupières sont lourdes,
Le corps engourdis et lourd,
Un réveil sans pile, une bourde
Un matin à la bourre, balourd.

Sans pile, point de réveil,
Comment sortir du sommeil
Se lever du bon pied agile
Sans perdre la face, pas facile.

Pourrait-on alors dire, sans pile point de face ?
Ou bien encore, que les deux sont liés ?
Tout ceci me parait bien échevelé
Comment choisir ? Pile ou face ?








Ce matin-là

Il arrive un moment dans la vie où l’ombre des vies passées s’envolent enfin, ces diables d’ombres qui vous ont tant marquées que vous vous réveillez un beau matin en découvrant un visage ridé, des yeux si cernés qu’ils ne demandent qu’à se rendre et à rendre les larmes. Non, il n’y a pas de désillusion là-dedans, pas plus qu’il ne reste d’illusion, ce matin-là lorsqu’il arrive, il s’appelle réalité et il n’est que le premier jour du reste de votre vie.

Ce matin ne prévient pas, il ne sonne pas, il vous sonne. Il vous donne la conscience, la lumière qu’il vous manquait, cette lumière qui se focalise sur les pages blanches à écrire et noie un peu plus dans l’ombre les ombres rebelles des passés disjoints. On ne rejoue pas son passé. Le présent du passé s’appelle l’imparfait et cet imparfait est mort de ses imperfections, point. Au début, ça pique et ça fait mal, tellement on s’habitue à vivre parmi ses fantômes, à les entretenir, à continuer d’en caresser les contours dans le sens du poil, oubliant les poils urticants, enjolivant les douceurs et les tendresses, mais non, les fantômes ne sont pas des doudous compensateurs, ils ne sont que fantômes et réclament la paix, la leur, foutez-leur la paix. La vôtre ?  Comment voulez-vous la trouver ! A chaque fois qu’elle pourrait avoir une place au soleil, voilà que vous tordez votre lampe pour la plonger dans l’ombre, préférant sans nul doute, la sécurité des paysages connus. Alors votre paix s’étiole, pâlit et disparait, les fantômes malins prennent des forces et vous plongent dans une béatitude tellement plus facile, comment y résister ? Mais voilà, hier est un temps du passé… Et vous êtes vivant, du verbe « être » conjugué au temps présent. « Mais c’est quoi ce putain de présent ? Qu’est-ce qu’il vient m’emmerder, je suis bien moi ici, je vais très bien ainsi ! » Le présent c’est un inconnu et l’inconnu c’est bien connu, ça fait peur.

Ce matin, il s’est levé, le corps endolori et engourdi, trop de sommeil, pas assez de sommeil, en tout cas ce n’est pas trop de soleil, cet hiver pleure sa fin en de pluvieuses journées. Ce matin, il s’est levé sans jus, sans énergie, quittant la couette chaude pour le frais de la chambre, quittant un lit trop vide pour d’autres espaces de vie tout autant vide. Et le rituel des matins qui se succèdent prend sa lente monotonie. Un café noir, la porte à ouvrir pour sortir le chien qui rentre aussitôt par la première porte-fenêtre ouverte pour ouvrir les volets et changer l’air de la pièce, l’air vif et froid qui fait tressaillir les muscles puis la tasse rangée dans le lave-vaisselle et enfin, la salle de bain. Bizarrement ce matin, le miroir ne renvoie pas l’image habituelle, non, celle-ci est plus nette et révèle des contours bien singuliers, des marques étranges, des sillons creusés dans la peau fatiguée, des yeux lourds et une bouche dont les lèvres semblent définitivement fermées. De rapides coups d’œil au plafond, non, toutes les lampes fonctionnent, il n’y a pas de mauvais éclairage, c’est ici que prend place la réalité. Ce matin-là il se réveille, comme s’il se réveiller enfin, comme au sortir d’un long coma, ce matin-là, il découvre non plus un masque mais un visage, son visage. Le regard s’éclaircit, il déchire les brumes trop étouffantes des passés dépassés, il y voit enfin clair, il y voit à présent et oui, il voit au présent. Sensation étrange, d’abord la peur, le recul puis peu à peu, pas à pas, la sortie de la nuit. Exit les fantômes, les fausses situations, les quêtes désormais imbéciles, les entre-lignes, les vies entrecoupées, non, il ne peut y avoir de pages à moitié pleines, à moitié vides, des histoires sans parole, des paroles sans histoire, des parenthèses succédant aux parenthèses. Les gestes mécaniques des matins qui se suivent ne trouvent plus la même grâce, tout semble différent. La température de l’eau sur la peau, la texture de la mousse, la glisse du rasoir, jusqu’au résultat, bien plus précis, bien mieux…. Bien être. Plus tard, l’eau de la douche finira de chasser les esprits chagrins, elle tonifiera le corps pour l’éveiller tout à fait, la musique sortira de sa prison de silence, et même cette pièce connue prendra une autre dimension. Et pour la première fois depuis bien longtemps, il hésitera devant son armoire ouverte : « quelle sera sa tenue ? » Bien loin les gestes mécaniques et froids, les habitudes, la première chemise tombant sous la main…


