Voilà un an

Voilà un an, tu as fait ton sac pour partir pour un court séjour en clinique, dans l’attente  d’une décision du protocole de soins, chimio ou rayons selon leurs petits noms, chimiothérapie et radiothérapie selon les termes plus stricts. La période de fin d’année n’est certes pas la plus heureuse mais on ne choisit pas et puis, les premiers mots envisageaient plutôt une action rapidement efficace pour être à pied d’œuvre pour les fêtes. Il faut dire que depuis l’été, des séjours plus ou moins longs en clinique avaient réussi à stabiliser la maladie, du moins en apparence. Il faut dire aussi que nous autres membres de ta famille n’avons vu dans ces différentes épreuves que l’espoir d’une guérison en dépit de fatigues non feintes. Il faut dire enfin, que de ce mésothéliome est resté un sinistre inconnu pour nous, la priorité était de t’entourer et de mener autant que possible ce combat avec toi.

Voilà un an, tu m’as téléphoné en pleurs, parce que tu prenais le chemin de la clinique, la veille de mon anniversaire, date important pour toi peut-être plus que pour moi, ton petit prenait un an et à travers cet an c’était toute une vie qui défilait d’année en année, depuis bien avant mes premiers cris. Dans la seule visualisation d’une issue favorable je t’ai dit que ce n’était pas grave, que nous fêterions tout cela à ton retour, pour l’heure, il fallait se concentrer sur ces soins et y apporter toute l’énergie du mental et du familial, et bien sûr, je serai là pour cela tout autant que pour faire disparaitre les brulures des traitements. Ces mots résonnent encore dans ma tête, c’était il y a peu, c’était il y a longtemps, c’était il y a un an.

Voilà un peu moins d’un an, nous avons vécu les montagnes russes de l’espoir et de l’angoisse, traversant les dates, anniversaires, Noël, jour de l’an, entre visites, pensées, prières, téléphones, espoir, espoir, espoir, espoir encore…. L’avancée des travaux, tu l’as vu par photo, vive le progrès numérique, en se racontant les jours après la sortie où tu visualiserais tout cela dans toutes les dimensions. Discussions complices, tendres engueulades pour ne pas avoir acheté les luminaires et s’être contenté de les prendre en photos, grandes émotions lorsque nous avons tous débarqué le jour de Noël dans cette chambre où tu patientais d’espoir de sortie en espoir de sortie…  Pendant ce temps la radiothérapie fut écartée, la chimiothérapie fut enclenchée, un traitement lourd, une allergie au premier produit injecté qui te mit très bas, puis un autre, mieux supporté et un autre encore….

La vie, les travaux, les dates, encore et encore, les coups de fil, les visites, la dernière, improvisée, de retour d’examens, tes premières gorgées de jus de pomme, cette poire que je t’ai pelée et coupée en quartier, cet oreillon de pêche vestige de ton plateau repas du midi, un goûter tout en fruits comme tu les aimais, et cette phrase qui sonnent encore dans ma tête, toi, assise dans ton lit me disant « et bien tu sais, ce coup-ci, cette chimio je m’en souviendrai » comme un cri de victoire, une sortie d’affaire, enfin, c’est comme cela que je l’ai entendu.

 La vie, les travaux, les dates, encore et toujours. Téléphone, visites, pensées… Voilà qu’un jour le couperet est tombé, le combat avait cessé, une issue que nous n’attendions pas, vécu comme une injustice, une tromperie, mais là n’est pas le point focal. Le point focal c’est la vie, celui qui reste, ceux qui restent, organiser et se préparer à des choses, des actes auxquels nous ne sommes et nous ne serons jamais préparés. Des choix à faire, des moments à assumer, à assurer. Etre digne de toi, te rendre hommage comme il convient, comme il te convient, comme il nous convient. Se battre avec des prêtres en vacances, d’autres en remplacement dignes de puissant fonctionnaire présentant la facture et vous laissant organiser le tout, se mettre à devoir écrire ce qui n’est pas facile à dire, résumer ta vie en s’apercevant que j’avais encore mille questions à te poser, réaliser que j’avais pas consacré assez de temps et d’écoute à mes racines, accompagner papa dans ces moments-là, décaler les obsèques d’un jour parce qu’elles avaient été décidées le jour de son anniversaire, vivre des instants bizarre dans cette maison qui était tienne et où ton corps patientait, qui n’était plus mienne et où je cherchais nos souvenirs au gré des visites de tous ceux qui t’ont connue et aimée.

Voilà un peu moins d’un an, nous avons vécu… J’ai appris le mot « mésothéliome », j’ai lu sa terrible épopée, ses victoires rapides et sans appels, je suis content de ne pas l’avoir lu et su plus tôt. Nos vies ont appris à trouver leurs places, retrouver des recettes, des souvenirs, et bien sûr il y a parfois de la tristesse, parfois des souvenirs qui vous piquent les yeux, il y a des rires, des gourmandises, des pots de confitures à l’écriture tant aimée, il y a l’esprit bien au-delà du voyage du corps et là est l’essentiel. Il y a eu aussi un resserrement familial, quand il fait froid, on fait corps, on se rapproche pour mieux partager sa chaleur et dieu que nous avons eu froid !


Voilà un an, je n’aurais pas su dire ces choses, la colère rend aveugle même sans en vouloir à la terre entière. Aujourd’hui, cette période de date revient, dans un autre contexte, avec mille pensées, et je me fous de fêter tel ou tel anniversaire, Noël ou jour de l’an, je sais que le plus précieux de notre bagage sur terre, ce ne sont pas les ans, ce ne sont pas les fêtes, les cadeaux, les pitances, les débauches, non, le seul trésor de nos vies sur terre, c’est l’amour, l’Amour, avec un grand « A ». Sans Amour, vous ne pouvez pas vivre, il faut parfois le perdre pour le mesurer et le comprendre, il faut parfois perdre pour aimer, alors n’attendez pas, aimez ! 

1 commentaire:

Fabienne a dit…

Un témoignage éclatant de tendresse et d'amour dédié à ta maman, et étendu à ta proche famille. Une réelle complicité de la relation familiale. L'émotion à l'état pur à la lecture de tous ces mots choisis. Le vrai de la vie est d'aimer.