Ce matin, la sortie du sommeil semblait différente sans
comprendre pourquoi. Certes, le retour à l’éveil est toujours une phase
délicate, un combat entre le bien-être de l’assoupissement, les belles images
du pays des songes, mais ce matin, quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas
la fraicheur ambiante, de toute façon, la chambre n’était jamais chauffée, ce
n’était pas la lumière, le jour semblait s’installer, non, c’était plutôt dans
les sons, étouffés, cotonneux, différents. D’un bond ou presque, il fut hors du
lit, quittant l’épais édredon de duvet pour l’air ambiant froid, il enfila sa
veste polaire et ouvrit les volets dans un grand éclair blanc : Tout
n’était que blanc, pas une once de vert, de brun, de gris, les paysages
familiers avaient été gommés dans la nuit. C’était donc cela les raisons des
bruits étouffés. C’est fou l’effet que peut faire la neige sur l’homme. Un
regain d’énergie, une poussée d’adrénaline, le voilà partit à se dépêcher de
déjeuner pour s’en aller voir cela de plus près. Quelques buches dans la
cheminée, des vêtements chauds, les bonnes chaussures et une paire de raquette,
sans oublier bien sûr l’appareil photo, c’est parti pour une balade à revisiter
son coin de montagne en version blanche.
La maison prenait un air sale et fatiguée, difficile de
briller parmi le manteau blanc lorsqu’on est constitué de pierres grises et
tristes, la gaîté des tuiles rouges galbées à la main ayant disparu sous une
épaisse couche. La fumée montait bien droit dans cet air froid, volutes tantôt
bleues, tantôt blanches, danses hésitantes dans le ciel bleu. Les creux et les
bosses des terrains disparaissaient sous la neige, c’est aux pas qu’il mesurait
la réalité du sol. Un arrêt, un rapide coup d’œil, il en devait plus être très
loin du ruisseau et des anciennes canalisations dont les pierres s’étaient
effondrées, c’était déjà un piège en temps normal, alors là, le risque est
maximal. Depuis qu’il vivait ici, il avait repris une parti de ces antiques
constructions où l’eau du ruisseau
coulait encore, traversant les champs sans être souillée par les bêtes, un
travail de longue haleine, rendu complexe par le poids des dalles de pierre,
décidément, les anciens étaient de vaillants bonhommes. Ah ! Voilà le
grand frêne, le ruisseau est juste sur la droite. Tiens, des traces fraiches de
lapins, venus sans doute au contact de l’eau pour y trouver de la nourriture
non couverte. C’est aussi cela la magie de la neige en plein cœur de la nature,
apprendre à y lire les traces de vies, les reliefs du terrain, apprendre à voir
sans ses repères habituels, comme un convalescent qui réapprend à marcher et
fait ses premiers pas sans ses béquilles. Il prit à droite et attaqua la montée
vers le bois, le seul endroit sûrement encore vierge de neige, du moins au sol,
les arbres serrés et la chaleur relative du sol devrait l’empêchait d’y rester.
Une courte pause photo et regards sur ces hameaux minuscules qui parsemaient la
montagne, on reconnaissait bien aux colonnes de fumées les maisons habitées des
granges et autres habitats secondaires, et petit à petit, la carte du pays
s’établissait sur la page blanche. C’était aussi l’occasion de reprendre son
souffle, la montée était plutôt raide, la neige lourde et les raquettes
demandaient un surplus d’énergie dans ces espaces vierges. Quelques pas,
quelques pauses et enfin le bois. Comme deviné, le sol avait gardé sa belle
couleur rouille, le tapis de feuilles avait su se défendre contre les flocons.
Il déchaussa, remisa les raquettes sur son sac et suivit une sente familière,
direction le sommet, les repères ici n’étaient pas masqués.
La clairière était blanche, mais suivait la forêt de sapin.
Reboisement serré, la marche y était toujours malaisée par les nombreuses
branches mortes juchant le sol. Heureusement cela ne durait pas, une piste
traversait la plantation et il fallait la prendre pour rejoindre la pâture qui
coiffait cette partie de montagne, faisant de ce mont comme le sommet d’un
crane dégarni. L’occasion de rechausser les raquettes, de conclure par une
faible pente avant de rejoindre ce coin qu’il affectionnait particulièrement,
une cabane de pierre au bord du ruisseau, une touffe de noisetiers blottie
derrière, un bout de tronc en guise de banc devant pour s’y asseoir et
embrasser du regard le pays tout entier. Combien de fois était-il venu
là ? A pied, en vtt, et aujourd’hui
en raquettes. Parfois pour le plaisir d’y passer juste, parfois s’y arrêter
pour lire, quelques fois pour écrire et même une fois pour y bivouaquer le
temps d’une nuit, un vieux rêve d’être au cœur des bruits de la nuit.
On peut revenir mille fois dans un même lieu et y trouver
mille âmes différentes, on peut aussi visiter mille lieux sans y trouver
d’âmes, c’est cela le monde, la nature, la nature du monde. Peut-être bien
aussi parce que l’âme qu’on trouve n’est âme que par l’âme qu’on possède et
qu’on livre. On ne peut recevoir sans donner quand bien même on peut donner
sans recevoir… S’ouvrir au monde, s’ouvrir aux choses, ne pas avoir peur de
jouir des trésors simples qui chaque instant peuplent nos vies, ne jamais
perdre notre âme d’enfant, avide de découverte et d’apprendre.
On apprend à
tout âge….
1 commentaire:
"Pourtant, que la montagne est belle
Comment, peut-on imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver?"
On s'y croirait...
Merci
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