Dans l’air léger du matin, l’oiseau décrivait de grands
cercles au-dessus de la plage, s’amusant tel un enfant sur un toboggan, à
grimper pour mieux glisser sur les courants d’air chaud épousant les dunes.
C’était de ces matins si bons, si agréables, où le temps et les lieux vous
semblent offerts, parce que le monde dort encore, parce que l’air est encore
frais, rendant plaisant la balade, renforçant l’idée que le monde est à ceux
qui se lèvent tôt, où…se couchent tard….. Tôt, tard, quelle différence dans ce
temps de vacance, ceux qui se lèvent tôt croisent ceux qui se couchent tard,
comme quoi on peut se coucher tôt sans qu’il soit trop tard. Qu’il est bon de
marcher ainsi, la vieille piste de béton, vestige de la seconde guerre
mondiale, desserte des blockhaus du célèbre mur de l’atlantique, joue à
cache-cache avec le sable, pour finir par disparaitre et laisser la place à un
sentier timide qui hésite à pénétrer la végétation avant d’obliquer
furieusement à travers les arbousiers et les pins. Le profil est loin d’être
plat, c’est aussi cela qui en fait le charme, des montées douces ou plus
raides, des virages, des intersections de sentiers, des virages, un vrai
labyrinthe lorsqu’on découvre l’endroit, pourtant, les repères naturels sont
là, l’océan sur la droite, l’ancienne voie ferrée sur la gauche, tiens, voilà
la ligne électrique, puis, de parcours fait en parcours fait, ce sont les
arbres singuliers qui dessinent des repères au pluriel. Cet arbre tordu,
celui-ci déraciné, ce pin parti sur deux fourches après sûrement un coup de
foudre avec le ciel, tout est unique, mais invisible pour l’œil qui ne voit que
la globalité.
Promenade solitaire, méditation en mouvement, il n’est
nul besoin d’immobilisme pour que germent et explosent les idées, et c’est tant
mieux tant il est bon de marcher, de respirer, de presque communier avec la
nature. Encore quelques pas puis ça sera la descente, oh, pas la descente aux
enfers, non, la descente vers la vieille piste pour se retrouver non pas au
pied du mur mais au pied des dunes. Les dunes ont-elles un pied ou
plusieurs ? En tout cas, elles cheminent et redessinent les paysages au
gré de leur sablier, quelques végétaux essaient de les freiner, quelques
repères humains aussi, et même les solides constructions militaires furent
vaincues par mère nature et certaines sont encore hésitantes dans leur nouvelle
position ou l’horizontale flirte avec la verticale, sorte de chaos de béton. On
le sent, on l’entend battre non pas le pavé mais le sable mouillé de ses
rouleaux d’écume, on le veut, on l’espère, plus que quelques pas, un tas de
sable à gravir mais à vol d’oiseau, c’est presque à portée de main.
L’oiseau ? Il joue encore des alizées, seul au monde, juste intrigué par
cette bestiole sortant du bois, cet humain solitaire qui lui aussi s’amuse à
gravir et descendre les dunes dans ce jour encore frais et désert. L’oiseau,
l’homme, l’océan. Triptyque d’un matin, sourires aux éléments, à la vie.
Il est ainsi des rencontres improbables, des
rendez-vous non provoqués, et ce sont toujours les meilleurs rendez-vous.
Pourquoi ? Parce que sans attente, parce que rien n’est calculé, rien
n’est décidé, rien n’est provoqué, peut-être juste des pas de deux, cherchés,
désirés, entre l’homme et l’océan, entre l’oiseau et les courants, mais la
magie de l’instant fait que chacun
arrive au même moment, comme les différents instruments d’un orchestre jouant
la même note au moment précis, c’est cela la vie. Hasard des lieux, hasard des
êtres, hasard du moment. Essayer de répéter cela, c’est prendre le risque
d’être déçu, parce qu’alors, on sera dans l’attente et que l’attente nourrit le
fantasme, que le fantasme trouble la vue et empêche aux sens de percevoir la
totalité de la gamme en les restreignant à se focaliser sur l’objet de nos
attentes. Attente c’est désirer et le désir rend sourd. Est-on assez riche pour
se priver de nos sens en formatant sa vie, en calculant tout, en oubliant de
voir, de sentir et de ressentir ? La magie du moment est belle parce
qu’unique, parce que non attendue, elle provoque la surprise, et éveille en
cela nos joies d’enfants enfouies à coup d’éducation pour devenir un adulte.
C’est bien d’être adulte, à condition de ne pas avoir tué l’enfant qui est en
nous, le premier, celui sans qui nous ne serions. Ce n’est pas une substitution
de vie, ni une vie de substitution, c’est un cumul de vies qui forme notre vie,
de la première gorgée d’air à la respiration de cet instant, du liquide
amniotique bougeant dans le ventre de la mère, à l’océan qui gonfle et dégonfle
à coup de rouleaux dans cette mère nature. L’oiseau c’est le lien vers le ciel,
apprendre à lever les yeux. L’air frais du matin, c’est la respiration et la
prise de conscience que nous respirons. Tout est là, ici et maintenant, pour
que s’exprime nos sens et notre vie, ne gâchons pas cet instant, vivons-le,
pleinement.
1 commentaire:
Attendre, espérer ne sont pas que mauvais. Sans attentes, on apprécie plus rien. Sans espoir, on avance pas. Tout est question de bon sens, encore une fois. Si une cause t'empêche d'apprécier tous les petits bonheurs simples du quotidien, c'est que celle-ci n'est pas bonne pour toi. Savoir se connaître pour reconnaître ce qui est bon pour nous (sans être enseveli sous des tas de gravas qui empêchent de voir et de respirer) est bien le plus joli moyen d'apprécier sa vie...
Non?
Natacha
Enregistrer un commentaire