Codes et supports


Ecrire, raconter, dessiner, témoigner, de tout temps les traditions orales ont été complétées de traditions moins fugaces, du moins dès que l’être humain s’est mis en demeure de partager un même code, une même codification, par la forme, par le schéma, avant que le dessin ne s’en viennent à dessein se transformer en lettre, que les lettres ne trouvent un support adéquat pour voyager et devenir lettres, avant même que nous ne soyons tous timbrés, mais c’est là un autre sujet. Il y a donc deux étapes importantes, le choix d’un code à partager, mais aussi celui du support.

Le code. On nomme improprement « alphabet » bien des séries de codes, à commencer par les caractères cunéiformes des sumériens. Non, ne partez pas, je ne vais pas rentrer dans un exposé historique, juste dire en quelques mots qu’avant même que nous ne sachions écrire, d’autres générations avant nous l’ont fait, même si cela se fit sous d’autres formes, dans une codification qui s’est perdue dans le temps et dont il a fallu des déclics dans quelques cerveaux proches de nous, non, ne regardez pas autour de vous, je veux dire proche dans le temps, bref, quelques déclics et quelques transposition comme le fit Champollion et sa pierre de rosette, loin de s’en payer une tranche de saucisson. Bien avant, l’homme des cavernes, je ne me souviens pas de son prénom, Neandertal ou bien magdalénien, dessinait sur les parois de sa pièce à vivre, peut-être même salle de classe, voire même hall de gare d’avant le train, ce qui n’est peut-être qu’ancêtre du tag, graffitis ou belle histoire à dormir debout pourvu qu’on ne tienne debout sous la voute de pierre. Incas, mayas, égyptiens, dessinèrent, gravèrent, oh, rien de grave, juste quelques récits, quelques épopées, quelques résumés de leurs vies d’alors, qui au fil des temps se vidèrent de sens parce qu’on avait changé le sens des mots, des messages, des idéogrammes, des pictogrammes, une sorte d’Europe avant l’Europe, voire même un rejet par la jeunesse des traditions anciennes et des anciennes traditions. Lorsque le commerce se développa, les grecs, habiles marins, les romains, habiles guerriers se mirent à voyager, à envahir à imposer leur mode de communication, une sorte d’Europe avant l’Europe, et de normes en normes, la tradition scripturale et picturale se codifia, permettant à presque tous de comprendre de quoi il en retournait, même l’hébreu devint plus clair par la simple traduction et retranscription de clercs en grec, ancien, il va de soi, il faut dire aussi que le grec moderne peut faire peur et risque fort la dévaluation. 
      
Le support. Ecrire, c’est bien, si c’est pour se lamenter, un bout de papier, un bout de chiffon, accrocher aux rubans offerts aux vents orientaux ou bien encore glissé dans les interstices des pierres d’un mur devenu celui des lamentations, ça peut suffire. Si c’est pour raconter combien il a fait beau et combien les blés ont poussé sous ce ciel pas encore antique, un peu de couleur, un mur propre et voilà en quelques hiéroglyphes un message pour se souvenir. Pratique, c’est vrai que la grande bibliothèque nationale n’existait pas encore, alors de là à faire un bouquin pour rien, pas la peine. Il y eu le papyrus, jusqu’en l’an….très ancien d’avant JC, la grande crise, les mites, le taux d’humidité de l’air de la grande bibliothèque d’Alexandrie mal climatisée pour l’époque, il y eu le papier journal, enfin non, ça c’est bien après, d’ailleurs en même temps que le journal, il y eu la cire, mais la grande coupure d’électricité à transformer les tablettes écrites en bougies d’éclairage quand cela ne fut pas en cire dépilatoire, triste cire, il y eu les tablettes, celles-là même que Moïse descendit du box office avec les dix commandements avant qu’elles ne se brisent et que poussière, elles retournèrent en poussière, il y eu aussi des essais métalliques, de marbre ou de granit, de bois ou de sable, bref, tout y est passé, sitôt créé, sitôt obsolète, c’était comme ça avant. Et oui, ils avaient déjà inventé le progrès… Riez, c’est ce même progrès qui nous a apporté l’informatique, les sauvegardes sur disquettes de huit pouces, quatre vingt milles caractères, mais c’est énorme, puis la taille a réduit, mode régime oblige, cinq pouces un quart pour quatre cent kilo d’octets, avant de faire un bon à mille deux cent kilo octets, voilà qui décoiffe, non ? Quoi, encore le progrès ? Une disquette de trois pouces et demi (oui je sais, les anglais aiment bien les demis, mais nous aussi…) quatre cent kilos, set cent vingt kilos et mille quatre cent kilos, quasi un méga quarante quatre octets. Dur dur de faire mieux ? Non, voilà que les disques souples deviennent durs, que les méga deviennent giga puis tera, et même la taille baisse encore sous forme de mini carte ou de clé usb.

C’est bien beau tout cela, mais si vous avez des informations sur une disquette de cinq pouces un quart, comment que vous faites pour les lire ? Avec quel transcodeur ? Tout pareil qu’il y à dix mille an l’homme, sans avoir le code et le moyenne de lire le support, il fait chou blanc, alors, le progrès c’est bien, mais les passerelles c’est aussi important, c’est même la clé de notre évolution, on ne peut faire un pas que si l’on a fait le précédent, au risque de se casser la gueule. Ecrire, témoigner, dessiner, raconter, soit, encore faut-il être capable de le lire, aujourd’hui comme demain, sans quoi, la tradition non orale ne pourrait être support aux leçons du passé.    

Aucun commentaire: