L'homme sans visage


Quel impression étrange de déambuler ainsi au milieu de la foule sans avoir le sentiment d’exister, d’être vu, d’être perçu plutôt, car on peut voir sans voir réellement. Il était calme, détendu, marchait d’un pas tranquille avec le sentiment d’être un fantôme, libre d’aller et de venir, libre d’écouter, d’entendre mais sans être entendu, sans être vu. Une foule, c’est anonyme, c’est confortable pour disparaitre, mais ce même sentiment lui arrivait lors de réunions, qu’il s’agisse d’activités sociales ou bien professionnelles, parfois même lors de grandes réunion familiales. « Qui suis-je ? » c’était-il maintes fois demandé. Je suis ici car je vois, je vis, je respire, je sens, j’entends mais pourtant les gens ne semblent pas me voir, mes mots n’atteignent pas leurs oreilles, je reste inaudible et invisible. Bizarre. Le plus étrange, c’est que même sur les photos de groupes, il n’y était pas, toujours caché, une main malencontreuse, une personne qui glisse devant, absent.

Combien de fois enfant avait-il rêvé d’être l’homme invisible, de pouvoir ainsi se faufiler en toute tranquillité dans  les endroits les plus divers, visiter, voir, découvrir, s’en aller visiter l’envers du décor. Pour le coup, il y était là dans l’envers du décor. Que ce passait-il ? De quel côté du miroir était-il ? « Non, ce n’est pas possible, le monde des vivants est bien le mien, serais-je donc insignifiant pour ainsi disparaitre aux yeux et à la vue de tous ? » Question après question, doute après doute, expérience après expérience, il se sentait être « celui qui n’est pas là » variante très différente de « celui qui n’est plus là ». Un manque de lumière ? Une absence de brillance ? Des ondes trop basses ? Parler pour ne pas être entendu, celui à qui on coupe sans cesse la parole, ça prouve bien qu’on ne l’entend pas, non ? Une fois, deux fois, on pourrait trouver des explications, presque des excuses à cela, mais là, c’est quasi permanent, la foule, le monde, quelques personnes suffisent à lui pomper les ondes et à l’estomper, élément d’un décor dont on ne se souvient pas. Au début, cela l’avait embêté, chagriné, il n’était pas facile d’accepter cela, mais au fil du temps, il en avait pris le parti, la mesure et s’amuser à disparaitre ainsi, se rappelant aussi certaines lectures évoquant par ce biais la disparition soudaine du peuple des Andes, un peu comme si on possédait un bouton pour devenir soudainement invisible, un effacement de soi qui laisser tout loisir à voir, entendre, mais ne pas communiquer jusqu’à ce qu’un quelconque, peut-être extralucide se tourne vers lui et lui demande son avis. Vite, un geste de panique, revoilà l’image et le son en mode ouvert, sorti de sa veille, il redevenait un parmi les autres. Un jeu certes, dont il faut maitriser les règles pour y jouer et ne jouir pleinement, parce qu’il n’est pas simple d’être sans être mais au final, on en mesure combien on s’attache au fait de paraitre plutôt que d’être. Paraitre dans la foule c’est se perdre d’être pour devenir visible, prendre les couleurs qu’il sied pour franchir les filtres des autres, disparaitre dans un commun que d’aucuns nomment normalité.

Mais qu’est ce que ça         veut dire « normalité », être normal, à quoi cela correspond-t-il ? Des années de perturbations envolées en fumée, il avait fini par disparaitre, il n’était plus, enfin, il n’était plus de ceux-là, il était lui, une sorte de référent auquel on vient se référer dont on loue la présence discrète et qu’on vient parfois titiller de son faux sommeil pour quérir le juste conseil, la synthèse ciselée de longue discussion et de cela, il en avait fait son métier, avec une relative brillance, cette brillance qui manquait autrefois, à moins que trop brillant elle faisait toc et en était mal perçue ? Le différent fait peur car il oblige à sortir de son périmètre, sortir de son cadre de référence  et nous mets automatiquement sur nos gardes réveillant ainsi un fort instinct de conservation. Qui que nous soyons aujourd’hui, nous gardons toujours les marques de fabriques de dons gènes reptiliens. Se mettre en danger n’est pas une chose normale pour l’Homme mais au fond, qu’est ce que la normalité, la norme, les normes…. L’énorme, oui, tout cela était énorme mais pourtant tellement vivant.      

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