Ce matin-là n’a rien d’exceptionnel, ni sur le calendrier, ni sur les évènements de sa vie, pourtant ce matin-là sonne l’aube d’une vie, la sienne. Ce matin-là n’est ni plus ni moins que le premier des matins du reste de sa vie, et même si lui ne la pas encore tout à fait compris, les fantômes, ses fantômes eux, se sont enfuis.       

          

Soliloque du sot

Soliloque du sot-l’y-laisse,
Oui mais qu’est-ce ?
L’un est un morceau de choix,
L’autre aussi… Mais alors ?

On peut soliloquer sans cesse,
Ou bien cesser de soliloquer,
C’est ainsi,

Quant au sot-l’y-laisse,
On ne peut que le convoiter
Ou pas…. C’est aussi ainsi.

Mais alors ?
Serait-ce là un dialogue de sourd ?
Que nenni ! Pour dialoguer encore
Faut-il se mettre à plusieurs pour,

Et par là, le soliloque y perdrait
De son identité, quant au sot-l’y-laisse,
Il en subirait les assauts des non sots,
Et à défaut de se faire voler dans les plumes,
Il risquerait fort de se faire tailler le croupion.

Ah ! Mais alors ?
Pourrait-on simplement dire,
Que soliloque et sot-l’y-laisse
Ne sont pas de compagnie
Mais plutôt d’étranges objets
Voués à des plaisirs solitaires
Et, tout simplement, salivaires…



Notes et mots

J’aimerai pouvoir écrire,
Des mots si simples,
Des mots si beaux, des mots si hauts,
Qu’aucune musique,
Qu’aucune note ne puisse s’y poser dessus,
Un texte si entier, un cadeau si joli
Qu’un ruban y serait superflu
Juste des mots…

J’aimerai écrire une musique,
Si belle, si mélodieuse,
Qu’aucun mot n’y fasse son nid,
Qu’aucun son n’y trouve écho,
Il n’y aurait pas de bémol
Mais quelques triolets,
Des notes dansant sur les lignes
Des notes éclairant la portée,
Juste une musique…

Mais parfois les deux s’unissent,
Les mots et les sons vont de pair
Et si les deux font la paire,
Il n’y a pas d’impair

Mais parfois les deux s’assemblent,
Le son des mots jouent en note
Ce que les notes n’ont pas écrit
C’est là une belle harmonie

Mais parfois, oui parfois,
Il n’y a pas d’échange,
On note des mots
Mais ils n’ont pas d’écho,
C’est étrange.

Mais parfois, oui parfois,
Il n’y a que des blancs,
Ni note, ni mot, ni semblant
Et la page reste vide,
Livide.

D’autres fois au contraire,
Les idées se bousculent
Les mots se notent,
Les sons se murmurent
Les mots prennent l’air.

Il faut parfois du temps
Parfois, non.
Parfois à contretemps,
Jamais tout à fait à temps
Un instant…

Alors les mots viennent
Alors les mots dessinent
Des lignes bien étranges
Où les notes se poseront
Peut-être…. Ou non !





Un autoportrait

Un autoportrait lorsqu’on aime écrire, ça s’appelle une autobiographie. Un autoportrait, lorsqu’on aime sourire, ça s’appelle un portrait de voiture… Et là, je me suis fait doubler par la Fabrication Italienne d’Automobile de Turin plus connue sous l’acronyme de « FIAT » qui dans sa dernière campagne publicitaire dresse l’auto portrait de sa nouvelle FIAT 500. L’herbe coupée sous le pied sent bon l’humour et la jovialité, revenons donc à nos moutons et tandis qu’ils paissent dans les prés comme pourrait le dicter un Topaze né de la prose de Marcel Pagnol, reprenons le sujet à sa base.

