Surplace, attention danger

Il n’y a rien de plus désagréable que le surplace, cette forme d’immobilisme en mouvement, cet enlisement de l’être qui oublie d’être et donne trop de place au paraitre. Avancer, construire, se construire, telle est la route de l’être humain. Etre humain, mot dissonant hélas de plus en plus, on nait, on est, on oublie d’être humain. Un jour il faut savoir partir, tout effacer, tout oublier, délaisser les pages trop pleines, trop connues, les écritures trop faciles, repartir d’une page blanche, changer d’adresse, oublier son adresse, l’adresse des mots, l’adresse des lieux, partir, tout quitter, déménager, change d’air, changer d’aire, changer d’ère, écrire le mot fin ici sans qu’il soit une fin en point final, rien ne se finit jamais tout à fait.  Le point final finit en suspension, points de suspension… Exit. Fin de chapitre, enfin, les chats pitres demeurent des chats pitres quand bien même ils semblent s’assagir, non, rien ne finit jamais. Triste ? Non, évolutif. L’évolution demeure la plus belle des choses qu’il soit offert à l’humanité. Un jour elle en prendra conscience, pour l’heure, elle est bien trop occuper à déshumaniser son humanité, il faut parfois mener sa révolution pour retrouver son chemin et connaitre l’évolution. Au fond, la révolution n’est qu’une figure purement mathématique consistant à prendre un virage à cent quatre-vingt degrés, alors, au bout de deux révolutions on se retrouve au point de départ, un tour sur soi-même, faire le tour de soi. La route de soi, et non la route de la soie. Sourire.


Bientôt viendra l’heure des bilans, non pas des dépôts de bilans ni des bilans médicaux, ceux-ci n’ont que des échéances échappant aux logiques du temps. Non, le bilan, la mesure du parcours entre deux termes, l’année pour beaucoup, le trimestre pour d’autre, le cycle d’une aventure pour d’autres encore…. Le dossier est rempli de pages bariolées, les mots dansent sur les feuillets, les idées diffuses diffusent leurs parfums tantôt âcres, tantôt légers, tantôt puissants et entêtants, parfois sucrés. Mais si l’heure est au bilan, l’exercice n’est pas de dresser ici le bilan, il est des choses parfois inutiles à publier, des lignes abstraites pour beaucoup qui resteront dans l’ombre d’un feuillet et croyez-moi c’est bien mieux ainsi. Les cartons s’empilent, ça devient tout con une vie lorsqu’elle se résume en pile de cartons, lorsqu’elle se transcrit en mots  griffonnés à même le carton, le bocal se vide, exit le scaphandrier, les graviers colorés, le bout de plante en plastique, seul reste le poisson à tourner en rond dans cet espace si vide. Mais la fin n’est pas dans les lignes écrites au marqueur d’une écriture pressée, la fin n’est pas dans le bocal vidé, non il y a déjà un ailleurs et il y aura toujours un ailleurs, tant mieux, inutile donc de se presser sur le quai de la gare pour dire « au revoir » agiter son mouchoir et pleurer des larmes amères non destinées. Il n’y aura pas de tournée d’adieu, je ne suis pas sûr d’ailleurs que Dieu lui-même soit libre et puis, on a chacun tellement à faire dans nos quotidiens étriqués pour n’être que réjoui devant la libération d’une date non prise. Il n’y a pas de rendez-vous manqués, il y a des rendez-vous où l’on ne vient pas, d’autres que l’on oublie, des visages qui s’effacent et disparaissent, des mots, des discussions qui resteront à jamais en suspens, il y a la vie, et ça, c’est un trésor qu’il nous faut entretenir et dont il nous faut savoir profiter.  User mais non abuser. Il n’y a rien à réfléchir, rien à infléchir, la courbe suit sa tendance et la tendance colle à la courbe, chacun étant en quelque sorte le prolongement de l’autre. Il y a le soleil, la pluie, le froid, la neige, la lune éclatante lorsqu’elle est pleine et éclaire la nuit, les étoiles qui brillent chaque soir différemment, les yeux qui brillent devant telle ou telle émotion, les mots qui cherchent à briller, les silences qui brillent parfois par leur absence, mieux vaut se taire pourtant. Il y a des sourires qui ne s’oublient pas, il y a des visages qui s’effacent, la mémoire joue des tours mais sans détour vient vous jeter à la figure une de ces claques du passé dont on se serait bien passé. C’est con quand même ces fonctionnement, et dire que nos pauvres ordinateurs meurent subitement sans laisser échapper la moindre trace des souvenirs confiés… Il y a les parfums, les musiques, les couleurs, il y a des galbes gracieux et graciles qui font naitre des émois à peine évoqués, il y a des vibrations, des énergies, des recettes jolies, des papilles excitées qui se réveillent et vous mettent l’eau à la bouche rien qu’à la simple citation à comparaitre de telle ou telle recette, n’en déplaise à Proust, il n’y a pas que les madeleines.


Voilà, il n’y a pas de mots pour traduire les pensées embuées, sûrement parce qu’ils sont trop simples, trop basiques, trop au fond du panier, surement parce qu’ils sont trop personnels, trop timides pour être ainsi jetés à la lumière d’une page plus très blanche. Et comme il n’y a rien de plus désagréable que le surplace, cette forme d’immobilisme en mouvement, cet enlisement de l’être qui oublie d’être et donne trop de place au paraitre, on trace, on avance, on construit et on se construit. Avec ou sans toit, avec ou sans vous, parce que la route ne se résume pas à des personnes, des lieux, des panneaux indicateurs déguisés en gâteaux d’anniversaire, en dinde rôtie ou en bûche de Noël, d’ailleurs je n’ai jamais su lire les panneaux….


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