Visages ridés

Je n’ai pas l’habitude de relater le carnet gris de l’actualité, mais le décès de sœur Emmanuelle m’a interpellé au travers des autres actualités tragiques dont les médias nous rabâchent sans arrêt les oreilles. Pourquoi ? Je n’en sais vraiment rien. Peut-être son charisme, sa bonne humeur communicative, cette présence un peu magique, beaucoup mystique, quel que soit le lieu, l’endroit, au milieu des chiffonniers du Caire comme sur le plateau d’une émission de Michel Drucker, c’était toujours ce sourire, cette jovialité, cette énergie, cette force de répartie aussi, qui faisait d’elle un personnage, au sens noble du terme. Peut-être aussi, parce qu’au travers des rides de son visage, j’y revoyais les rides des sœurs qui, lorsque j’étais enfant, nous enseignaient le catéchisme avec le même entrain, la même bonne humeur permanente. Il y a tant de magie, de chaleur et d’énergie dans ces visages fripés qui ne vivent que d’amour et qui aiment à répandre l’amour. Un regard pétillant, un brin malicieux, un entrain sans faille, autant de choses qui ne peuvent qu’attirer et vous regonfler de vie. La vie pour elle s’est arrêtée à 99 ans, au cœur d’une paisible retraite passée dans le sud de la France, dernier pied de nez de cette grande dame qui ne se faisait aucune gloire de fêter ce joli compte rond des 100 ans.

A travers cette actualité, je pense aussi à une autre vieille dame, qui va au cours des prochains jours, fêter ce nombre rond de 100 ans. Celle-ci, l’attend avec impatience, bon pied bon œil, marchant sans canne, droite comme un I, juste un petit appareil auditif pour palier une audition légèrement défaillante, participant activement à la moindre conversation sans perdre le fil et en étant capable d’aborder le sujet, elle est passée du franc à l’euro comme une lettre à la poste, connaît les prix des produits et sait détecter les hausses exagérées, c’est un vrai bonheur de la côtoyer, une vraie recharge pour le moral, et une très belle leçon de vie. Il y a quelques années, elle nous racontait une des dernières fois où elle avait été rendre visite à sa sœur, en nous disant : « oh ! Elle déraille, elle ne sait plus ce qu’elle dit, que voulez-vous, elle est vieille…. » Lorsque nous nous sommes enquis de l’âge de sa sœur, nous apprîmes qu’elles avaient 2 ans d’écart, 2 ans de plus qui faisait toute la différence…. Toute la malice passait dans son discours. Je l’ai revu récemment et c’est toujours le même bonheur, la même douceur et bonne humeur, s’intéressant aux A380 livrés, comme aux citrouilles poussant au jardin. Toute fière d’arriver à cette bannière des 100 ans, après avoir vécu, trimé, sans arrêt, quand ce n’était plus pour son métier, c’était pour celui de sa fille, puis de sa petite fille. Coiffeuses de mères en filles, même lorsque la 3e génération était aux ciseaux, c’est elle qui s’occupait de laver les serviettes de toilettes du salon familial, et, la machine terminée, elle chaussait les sabots de bois pour s’en aller au fond du terrain étendre le linge. Dans la maison à étage, l’escalier n’avait pas de secret pour elle. A peine parlait-on de victuailles à aller chercher au frigo d’en bas qu’elle partait sans rien dire, remontant sans essoufflement, les plats en main. Elle vivait toute seule, dans sa petite maison juste à côté de sa fille, jusqu’au jour où, la dureté de son oreille l’inquiétant un peu plus que la veille, elle arriva avec ses affaires en disant : « bon, il va falloir prendre une décision, soit vous me gardez, soit vous me placez en maison » et elle est naturellement venue occuper la chambre des enfants partis créer leur foyer. Mère, grand-mère, arrière-grand-mère, en attendant mieux, elle ne vieillit pas, elle se patine, non pas des outrages du temps, mais de la douceur du temps qui passe sur elle sans marquer davantage son visage aux sillons creusés. La vie lui a ôté des proches, son mari, sa petite fille récemment, perfide maladie qui abîme, disparaît et revient conquérir sa proie, épreuve douloureuse pour une grand-mère au grand cœur. Comme souvent, dans ces âges, quelques affections font vaciller la flamme qui anime ce corps et ce cœur. Des moments difficiles pour les proches, des moments rendus pénibles par la maladie mais dont elle dit que de toute façon la vie lui ayant donné ce qu’elle a eu jusque là, il faudra bien qu’un jour ou une nuit, l’heure qui sonne soit la dernière entendue. Aujourd’hui, elle rayonne, toujours pimpante, fière d’atteindre un âge qu’on dit canonique, et c’est un vrai régal.
Etrange monde que celui de la vieillesse, ou sans espérer, sans l’attendre on se prépare à ce moment de quitter ses proches pour aller en voir d’autres déjà partis, sans aucune inquiétude, dans toute la quiétude d’une vie bien remplie. Ces choses-là, je les ai entendues de mes grands-mères, une, ma grand-mère d’adoption est décédée à 95 ans, avec toute la lucidité qui lui a fait nous dire le soir ou nous y sommes aller, ma mère et moi, la voir dans ce sinistre hôpital, que demain elle ne serait plus. Des mots, qui entendus à 12 ans, résonnent encore dans ma tête ; l’autre, ma grand-mère maternelle, nous l’a souvent évoqué dans sa chambre de retraite, entre deux profondeurs dont elle avait su remonter. Un départ espéré, dans l’espoir de retrouver son mari, ses parents, ses amis, un départ sans peur, et avec toute la clairvoyance qui l’a animée avant sa dernière semaine de coma. Les méandres de la mémoire sont ainsi, une vieille dame s’endort et d’autres se réveillent de notre matière grise. Parmi toutes ces pommes ridées de ma vie, une est vivante et bien active, vrai rayon de soleil sur nos vies, image chaleureuse et réconfortante qui rayonnent bien au-delà de sa famille. Au travers de ces écrits, c’est à toutes mes mémés que je pense, toutes ces femmes qui au long de ma vie ont su l’éclairer de leurs tendresses, leurs liesses et leur allégresse. Je pense à celles parties, toujours trop tôt pour nous les vivants, je pense à celle vivante et bien vivante, que j’aime à visiter, y retrouver ce soleil, cette douceur qui égaye le cœur, discuter en toute simplicité des choses qui paraissent si compliquées à bien des plus jeunes…. Nous naissons tous libres et égaux, la vie, les vies, décident d’autres conclusions.

1 commentaire:

Anne a dit…

Nouveau look, nouvel homme, nouvelle vie : en marche vers l'avenir !!
Cependant une chose doit être gardée du passé : ta qualité d'écriture !
On adore et on ne peut s'en passer!
Merci et biz à toi !