Les sentiments sont toujours difficiles à exprimer,
plus encore lorsqu’on est handicapé de l’expression. Combien de non sens ?
Combien de non dits ? Combien de choses belles et bonnes qui ne sont pas
vues, pour qu’une seule moins bien soit vue et se retrouve ainsi sur le devant
de la scène ? Pourquoi s’attarde-t-on sur les conséquences quand ce sont
les causes qu’il faut analyser, comprendre et traiter ? Lorsque la forêt
brûle, les pompiers arrosent le sol tout autant que les arbres, ils traitent à
la fois le départ et l’arrivée des flammes, lis soignent à la fois la
conséquence et la cause, non ? Il n’est pas toujours aisé de communiquer,
ni facile d’exprimer ce qu’on ressent. Pudeur ? Absence de mot ? Trop
plein de maux ? La nature humaine est bien complexe et selon son parcours
elle se complexifie encore plus pour devenir complexe et complexée. L’inné et
l’acquis, voilà qui me ramènent quelques années en arrière, sur des bancs
d’écoles, vestiges d’anciennes écoles, mobiliers hors du temps et hors d’époque
sur lequel malaisés nous prenions place pour assister à des cours pas toujours
aisés à comprendre, il faut parfois du temps et le temps de l’expérience pour
que la vie soit une école profitable. Parfois même, cette école de la vie se
révèle violente, poussant les leçons en sorte de travaux forcés dont on ne sort
pas tout à fait indemne, un peu défait, un peu usé, beaucoup marqué au fer
rouge de la vie. Les cicatrices sont longues à disparaitre, peut-être même que
si elles s’effacent de l’épiderme, elles continuent de ronger et de marquer les
chairs, un peu comme un crabe poursuivant ses galeries dans le terrain meuble,
un peu comme des crampes et des douleurs qui vous empêchent de vous asseoir, de
rire tout à fait à la vie, de croire que demain sera tout à fait plus beau
qu’aujourd’hui, de se lâcher pleinement, de profiter du temps qu’on a devant
nous, parce que la chaine qui retient la cheville au mur est pire qu’un boulet
qui même lourd apporterait toujours plus de mobilité. Oui, c’est cela en
quelque sorte, un mal raciné au corps, une étrave chevillée au corps. Rien
n’est jamais comme avant, pourtant, certains après sont plus féroces que les
plus costauds des avants.
Pour combattre cela, il n’est pas d’autres traitements
que le temps. La mort est toujours envisagée dans les moments bas comme une
solution d’avenir, c’est si beau la mort, et puis, qu’en sait-on ?
Peut-être qu’au fond, si personne n’en est revenue, c’est parce que c’est
tellement mieux qu’ici. Peut-être. Une expérience comme un autre, tentée,
échouée, digérée, qui reviendra lorsqu’elle décidera de revenir, on ne vit pas
deux fois avec la même femme, mais celle-ci gagne toujours à la fin, un coup de
faux, un coup fatal, ce n’est pas faux. Pour combattre cela, il y a le temps,
il y a la vie, ses leçons, ses devoirs, ses coups, ses rappels, ses appels, sa
force. Pour combattre cela, il y a le recul, il y a différentes phases, comme
la colère, comme les cris, comme le rejet, comme le mutisme, comme c’est envie
folle de tout envoyer paitre. Pour combattre cela, il y a du coup beaucoup
d’incompréhension, parce que ces attitudes, ces explosions d’émotions, ne sont
jamais perçues comme des appels au secours qui en sont la cause, mais comme un
acte violent, un rejet, juste vision de la conséquence. En communication, si le
message disparait dans la transmission, c’est bel et bien la transmission qui
défaille. Soit. Alors, oui, il y a des colères, des cris, des rejets, des
coupures, des parjures, et oui tout cela est très mauvais puisque ce sont les
seules choses qui restent aux souvenirs. Mais quelle en était la cause ?
Oubliée ! Le temps efface les choses dans l’ordre dont elles vous ont
marquées, on se souvient toujours des émotions les plus vives, rarement des
choses les plus ternes, les plus en arrière-plan. C’est aussi pour cela qu’on
ne rejoue pas les événements de sa vie, parce qu’il faudrait les replacer dans
un contexte et ce contexte dans un ordre et cet ordre dans le temps, dans son
temps, et ce fameux temps d’avant le temps, nous ne sommes plus en mesure, ni
vous, ni moi, de s’y replacer, parce qu’entre temps, nous avons vécu, grandit,
changé, nous avons poursuivi notre évolution, quelle que soit sa direction, et
que nous ne pouvons plus rentrer dans ce temps là, tout comme on ne peut plus
rentrer dans nos habits d’enfant, soyons sympa, on va dire d’enfant et pas de
nos vingt ans, sourire….
