T'as raisin, pied de vigne!


Hasard des balades dans ces coins d’Aude que j’affectionne, dans cette vaste composition subtilement travaillée de minéral et de végétal, le sentier du jour longe des vignes aux ceps solides, témoignage de longues d’années de croissance, permettant aussi aux connaisseurs de dater l’âge de la plantation. Sous la frondaison d’un vert éclatant, murissent tranquillement les grains accrochés aux rafles, formant de belles grappes gorgées de soleil, de sucres et d’envies qui délivreront bientôt ce nectar, véritable sang du pays, désormais objet de toutes les attentions. Fini les années de piquettes, il faut dire aussi que la donne était différente, il fallait produire à tour de bras et de vignes du vin de table pour le pays. Exit ce temps-là, désormais, ce sont des appellations d’origine contrôlée, des choix imposés de plantation, telle ou telle variété de vigne, dans tel pourcentage, et un suivi méthodologique qui détermine les opérations rythmant la viticulture. Après le temps de la récolte, le temps du pressage viendra le temps de la maturation des jus avant que les maitres œnologues déterminent l’assemblage précis, sorte de dosage scientifique où la syrah ne doit pas déborder sur le carignan pas plus que le grenache ne doit l’emporter. Du travail de spécialiste qui donne l’accent du terroir à chaque bouteille, qui signe du maitre du cru la production issue.

Mais aujourd’hui, c’est la plante qui attire mon regard. C’est beau un pied de vigne, à la fois torturé et dressé, maitrisé par les tailles, rabougri par la pauvreté du sol, loin d’être un tronc lisse, c’est au contraire un corps puissant aux muscles saillant, les veines et le plissé de son écorce donnant le relief qui sied au produit. Mais plus étrange, c’est de les voir tous, alignés en rang d’oignon si j’osais cette inappropriée expression, dressés contre leurs lignes de vies où s’étales les sarments et les feuilles, chacun bombant son torse comme pour répondre à l’inspection. En regardant de plus près, ces rejetons de la même année de plantation, on s’aperçoit des différences spectaculaires qu’il existe dans la nature ; Celui-ci a poussé plus que celui-là, du moins ce cep-ci est plus gros, plus imposant que son voisin de rangée. Le départ des branches est aussi différent, il est rare de trouver au final, plusieurs fois le même pied. C’est cela la vie, deux être qui démarrent ensemble leur vie commune, s’accrochant à leurs lignes de vies, cherchant à faire leur place au soleil, à s’épanouir et faire pousser ses fruits, deux être identiques ou du moins proche, suffisamment proche pour ainsi s’associer, deux êtres que la vie fait grandir différemment. Au fil des temps, l’un empiète sur l’autre, le prive de lumière, l’appauvrit et l’étouffe jusqu’à l’épuisement. C’est parfois cela la vie. Et parfois l’aide extérieure est nécessaire, celle du viticulteur qui viendra par la taille corriger es pousses ou bien arracher le pied agonisant.

Mais pour nous les Hommes ? Ne sommes-nous pas de la même espèce, à parfois disparaitre sous la coupe d’associés trop influents ? A s’étioler dans sa vie, dans son groupe, dans sa communauté, dans son couple parce que l’autre est devenu dominant, imposant, parce que les fils de nos vies ne sont plus les fils de nos envies, parce qu’atteindre notre ciel nous parait épuisant et que les mains tendues deviennent des mains qui poussent sur notre tête pour l’empêcher de s’élever ? C’est à cela que me fait songer ces pieds de vignes, prisonnier de la même gangue, contraint à disparaitre par épuisement personnel ou bien par choix du viticulteur. Nous sommes des êtres vivants tout aussi bien que ces êtres vivants-là, mais nous avons une chance inouïe, c’est d’être potentiellement acteur de notre vie, même lorsque nous n’usons pas de ce potentiel. C’est à nous et à nous seul qu’il convient de nous exprimer, de décider de s’arracher de là, de briser ces clôtures, d’échapper à cette petite mort en exil, un exil parmi le nombre, parmi la collectivité, parmi le couple. Partir, se détacher, s’exiler, affronter la peur, notre peur du vide, du néant, de l’inconnu, mais aussi et surtout, se donner l’occasion de vivre, de passer la tête hors de l’eau, d’happer cette bouffée d’air neuf et non vicié, de goûter à la vie, notre vie, pas celle imposée par tant d’autres choses. Vivre ou s’étioler, grandir ou mourir, respirer ou s’étouffer, un choix, des choix, un chemin, son chemin. Il n’y a rien de facile, jamais, surtout pas le premier pas, imaginez un peu combien il peut être dur de se déraciner de son pot quotidien, mais imaginez aussi combien il est peu agréable de voir sa vie s’étioler.

Quelques pas au soleil des Corbières, quelques pas le long des vignes, quelques pas qui résonnent dans la tête comme des similitudes d’avec le monde des humains, mais après tout, nous sommes tous des êtres vivants, non ? Alors vivons, tout simplement. 
         

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La nature nous enseigne tout ce dont nous avons besoin du moment qu'on sait la voir et l'écouter.
Très jolie comparaison.

Natacha