Orage, ô rage!



Un petit tour sur le port de Capbreton, au plus près de l’océan et de la célèbre estacade. Océan démonté, ciel séparant les deux villes : bleu presque pur sur Capbreton, noir presque menaçant sur Hossegor. Qu’à cela ne tienne, le temps d’aller quérir une place pour gare mon fidèle carrosse, je boutonne ma parka, mp3 sur les oreilles, Midi 20 de Grand Corps Malade, violence des cités contre violence des éléments, je m’en vais du pas tranquille de l’homme apaisé rencontrer les flots tumultueux du haut de l’estacade. Ce ciel gris sombre n’incite pas grand monde à la promenade, plutôt à observer le spectacle bien à l’abri de sa voiture ou derrière les vitres du café. Ce n’est pas grave, je marche seul direction l’océan, je pars affronter les éléments au risque de recevoir quelques éclaboussures salées.

Me voilà sur les lambourdes de bois qui constituent l’estacade, d’abord les plus usées, celle qui en ont vu, des vagues, des éléments, de vagues éléments, des éléments qui divaguent, puis celles pas encore usées par les pas, les outrages du temps qui témoignent, réparation récente, des blessures destructrices de cet hiver. Tiens, une goutte ou je rêve ? Non, c’est une humidité bien réelle, il fait quelques gouttes. Tant pis, on ne vient pas ici sans aller toucher le bout de l’estacade. Quelques pas, quelques mètres et ça y est, je touche le bois du bout et non le bout du bois… C’est à ce moment précis, comme si j’avais touché je ne sais quel mécanisme, que le ciel se lâche furieusement, les quelques gouttes de tout à l’heure, n’étaient que des gouttes éclaireuses ! Voilà des trombes d’eau qui tombe de haut. Ciel ! Que d’eau !

En un instant, me voilà trempe, la tête (oui ça j’ai l’habitude, je ne porte que rarement la capuche, tout juste le béret pour les randos, mais pas aujourd’hui, le béret sera bien sec, il est resté au mobilhome !) ; la tête donc, et les jambes, sauf que les jambes étaient bien planquées sous le jean, et que marcher avec un jeans mouillé, détrempé à la corde, et bien c’est assez spécial. Je comprends mieux pourquoi on préfère le concours de tee-shirt mouillé ! Pas trop à l’aise dans ses baskets le mec, bon, elles aussi, elles baignaient et même elles en faisaient profiter les chaussettes de la baignade ! Trempé complet, l’expression même « trempé jusqu’aux os », mais là, franchement, j’avais pas le cœur à m’entailler les chairs pour aller vérifier…

Imaginez un mec stoïque, marchant calmement, sans courir sous le déluge, la parka ruisselante, bon, mal fermée la parka, donc le col du tee-shirt et de la polaire plutôt imbibés, le jean trempe, les chaussures faisant plutôt flip-flop que des claquettes, bref, pas vraiment « chantons sous la pluie » mais tout de même un flegme digne d’un britannique, et même d’un britannique mouillé, et même, d’un britannique anglais et mouillé… Joli spectacle, d’ailleurs, j’avais du public, une foule de gens entassés sous les arcades du casino, me regardant traverser seul de mon pas tranquille, j’ai pas dit nonchalant, faut tout de même pas exagérer, non pas un pas de course non plus, pas question de m’étaler en public, je dirais plutôt un pas altier, presque princier, oui, c’est cela, un prince anglais, genre prince consort, surtout le prince qu’on sort par temps de pluie, je m’en allais donc de ce pas princier, traversant la place déserte au pavé luisant, sous les yeux incrédules de la foule en délire, euh, non, pas en délire, plutôt de la foule abritée et me regardant moi, simple quidam, damer le pavé, oui, le quidam qui dame le pavé par cette belle après-midi diluvienne, c’est bien moi… Et je marche ainsi, sans un regard, sans un geste pour mes spectateurs, normal, soyons prince jusqu’au bout, et pour moi, le bout est loin car je me suis garé loin et puis, je suis parti du bout de l’estacade, ce qui sans mentir, représente un bout, une trotte, trotte que je n’ai pas fait au trot, ni sur la place, ni sur le trottoir d’ailleurs ! Pas de sur place non plus, non, une marche simple, tranquille, comme si de rien n’était, pas de quoi transpirer, de toute façon, j’étais déjà bien humide… Imaginez les gens qui ont couru se jeter sous les arcades, me regardant béats et dire « ça doit être un allumé ! » Un allumé humide, trempé, comme pétard mouillé, on fait mieux !

Et bien, sous cette pluie diluvienne, dans cet endroit merveilleux que j’aime énormément, dans cette fin d’après-midi de congés décalés pour des raisons déjà évoquées, dans cette heure et cette phase de ma vie, moi l’humble martien battant le pavé humide du parvis du casino, je respire pleinement ce moment, je respire et je suis heureux car je suis en vie, je suis vivant, et c’est bon d’être vivant, d’être là, capable de marcher, de sentir ruisseler sus son corps cette eau, ces flots qui m’inondent, noient mes vêtements qui m’alourdissent pour me freiner, me ralentir, mais rien n’y fait, je suis bel et bien vivant, et je suis VIVANT ! J’aime la pluie comme j’aime le soleil, et tant que je sens l’un et l’autre, c’est que je vis, que j’existe, que je suis moi, et je me surprends à en rire, à en sourire, en marchant toujours du même pas lent, non pas que je sois lourd au point de nécessiter un palan, non plutôt que je n’aime pas forcer l’allure, question d’allure, de plus, depuis le bord de mer, il y a une très jolie vue sur l’océan en furie, sur ces eaux tumultueuses qui elles aussi se font arroser de cette eau céleste…

Bigre ! Que ma voiture est loin ! Dire que je viens de la faire laver… Au moins, le rinçage à l’eau claire est bien fait, j’irais tout de même faire constater l’inefficacité du séchage… Je jette un plaid sur mon siège et en voiture avec chauffage s’il vous plait ! Direction mon home sweet mobilhome, je me démoule de mes vêtements trop collants, je file prendre une bonne douche, ce coup-ci à l’eau chaude, puis, un bon thé qui aura la bonté de me réchauffer de l’intérieur. La suite ? Et bien, cahier, stylo, la voilà la suite, c’est ce que vous venez de lire….

Que voulez-vous, les bonnes choses se partagent, et j’aurais bien aimé vous en faire profiter de cette belle après-midi à l’estacade, c’est si bon de se sentir vivant et debout. La force est là, la farce aussi, la bonne humeur, l’humour, la dérision et même l’autodérision, bref, tout un tas de valeurs qui collent à ma peau.

A bientôt donc sur les pavés mouillés,
Je vous y attends, je vous y espère,
Respirer, marcher et sourire à la vie,
Quoi de mieux que d’être en vie ?
Rien, pas même la pluie ne me désespère
C’est une joie de vivre, sans en être douillet.

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