Il y a dans les pierres de ce soi-disant château, bien
des larmes, bien des cris, bien des peurs, bien des douleurs, bien des haines,
bien des atrocités que des hommes ont commis contre d’autres hommes, ces autres
hommes qu’on appela « bonshommes » quelques temps d’après. D’âpres
luttes, d’occultes raisons, de pathétiques cupidités, la peur de perdre le
contrôle, de disparaitre ou plus simplement de partager un territoire
religieusement gardé, il est mille et une causes qui pourraient dresser une
hypothétique logique à ces exactions. Le sens de l’Histoire est-il le bon sens ?
Selon de quel côté de l’épée, du glaive, ou encore de la torche servant à
allumer le brasier d’un bûcher, il n’est pas sûr que le sens « bon »
soit partagé.
C’est en gravissant les derniers mètres qui le séparaient
de l’antique porte que ses pensées s’en venaient écouter et lire les murs gris
et épais de l’austère muraille. Montségur. Un lieu riche de mémoire et de
signification, un lieu riche d’Histoire et d’histoires, un lieu dans lequel il
ne comptait plus ses pas. Les pas d’une vie, d’autres vies, une attirance quasi
magnétique, un approche géographique mais non, cette muraille ne lui parlait
pas, même si certaines pierres ne lui étaient pas étrangères. Il est vrai que
le visiteur du vingt et unième siècle ne voit que ce qui est présent au vingt
et unième siècle, comment pourrait-il lire la vraie topographie des lieux d’un
treizième siècle ? Il y a un tel acharnement, un tel matraquage à parler
de châteaux cathares qu’on ne peut imaginer les cathares vivant autre part qu’en
ces constructions militaires. De même qu’on ne peut visiter Montmaurin qu’en ne
voyant les ruines de la villa gallo-romaine sans voir ici et là dans le
village, une pierre, un linteau, une colonne juste empruntée à la ruine encore
non célèbre. On construit sur les gravas des autres, chacun porte sa pierre à l’édifice,
et si Montségur porte fièrement son château, ce n’est peut-être au fond que
parce qu’avant un village y était perché. Un lieu de vie loin de la foule, un
peu comme dans les années soixante lorsque des communautés se sont installées
au fin fond des campagnes désertées, juste pour vivre à l’écart, vivre sa
propre vie, ne pas déranger plutôt que ne pas être dérangés. Là, l’hégémonie ecclésiastique
peinant à se défaire des templières histoires redoute qu’une nouvelle forme de
mal apparaisse et disperse sa poudre à canons aux quatre vents, oubliant de
mesurer, de juger au son d’un « Tuez-les tous Dieu reconnaitra les siens »,
une chimiothérapie d’avant l’heure qui détruit le sain pour mieux éradiquer le
mal… Combien de fois était-il venu ici ?
Combien de fois avait-il pris l’étroit escalier menant au chemin de ronde
aujourd’hui fermé au public pour mieux sentir le vertige de l’à pic, la
muraille semblait être le prolongement de la falaise qui la portait ?
Chaque fois était nouvelle, découverte, lecture et retour en arrière, chaque
fois il essayait de faire disparaitre le monde actuel autour de lui pour
plonger dans l’âme des lieux ; Cette fois-ci, les pierres semblaient
vibrer et geindre, les pas des chevaux semblaient résonner tandis que les
images défilaient dans son esprit. Oui, il connaissait le lieu mais pas cette
configuration, non il n’était pas là lors du grand bûcher mais il avait connu
le village, il avait commercé avec les gens d’ici, des êtres plutôt
accueillants, attachés à des valeurs simples et premières, ils cultivaient, ils
fabriquaient, ils vivaient dans une forme d’autarcie. Les rumeurs courraient
contre ces peuples qui ne se mélangeaient pas aux autochtones, préférant
envoyer des émissaires pour dialoguer, pour expliquer et parfois convertir à
leur philosophie de vie, quand bien même elle fut traitée de fois par la foi
chrétienne. Il peinait à rassembler plus de choses, il ne se voyait pas dans
son image d’alors, c’était son visage actuel qui déambulait sur ce pog dans ses
vêtements actuels, il est toujours difficile de se voir autrement que tel qu’on
est dans son présent.
Le vent fraichissait dans le soir naissant, les bruits
de visiteurs commentant à grands cris les traces de marches vers le donjon le réveillèrent
brusquement, sans avoir pu compléter son parcours entre les terrasses des
jardins cultivés puis le petit bosquet par lequel on passait pour rejoindre le
chemin des autres lieux. Ainsi va la vie, la foule et le monde des êtres seuls
au monde, ils en oublient que d’autres préfèrent le silence, peut-être aussi qu’ils
ne savent pas que c’est dans le silence que l’on entend le mieux ce que les
pierres racontent. Un jour viendra…
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