L’autoportrait s’appelle donc autobiographie à l’écrit, mais pourquoi donc ce changement de nom ? Peut-être bien parce qu’il en est différent, et si les arts graphiques figent dans l’immortalité l’instant, l’écriture peut glisser au travers des lignes bien des phases malignes d’une vie qui sans cesse se remplit. De mot en mot, ce sont des rebonds d’idées, d’images, de sons qui se mettent en prose, s’imbriquent, et loin d’emmurer une vie dans sa tour d’ivoire, ces murs sont ceux d’un trinquet ou mieux, celui d’un vaste fronton offert au monde, ouvert aux mondes, un fronton qui renvoie les balles, laissant rebondir une idée d’une autre idée, ajoutant l’anecdote comme une antidote à la morosité, comme le sel d’une vie, comme le piment indispensable à la vie. L’écrit va plus loin parce qu’il a plus de temps, parce qu’il explore plus librement les couloirs du temps, parce qu’il n’est pas figé dans un trait, non, son trait est continu dans l’espace-temps, il ne soustrait rien, du moins tant que la main dicte ce que la pensée dicte, mot à mot  les images s’empilent et dessinent cette grande bande dessinée. L’autobiographie en fait, c’est une succession d’autoportraits, d’une personne prise en plusieurs instants de sa vie, de plusieurs personnes prises aux plusieurs rencontres de leurs vies, l’écrit d’un trait se fait de ces traits de caractères et de leurs intersections à jamais.

L’autoportrait, au fond, c’est un drôle d’exercice, quand bien même il s’appelle autobiographie, un défi, certes, à relever, oui, comme toujours…

Prenons une feuille d’environ un mètre sur deux, non, soyons plus modeste, un simple A4 suffira, et même moins, je n’aime pas écrire trop gros. Au centre de la feuille il y a ce vide, si blanc, si livide qu’il vous met mal à l’aise un court instant, qu’il en fait fuir le crayon au point qu’il se réfugie dans l’angle tout en haut sur la gauche, normal pour un gaucher, disons que c’est plutôt là une contrainte de droitier. Par quoi commencer ? Le début est ici souvent cité, et si t’es pas d’accord, il suffira que tu glisses de quelques lignes pour lui tourner le dos, mais serait-ce alors une pirouette ? De toute façon, on ne voit bien que face à face, les yeux bien en face des trous selon l’adage populaire, nous portons tous un masque que l’on le veuille ou non. Les yeux ? Ils sont sombres cela ne veut pas dire que le regard est sombre, non, le regard est plutôt rieur, un brin malicieux, et sans trahir les vécus des passés, je dirai apaisé. Le regard ne fait pas le portrait, mais le portrait est fait du regard qu’on y porte, il attire l’œil, parfois même d’un regard magnétique. Allons plus loin. Plus loin, il y a le nez, un nez comme un nez, un nez dont on nait avec et qui grandit avec nous, se plisse et se ride aux grés de nos émotions, un inséparable compagnon de routes, il pointe toujours le bout de son nez. Rouge ? Non, ça c’est le béret, souvent de sortie lors des sorties de randonnées, à pied ou en raquettes, parfois en ski… Une bouche, des oreilles, pas de quoi s’attarder, la bouche apprend à se taire, les oreilles à mieux écouter, transfert de compétence, la vie est ainsi faite parfois. Un visage ni trop long, ni trop court, ni rond, ni carré, l’ovale oui, nous sommes en terre d’ovalie. Des cheveux, oui, noir et profond comme ils me furent attribués, j’ai dû surement prendre du grade car de-ci, de-là, quelques poils raides et blancs s’en viennent tenter d’envahir ma toison. Le noir l’emporte toujours et résiste tout en ayant pris mesure de ce combat inutile. Au fond, il n’y a pas là de quoi s’arracher les cheveux, pas plus que de les couper en quatre. Voilà le portrait est esquissé, dans ces grandes lignes, d’ailleurs c’est assez marrant de prendre systématiquement le visage comme base de portrait…. J’aurai du mettre ma feuille en paysage, le sens naturel, après tout, nous avons les yeux sur la même horizontale et non point en vertical. Et puis, je préfère les paysages, larges, ouverts, sentant bon les effluves des embruns au séant de l’océan, sentant bon la pinède dans la forêt landaise ou bien dans les bosquets de la Clape, ces grands paysages, ces riches endroits, où l’œil ne se pose jamais, il butine simplement les nectars des mille trésors parsemés, au point que vous n’êtes plus qu’un point, une tâche de peinture délicatement déposée, une impression d’impressionniste, c’est assez impressionnant.

L’autobiographie pourrait aller plus loin, laissons ici en guise de point des points de suspension, disons simplement que ce premier acte est un autoportrait, manière de rester dans le thème et…sans pied de nez !           


Ce texte est écrit dans le cadre du défi AQUArium numéro 27 de février 2014 ayant pour thème « Autoportrait ». AQUArium est un groupe collaboratif ouvert à ceux qui aiment et pratiquent l’aquarelle : des infos à partager et chaque mois un défi à thème sur une page spéciale évènement…