L’épaisse muraille subissait les coups de ces excès de
mauvais temps depuis si longtemps déjà qu’elle en était patinée, usée
régulièrement par les ruissellements, uniformisée dans ses couleurs sombres, du
moins de l’extérieur, car passé la lourde porte, c’était un paysage tellement
différent : des jardins en carrés où poussaient légumes et herbes, un
cloitre le long de la chapelle puis une autre muraille presqu’austère qui
abritait les logements. Après la longue montée le long de la falaise, c’était un
ravissement de trouver ce lieux de paix, ces carrés verdoyants, ces parterres
de fleurs et autres plantes odorantes, c’était comme un enchantement. Qui
était-il ? que faisait-il ici ? Parmi la communauté d’hommes vivant
ici, il semblait jouir d’un statut particulier, celui d’aller et venir presqu’à
sa guise, celui de pouvoir franchir la lourde porte selon ses volontés, celui
de communiquer avec le monde d’en bas quand ceux d’ici n’avaient pour vocation
que de communiquer avec le monde d’en haut. Parfois, il courrait la montagne
autour, à la recherche de telle ou telle herbe, constituant aussi le grand
herbier dont les planches habillaient l’espace dévolu sous les toits du grand
bâtiment, apprenant à reconnaitre les plantes, à chercher leurs pouvoirs, à
rédiger les fiches de chacune, puis les effets selon des méthodes de tris
multiples permettant d’accéder rapidement au grand savoir, son savoir
désormais, depuis que son maitre les avait quitté. L’âge et les froids avaient
eu raison de ce chêne pourtant si vert encore, si avide de connaissance, si
dévoué à lui partager son savoir. Le vieux moine l’avait choisi, comme s’il
avait lu dans son être les aptitudes à remplir convenablement le rôle.
Il était venu, quelques temps plus tôt, pour quelques jours
de retraite, quelques jours coupés du monde, comme ces jours que l’on prend
lorsqu’on n’y voit plus si clair dans le cours de sa vie, comme un besoin de
lumière, de réflexion, une sorte d’attente d’un quelconque message, un déclic
entre deux choix. De deux seules personnes autorisées à sortir du silence,
c’est avec le vieux moine herboriste que le courant s’est le mieux établi et
peu à peu, il s’était intéressé aux plantes, puis à leurs vertus, aux soins par
elles, tisanes, pommades, compresses et autres préparations, jusqu’à s’y
passionner, découvrir aussi les pouvoirs des énergies, le travail des mains,
puis, de retraite en retraite, il avait mesuré son déséquilibre d’avec le monde
de dehors, son bien-être d’avec le monde de dedans et un jour, la décision, la
seule évidente, est venue à lui : tout plaquer, tout quitter, refermer le
premier chapitre d’une vie matérielle pour ouvrir le second, celui de la vie
spirituelle et studieuse. Bien sûr, dans ces ruptures de vies il y a ceux qui
comprennent mais au font ne comprennent pas, ceux qui n’admettent pas ce qu’ils
ne comprennent pas, ce qui ne comprendront pas ce qui ne veulent pas
comprendre. Et les personnages disparaissent enfermés dans les pages d’un
chapitre trop facilement écrit.
Désormais, il était ici, une retraite à temps plein, membre
détaché d’une communauté attachante où il avait appris à connaitre chacun par
ses habitudes, la démarche, et puis aussi en soignant les petits et les gros
bobos, comme son maitre le lui avait enseigné. Du grand herbier dont il prit rapidement
la charge de l’écriture histoire de pallier aux yeux vieillissant de son
mentor. C’est avec facilité qu’il apprenait, semblant redécouvrir des
propriétés médicinales enfouies tout au fond de ses neurones, composant sa
propre pharmacopée, l’utilisant intramuros puis dehors, progressivement. Il y
avait en premier le marché, quelques objets et mets que la communauté
fabriquait et qu’il se chargea d’essayer de vendre au profit de tous, puis il
eut l’idée de proposer des tisanes, classiques puis aux propriétés soignantes,
et enfin, parce que le bouche à oreille avait fonctionné, parce qu’il n’avait
pas pu s’empêcher de soigner une vilaine brûlure sur la place du marché, aux
yeux de tous, il devint rapidement celui par qui le mal s’enfuit. Dans ce village
de traditions, c’était souvent l’occasion de remporter quelques œufs, une
volaille, quelques fruits ou autres pâtés, car même s’il tentait de refuser ce
genre de troc, les hommes d’en bas s’en seraient trouvés mal, et il ne pouvait
pas les peiner. Le père supérieur l’avait maintes fois sermonné, puis, devant
le peu d’effet et la providence de ces victuailles, il l’avait absolu, fermant
les yeux sur le principe et quelque part satisfait de ce lien entre les deux
mondes, celui d’en haut et celui d’en bas.
Justement aujourd’hui, il revenait d’en bas, gravissant la
sente irrégulière taillée dans la roche, trait d’union entre ciel et terre. Son
ballot était presque vide, le marché avait été bon, il était passé voir la
vielle Angeline dont le corps s’éternisait en douleurs. Quelques soins entre
plantes et énergies, quelques soulagements, quelques mots puis il repartait
dans le grand vaisseau de pierres, ce monde ne lui convenait vraiment plus. Il
aimait ce qu’il faisait, ce lien entre énergies du ciel, de la terre qui se
concentrait dans son corps pour permettre d’irriguer d’autres corps, pour
insuffler les bonnes énergies en d’autres vies ; Ils aimaient les plantes,
leurs leçons, leurs pouvoirs pour ceci et pour cela, découvrant aussi que ce
qui marche pour l’un ne marche pas forcement pour l’autre, les lois de la vie
sont décidément plus complexes qu’une simple addition. C’était comme une
expérimentation permanente basée sur un fond de sciences très naturelles,
plutôt que de réciter sans cesse une leçon apprise par cœur, il fallait en
permanence rester vigilent, lire dans les moindres sensations ce qui est bon et
ce qui ne l’est pas, adapter et s’adapter tout le temps, voilà qui est
passionnant, tout comme ce chemin, chaque pas renvoyait un signal, un appui
différent, parfois large et confortable, parfois étroit et crispant, mais il
savait lire et adapter le positionnement de son pied. Il était presque au terme
de sa remontée lorsque le ballet d’un oiseau captiva son attention. Il
l’observait, le voyait décrire des cercles de plus en plus grands, l’obligeant
à tourner un peu plus la tête, quittant le parcours des yeux, attitude
périlleuse dont il ne mesura pas le risque jusqu’à ce qu’elle l’emporta dans
une chute invraisemblable, la paroi abrupte n’offrait aucun appui, aucun repli
pour le freiner, tout alla si vite qu’il se retrouva à terre, en bas, tout en
bas de son canapé.
Il se releva groggy, sans savoir si c’était par la chute ou
l’étrangeté de ce rêve de plus en plus récurent, la pièce était calme, le feu
mourant, les chats dormants. Il resta au sol, prenant à peine la peine de se
redresser et de s’asseoir le dos calé contre l’assise du canapé encore endolori
par cette sortie trop rapide d’un sommeil profond, rassemblant ses esprits
autours pour recenser les images et les messages inconsciemment transmis durant
cette sieste impromptue.
Et si tout cela avait un sens ?
Et si ce sens
était plein de bon sens ?
Et si ce sens donnait la direction ?
Et
si…. Et si…. Et si….
2 commentaires:
Si joli texte.
Tout simplement toi.
Natacha
... ou pas....
allons savoir...
merci en tout cas
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