L'ombre de l'homme


Mais comment fait-il pour écrire dans ce fauteuil de cuir, bloc note sur les genoux, stylo aux lèvres pour y décrocher ces mots se collant que trop souvent sur le bout de la langue ? La lumière est douce, le feu crépitant, le parfum d’un thé plutôt corsé se répand dans la pièce, atmosphère calme à peine troublée par les accents jazzy en quasi sourdine, il est là, paisible, écriture sans méthode, mots à la ligne, un passe-temps sans doute, il écrit comme d’autres écrivent sur des cahiers pré remplis de grilles où les mots se dressent les uns contre les autres, où les mots se mêlent, les uns aux autres. La pluie fait ses gammes et ses variations dehors, tout est calme, tranquille, le moment dédié aux jeux de mots est à prendre ou à laisser. Il le prend.

C’est étonnant une maison, un espace de vie, comment ça s’organise, comment la vie se distille,  comment les ombres répondent à la lumière, comment la touche personnelle devient presque indissociable des lieux, comme si l’écrin était fait pour la pierre, comme si les pierres étaient venues enserrer la décoration. C’était là, c’était lui, son espace de vie, intemporel, dédié et dédicacé, l’endroit où il aimait se retrouver pour lire et écrire, somnoler et rêver. Pourtant, il n’y avait pas longtemps qu’il s’était posé là, un nouvel endroit, un nouveau décor, un nouveau départ, une autre arrivée, la vie n’est faite que de courses, de celles qu’on gagne, de celles qu’on perd, de celles qu’on fait sans même le savoir. Avait-il fuit, était-il parti ou bien était-il venu, avait-il trouvé son coin ? Les blessures de l’existence posent parfois des cicatrices en des lieux que l’on préfère déserter. Tant que la vie sera faite de choix, il y aura toujours un bon choix et un mauvais choix, le plus marrant étant qu’un même choix échoit d’un qualificatif de bon et de mauvais selon les regards qui l’octroie. Parfois, les départs sont nécessaires, les mises en cartons, les fin de chapitres, les fermetures de livres. Parfois, se relancer n’est pas nécessairement d’un autre endroit. Il n’y a pas de règle, pas de loi, rien, l’humain possède cette richesse de la différence et tant que les différences seront cultivées, elles seront richesses et espoirs pour l’humanité, cela, il le savait. C’est ici qu’il s’était posé dans les latitudes que ce mot peut porter. Une forme de maturité peut-être, une forme de sérénité surtout. Des amitiés enfuies, des amours défuntes, des sourires offerts, des nouvelles discussions, mais toujours la même passion de la vie, le même désir, plus grand, plus vrai, plus approprié, comme si enfin, les marques étaient trouvées.

Des mots et des écrits, les cahiers, presque tous bleus, en étaient garnis mais lire hier n’avait plus le même éclat, les mots se fanent vite surtout lorsqu’ils sont trop crus, trop acides, trop neufs, mais qu’importe, la prose n’est pas éternelle ni n’a de vocation d’être éternelle. Sourire amusé de celui qui lit l’autre, cet autre qui a écrit, ces écrits sortis de l’ombre, l’ombre de l’homme. Le bloc note se repose sur la table basse, le mug de thé est collé aux lèvres et la bouche s’enivre des fines essences de bergamote tandis que les flammes dansent timidement. Il se lève, pose le mug et s’approche du feu, éveillant ses velléités à petit coup de tisonnier, se rappelant ses joies d’enfant dans les mêmes gestes tandis que les grands-parents le grondaient avec bienveillance, histoire de ne faire point consumer trop vite la buche dans l’âtre. C’est cela la vie, un feu qui danse, qui se consume et qu’on vient de temps en temps éveiller, titiller pour en faire danser les flammes et devant ce feu de joie qui reprend vigueur, il songe avec douceur à ces personnages de son passé qui s’en viennent se réchauffer dans ses souvenirs comme hier devant le feu de bois ragaillardi. Quel que soit l’espace de lumière dans lequel ils sont, ils restent bien vivants et solidement ancrées à la mémoire, parfois même encrées à la mémoire des pages. Il est un temps qui unit le passé, le présent et le futur, c’est celui de notre vie. Le vent qui se lève vient faire frapper la pluie contre les vitrages tandis que la cheminée se met à refouler l’odorante fumée, il est temps de baisser la vitre, d’enfermer le feu.

Le temps n’est plus à l’inspiration, à l’écriture. Le temps est au repos, à la lecture, aux textes anciens des anciens d’avant les anciens, les racines des hommes sont parfois bien plus longues que celles des vignes qui les enivrent. Quelle que soit la terre où ils les plantent, elles iront toujours puiser une partie des ressources dans les terres de leurs aïeux, l’homme nait de l’homme et un jour l’homme devient homme. Evolution. Pas à pas, pas après pas…… 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"De tous les sentiers de la vie le plus important est celui d'un véritable être humain."
Paroles de Sioux.

N.