Un phare enfin retrouvé

Vendredi. Ciel bleu ! Dehors et dans mon cœur, malgré un petit coup de blues hier soir, conséquence sans doute d’une pression trop accumulée à vouloir faire face aux événements. Capitaine stoïque dans une mer démontée, traversant les rouages usés et mal emboîtés d’une vie professionnelle chargée et surchargée, dirigeant tant bien que mal un navire bancal au milieu des courants. Enfin, me voici aux portes du port. Un phare dans ma nuit, plus qu’une lueur, un rayon de soleil, pas de celui qui vous réchauffe le corps par une timide apparition dans une après-midi d’hiver, non plutôt celui qui vous irradie de toute sa bienfaisante chaleur sans vous brûler la peau. Sensation exquise, invitation à l’abandon, se laisser ainsi irradier, sentir son corps, son esprit se régénérer.

Ce phare, navigateur solitaire dans l’immensité de la vie, ce phare, longtemps je l’ai cherché, parfois, j’ai cru le trouver, m’arrêtant dans quelques ports, faisant escale, me fiant à ces lueurs, plus ou moins brillantes, plus ou moins chaleureuses après ces nuits si froides et si vides. Parfois j’ai su dès le début que ce n’était qu’un feu de paille sur la falaise mais il faut aussi savoir se réfugier et se ressourcer après trop de nuits sans vents. J’ai cru voir un phare, le phare de mon port, de mon dernier port. J’ai usé, abusé de ces feux, j’ai posé pied à terre et bien cru devenir sédentaire et terrien. Usure du temps bien plus qu’appel du large, les amarres ont lâché, ma barque mal réparée a repris la mer… Havre de paix pourtant.

Capitaine courageux j’ai réappris à naviguer, à revisiter cette mer autrefois connue, aujourd’hui presque inconnue. Les règles du jeu ont changé, le capitaine a vieilli, la barque a du mal à rester à flot. Et revoilà la côte et sa dentelle de criques et de port, ses lueurs qu’il faut apprendre à lire, à deviner, à mesurer l’intensité. De belles lueurs qui pourtant n’offrent pas de promesse de lendemain, des lueurs vues plus brillantes qu’elles n’étaient, difficile métier que celui de navigateur. Une mer d’huile heureusement, seuls quelques vagues un peu plus importantes, quelques récifs à éviter, scrutant toujours l’horizon à la recherche d’un phare, du phare.

Et puis, un jour, ou plutôt un soir, car les lumières ne brillent jamais plus que la nuit, un soir donc, une lumière apparut, faible, puis de plus en plus forte. Une tempête essuyée dont j’ai cru que c’était là la dernière d’une vie somme toute errante, une tempête donc noire et sombre a mis en évidence cette lumière amie. Magnétisme inconnu qui dérègle le compas, ma barque fut attirée par ce rayon, plus je m’approchais, plus l’intensité devenait forte, magnétique, réchauffante et douce.

Serait-ce là donc que tu te cachais ? Toi que je cherchais depuis tant d’années, de vies, enfin te voici. Je me présente enfin à toi, ma voile déchirée, ma barque fatiguée, son capitaine las, là devant toi. Me voilà donc dans un port inconnu et pourtant je reconnais tout. Sensation bizarre, troublante de connaître déjà, de retrouver enfin l’endroit tel qu’on la toujours connu… Nos vies ont beau se succéder, elles sont entre elles liées, nos souvenirs, nos flashs ne sont que des réminiscences de vies antérieures. Des vies à chercher, à espérer, à se croiser, une vie enfin pour se retrouver.

Autour, la côte se prolonge, d’autres phares, d’autres lueurs, certaines brilleront bientôt pour de valeureux capitaines c’est sur, leurs feux sont trop beaux pour ne pas faire naître d’espoirs légitimes. Quant à moi, je remise ma barque. J’y entrevois une autre utilisation. Feu de joie ou cabane pour enfants ? Chaque chose en son temps, aujourd’hui la mer est belle, l’appel du large bien éteint. Je regarde voler les mouettes au loin, je devine les dauphins jouant dans les vagues, je reste au port à regarder ces vies, matelots éphémères ou de métier.

Capitaine au long cours, je ne vous envie pas, moi, ma vie est ici, à terre désormais, profitant de chacun des rayons de soleil qui voudront bien m’irradier, me réchauffer, pour que je puisse autant libérer de chaleur dans des moments plus gris, dans des nuits plus fraîches, partager la douceur du foyer, réchauffer des petits doigts, des petits pieds glacés, trouver enfin ce bonheur dessiné.

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