Les
premières neiges, elles enchantent les citadins rêvant de ces grands espaces
immaculés comme de vaste terrains de jeux, elles indiquent aux villageois des
montagnes que le temps est vraiment venu de changer l’ordre des travaux. Bien
sûr les prairies d’estives étaient à nouveau déserte, les troupeaux avaient
repris le chemin de leurs étables de village, les cabanes, une à une s’était
fermée, abandonnée pour l’hiver à quelques montagnards passant par ici et
avides d’un peu d’abri et de feu, il ne restait qu’un hameau, accroché au
dernier près avant le col puis le sommet, le hameau du vieil entêté comme le
surnommé les habitants du village.
Entêté
pour qui, pour quoi ? Ceux qui le qualifiait ainsi avait sûrement dû
oublier qu’autrefois des familles entières vivaient dans ces hameaux, ces
fermes devenues tout juste granges à matériel, parfois résidences secondaires
pour citadins en quête de calme et de solitude. Il avait toujours vécu ici,
avec ses grands-parents, ses parents, sa famille, puis inexorablement le
troupeau s’est résumé à sa seule personne. Les anciens partis rejoindre le
cimetière blotti autour de l’église, les plus jeunes plus bas en vallée dans
des emplois privés d’air pur. Lui avait choisi cet air pur, cette liberté, ce
temps qui se compte en tâches, en travaux, cette vie à la lumière du plein
jour. Quelques bêtes, un peu de culture, le voici gardien d’un cimetière sans
corps, chacune des fermes du hameau, il les nomme encore par le nom des anciens
propriétaires, il les voit aussi disparaitre petit à petit, lente érosion du
temps, combat vaincu par la nature, toujours. Une tuile qui glisse, une
gouttière se forme, l’eau pénètre puis ronge la terre jointant les pierres du
mur, le bois sec des vieilles poutres jusqu’à les faire céder, ouvrant la
brèche aux éléments, pluies, vents, neiges, sans compter les animaux. Bien sûr
au début il avait essayé de sauver les apparences, réajuster les tuiles,
glisser de-ci, de-là un morceau de tôle ou de plastique issu d’un bidon découpé
mais bientôt la chose ne fut plus possible, et puis, au fond, pour quoi, pour
qui ?
Bien
sûr il y eut l’apprentissage de cette vie solitaire. Les premiers moments, les
premières nuits, les premiers silences furent bien plus que des vides, des
blancs. Puis le temps avait fait son œuvre, le temps l’avait sculpté comme il
sculpte jusqu’aux rochers, il s’était installé dans cette vie de solitude, à
peine interrompue par quelques randonneurs, quelques habitués venant le voir ou
visiter les anciennes maisons d’un lointain aïeul, et la vie avait repris ses
droits, ses cycles, ses listes de travaux, et au fond, la période qu’il aimait
le plus, c’était l’hiver, cet hiver blanc et froid qui privait bon nombre de
gens d’envie de monter par ici. Un hiver entre feu de bois et surveillance des
bêtes, entre bricolages à l’abri et petites marches solitaires, un hiver à voir
un peu plus le hameau se dissoudre et disparaitre dans les entrailles de la
terre. La ferme du père François était encore à moitié debout, le vieux rideau
déchiré encore accroché au battant survivant d’une fenêtre trouant le seul
pignon dressé s’agitait comme un drapeau blanc demandant la trêve, la fin des
combats. Un dernier signe de vie humaine sur un mur aux pierres descellées.
Pathétique, comique et désolant, surtout lorsqu’on pense au père François qui
passait le plus clair de son temps les volets clos après le décès de sa femme…
Qui
a raison ? Qui a tort ? Celui qui quitte sa terre ou bien celui qui y
reste accroché ? Pourquoi l’un aurait-il plus raison que l’autre ?
Chacun cherche la réponse comme s’il n’y avait qu’une seule réponse possible.
Mais il n’y a pas de vérité, il n’y a pas de choix entre les choix faits,
chacun vit sa vie comme il l’entend. Celui qui reste sur sa position, celui qui
change à la recherche d’un mieux, combien de par le monde sont encore accroché
à leur bout de caillou, combien en sont partis quitte à le renier, combien
garde au fond d’eux la mélancolie d’un bout de caillou accroché on ne sait
où ? Il n’y a pas de meilleur choix que le choix que l’on fait. Il n’y a
pas de meilleur endroit qu’un autre, il y a l’endroit où l’on se sent bien,
celui on l’on mesure, parfois sans même s’en apercevoir, les énergies d’un
monde avec lequel on rentre enfin en connexion. Peut-être bien que vous savez
au fond de vous-mêmes où vous vous sentez le mieux, peut-être bien que vous le
découvrirez bientôt, c’est une sensation rare, un bien être infini cueilli à la
source, votre source. Lui avait toujours su qu’il était d’ici, bien plus que
d’être né ici. Là était sa différence, et comme toute différence, elle créait
une rupture, mais au fond, pour quoi, pour qui ?
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