Il
est un endroit, là-haut, tout là-haut, où les arbres ne portent pas de
drapeaux, où les prairies n’appartiennent pas à une géographie politique, où
les frontières n’apparaissent qu’en bornes de grés dressées en distance
régulière lorsque le terrain s’y prête. De cet endroit-là, vous voyez ce que
les hommes appellent « France » et « Espagne » et vous
faites autant de traversées que vous le souhaitez d’un pays à l’autre. Des gens
qui vivent ici, peu se soucient de cela, tous parlent la même langue. Les animaux,
les herbes même folles ne font pas de différences pour un côté ou bien l’autre
de la borne. D’ailleurs, ces bornes, sont-elles plantées en limite d’un pays ou
bien à cheval sur le trait appelé frontière ? C’est bizarre cette
géographie de terrain, bien plus éloignée que les schémas rigides des salles de
classe….
Des
sommets escarpés, des cols tantôt larges, tantôt étroits, des lieux de passages
depuis tant de génération, puis au sommet, une maison. N’imaginez pas une vaste
demeure, non, juste un plan carré, une pièce à vivre en bas, une chambre
au-dessus faisant aussi office de débarras et de réserve, puis, appuyé contre
le mur, un appentis autrefois étable, le tout dans les dimensions modestes des
vies d’autrefois, logique de construction répondant aux logiques financières et
aux moyens de chauffage. Un peu plus loin, une autre construction, plus basse,
servait de remise après avoir été une pièce d’affinage pour de succulents
fromages… L’habitat peut sembler austère, il est une sorte de garde-frontière
aussi efficace qu’une maison de garde-barrière le long d’une voie démantelée.
La vue était superbe, la météo s’affichait en grand sur les sommets voisins,
comment pourrait-on vouloir vivre ailleurs ? La belle saison amenait ses
visiteurs, randonneurs en quête d’ombre pour manger au col comme il disait,
l’occasion parfois de quelques mots échangés, tantôt sympathiques, tantôt plus
durs lorsque les boites de conserve ou autres papiers ne semblaient avoir été
prévus pour le voyage de retour… C’est quand même terrible d’aimer la nature et
d’ainsi la salir, une drôle d’époque avec de drôles de zozos… Il bougonnait
devant cette inconscience individualiste peinant à comprendre combien le même
geste répété par chacun de ces milliers de randonneurs pourrait se traduire par
un sommet d’ordures répugnantes. Déjà qu’il fallait à présent tout fermer à
clé, sous peine de retrouver sa remise transformée en d’odorantes toilettes,
non mais, qu’est-ce qu’ils croient tous ces citadins ? vivent-ils ainsi chez eux ? La montagne
est belle et se partage, elle se préserve aussi, par l’action de tous et par la
maitrise de chacune de ses actions… A méditer.
Un
drôle d’hiver, des fortes chutes de neige, du froid bien installée, puis le
printemps et ses précipitations nombreuses avait tout balayé : les neiges
accumulées et la terre du sentier. Tout était raviné, il fallait reprendre la
bêche, redresser les bordures, remettre quelques pierres, sans oublier les
saignées pour les futures pluies. Combien de ces marcheurs en costume de randonneurs
mesurent le travail nécessaire pour que les sentiers restent agréables à
pratiquer ? Les fleurs, quelques champignons de prairies, autant de
récompenses pour saluer le labeur. Comme il était bon de vivre ici. Pas besoin
de calendrier, les flots de plus en plus importants des randonneurs
traduisaient les ponts du calendrier et l’approche de l’été. Un autre temps,
plus chaud, plus violent, mais toujours autant de plaisirs à découvrir ce
spectacle sans cesse changeant. Bien sûr, ce qu’il préférait c’était ces
périodes où le secteur est moins prisé, mais au fond, nous ne sommes que de
passage sur une terre qui ne nous appartient pas, nous pouvons et nous devons
apporter notre pierre à l’édifice et non le démolir, tant mieux si l’endroit
plait et attire le monde, c’est vrai que c’est beau et ils ont bien raison d’en
profiter, mais quand même, n’exagèrent-ils pas avec leurs sacs trop lourds et
leurs mines fatigués ? Il est bien difficile d’avoir la notion lorsqu’on
vit la montagne par intermittence et puis lui, le sentier, il e parcourait
depuis tant d’années qu’il en connaissait presque chaque caillou, chaque arbre,
chaque barrière, chaque enclos, son chemin pour aller faire quelques courses,
pour visiter quelques amis, familles d’en bas, apporter un salut, quelques
fleurs dans ce petit cimetière où tant de croix portent le nom d’êtres aimés.
Tant de vies ont composé sa vie, tant de vies l’ont croisé et désormais chaque
jour un peu plus encore.
Nos
vies sont comme ces chemins de montagnes, elles montent, elles descendent,
elles passent des caps, des cols, elles atteignent parfois des sommets, elles
croisent d’autres vies, d’autres sentiers, d’autres chemins, elles circulent
sur cette terre où nous ne sommes qu’en transit et jamais propriétaires, mais
bon sang, qu’elles sont riches et belles dès lors qu’on accepte de les vivre
pleinement….
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