Pour combattre cela, parfois aussi on se dédouble,
voire même on se triple, on se quadruple. Il n’est nullement question de
schizophrénie là-dedans, non, plutôt l’image des poupées russes, chacune
recouvrant la précédente, chaque corps protégeant le précédent, un peu comme un
chevalier portant côte de maille et armure, sauf qu’à ainsi trop se protéger,
on réduit ses mouvements et pire, les reflets du soleil sur la cuirasse trop
polie empêche de voir le regard qui brille derrière l’heaume d’acier. Quelques
rares personnes trouvent encore le temps de ne point s’aveugler aux reflets
cinglants et de vouloir découvrir et apprendre ce qui bout réellement à
l’intérieur. C’est cela qui permet de réaliser combien on est malhabile dans
son costume d’acier, combien la chair est faible et l’armure trop épaisse pour
ne pas être user de la porter. Pourtant, le métal du mental reste dur à
travailler, les souvenirs cuisants restent d’un acier plus tranchant que
l’épée, l’insouciance de la jeunesse qui vit David terrasser Goliath, ou bien
encore Thésée tuer le Minotaure, a durci avec l’âge, selon le vieil adage qui
veut que l’âge, c’est quand les raideurs se déplacent… Il y a le plus et le
moins, deux pôles, deux états qui lorsqu’ils s’entrechoquent dans une
fulgurante évolution, une danse bipolaire, provoque la fission de l’atome et
atomise tout sur son passage. Soufflés, irradiés, rien n’est jamais pareil le
jour d’après.
Il est des matins aux réveils bondissant d’énergies, de
ces journées à tout casser, à avoir envie d’embrasser le monde, de jouir d’un
rayon de soleil, de sentir le sable couler entre ses doigts, de contempler
comme si c’était la première fois ce vaste océan, ces montagnes chargées de
neige, le vol d’un oiseau, le soleil qui décline… Il est des matins où sortir
sa carcasse de la torpeur, l’arracher aux brumes étranges des rêves dictés par
un inconscient pas si inconscient que cela devient difficile, de ces matins où
rien ne va, un verre qui se brise, le café qui ne coule pas, un bouchon sur la
route, des pas et des faux pas. Pourtant, de tous ces matins, il est une même
chose, une même nature, on se lève, bien ou pas, on respire, le soleil luit ou
bientôt luira, peut-être sera-t-il caché par les nuages, peut-être sera-t-il
brûlant dès l’aube, et peut-être même qu’il pleuvra, mais l’important, par delà
tout chose, c’est de le voir, de le sentir, de le ressentir. C’est d’être
vivant, et même si la vie a glissé quelques épreuves plus ou moins lourdes dans
notre cartable d’éternel écolier, c’est juste parce que nous le méritons, parce
que ces épreuves sont autant de pièges à déjouer, à comprendre, à analyser pour
les vaincre et en sortir grandi. Quel est l’intérêt de râler, de vouloir tout
parfait, de critiquer le volume, de compter les flèches qui nous atteignent,
c’est autant de temps perdu, d’énergies perdues qui nous seront bien plus
utiles pour sourire à l’adversité, pour poser sa respiration, se caler soi bien
en appui sur ses pieds et affronter la vie de la plus belle façon qu’il soit.
Les sentiments sont toujours difficiles à exprimer,
plus encore lorsqu’on est handicapé de l’expression, c’est vrai, mais la
réponse est dans l’affirmation. L’expression est dans l’expression, apprendre,
comprendre, être, ne pas chercher à être, mais être. Qu’importe les réactions,
on ne dit pas les choses pour plaire, à part d’être un acteur, un bonimenteur,
un dentiste, quoique là…. Il n’y a de vérité que dans la vérité, elle blesse parfois,
jamais elle ne tue. Elle fait mal quelque fois, mais elle est une richesse pour
celui qui souhaite évoluer. Il est des leçons qui laissent des goûts amers,
jusqu’à ce qu’on en mesure le sens, le but, le travail à effectuer, jusqu’à ce
qu’on se l’approprie, que l’on cesse de voir la paille dans l’œil du voisin
pour s’occuper d’ôter la poutre du sien. Rien n’est jamais facile, ni jamais
simple, ou peut-être bien que si, juste qu’on ne regard pas toujours où il
faut, qu’on ne remonte pas toujours aux sources, préférant s’attarder sur les
résultats. Si les premières donnent la vie, ces derniers n’en sont que la mort.
Je choisis la vie.
2 commentaires:
Il y a des souvenirs toujours cuisants mais qui ne brûlent plus. Il y a des situations, des images, des mots, qui reviennent parfois et qui font ressurgir les malaises et terreurs d'autrefois. Mais il est surtout beaucoup de travail, de connaissance de soi et de temps c'est vrai pour arriver à ne plus se laisser envahir par le noir de ces instants.
Même si c'est toujours difficile de regarder ce que nous sommes, c'est capital pour avancer.
Le temps n'étant jamais que ce que l'on en fait, je fais de ce temps mon apprentissage, aussi pénible que cela puisse être par moment.
Merci didier...
Natacha
c'est toi que tu dois remercier, car c'est toi qui fait ton chemin, et qui te pousse chaque jour à le faire. ainsi va l'évolution...
Enregistrer un commentaire