L’Homme est un végétal comme les autres

Les premières gelées sont venues blanchir les nuits. Les végétaux les plus fragiles ont succombé à cette attaque nocturne et dans une attitude mollassonne meurent et se répandent sur la terre martyrisée par ce froid soudain. Comme beaucoup, les météorologues en premier, je fus surpris par ces basses températures et je n’avais encore opéré l’hivernale transhumance qui consiste à charrier à coup de brouette les plantes en pot de leurs lieux de villégiature à la douce chaleur de la serre. Bien sûr, ce jeu de taquin s’effectue ni trop tôt, ni trop tard, juste à temps, et là, et bien, le temps m’a pris de court… Donc, nous évaluerons les dégâts d’ici peu, et nous allons migrer ce qui reste en état de migrer… Je suis sûr aussi, que dans les prochains jours, le soleil va lancer ses dernières flèches brûlantes, comme il arrive souvent ces dernières années, histoire de faire grimper le mercure à des sommets encore jamais atteints en ces mois-ci, histoire d’exploser les records datant de 1946, d’affoler les présentateurs du journal télévisé ou de la météo, et surtout, de nous mettre flagada, mais aussi, de cramer les plantes rentrées trop tôt dans la serre !

En clair, rien n’est simple ! Donc, ce qui n’est pas gelé peut être encore brûlé ! La glace et le feu, à chacun sa morsure, à nous de suivre cette nature changeante. Humble jardinier, client attitré des jardineries ou jardinent de belles jardinières pour mieux attirer le client cherchant à remplir ses jardinières, nous sommes donc otages du baromètre, ou plutôt du thermomètre, enfin, plutôt du climat farceur. Philosophe je suis et je reste. Certains de mes géraniums ont derrières eux quelques années de potées, des bégonias jouent les prolongations depuis pas mal de temps déjà, alors pensez donc ! Ce ne sont pas quelques frimas qui vont me gâcher l’existence et si certaines de mes plantes s’en sont suicidées, point d’oraison funèbre, direct au compost, le pot sera recyclé dès que le printemps reviendra. En plus, chaque année, la serre semble trop petite ! L’essentiel pour moi est de pouvoir y caser mes citronniers et orangers. Avez-vous déjà senti le parfum de leurs fleurs dans l’aube humide ? Il me suffit d’ouvrir la porte de ma serre en hiver pour m’enivrer de ces effluves sucrés, réminiscences de mon enfance, odeurs de pâtisseries ou encore de l’eau parfumée avant d’aller au lit. Ma madeleine de Proust à moi. Le plus désolant dans cette attaque givrante, c’est de voir d’un seul coup les feuilles au sol, les plantes flétries, l’aspect soudain et désolant de ce qui était encore hier une luxuriante et verdoyante végétation. Bientôt ce ramassis de feuilles humides et définitivement mortes collera au sol et aux semelles. Dessous, l’herbe étouffée jaunira si le râteau n’intervient pas. Ramasser, vider, telles seront les prochaines opérations nécessaires à la survie des espèces et à un aspect un peu plus présentable. Cela me rappelle d’autres souvenirs olfactifs et visuels : Les volutes lourdes des fumées encore humides et l’odeur acre dégagées par la combustion des feuilles mortes.


Décidément, notre mémoire est bien plus peuplée que l’on ne croit. Des souvenirs, des émotions, des sons, des odeurs, des saveurs, tout cela stocké à notre insu dans nos cellules grises, prêt à bondir au moindre titillement, laissant remonter des pensées embuées, des choses lointaines qu’on pensait oubliées à jamais. L’écriture exerce la même chose. En livrant les mots sur la feuille, les idées arrivent, les souvenirs viennent, l’émotion est certaine. Plaisir d’écrire pour raconter, se raconter, plaisir de se retrouver soi-même, se remémorer ces instants, cette enfance oubliée, étape essentielle de l’être humain qui conditionne toute sa vie future, étape que l’on croit insouciante et ou pourtant tant de chose se forme, se constitue, s’empile, s’emmagasine, tant de chose qu’il faudra savoir digérer, tant de chose que seul l’âge aidera à comprendre et parfois nous fera regretter ces sentiments de rejet autrefois exprimés ou vécus. Le travail de l’âge sur l’Homme est comme celui des saisons sur la nature. Des pousses incontrôlées, des ramifications dans tous les sens, puis vient le temps de la gelée qui sélectionne les branches, renforce le corps et nous rend plus fort. Cette terrible gelée qui parfois nous blanchit le poil, cette terrible gelée qui un matin nous rend enfin adulte. Rien n’empêche de garder son âme d’enfant. Comme l’arbre enserre en son cœur ses premiers cernes, nous possédons toujours notre âme d’enfant. Parfois enfouie, parfois apparente, cache-cache de notre vie, cache-cache de la vie. Finalement, l’Homme est un végétal comme les autres. Je comprends mieux ma communion avec la nature et ce besoin quasi vital d’être entouré de belles plantes.

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