Demeures familiales

La maison, le foyer, le lieu de vie par excellence. Comme j’aime le charme suranné des vieilles demeures de famille, ce mélange subtil d’odeurs divers et variées, cette atmosphère bien établie, cette impression de calme, de sérénité, cette impression d’en avoir vu et d’être prêt en en voir d’autre. La pierre de l’escalier s’est usée sous les pas, les mêmes pas lourds pendant des années, posés au même endroit, usure lente du temps, usure d’usage… La rampe aussi est lustrée par les mains qui tour à tour s’agrippent et glissent dessus. Le temps n’a plus d’emprise sur la bâtisse qui a abrité des générations d’occupants, parfois et même surtout en même temps, vous savez, de ce temps-là ou on avait le temps, ou on avait de la famille, de l’esprit de famille, à défaut d’argent…

Les vieux gardaient les jeunes ou bien l’inverse ou bien même, les deux en même temps… Tradition orale, transmission du savoir des hommes, des savoirs de la maison, recettes, histoires familiales, l’arbre généalogique était autour de la table et dans les discussions des veillées le soir au coin du feu en hiver, ou sur le petit banc, devant la porte les soirées d’été.

J’ai connu des maisons comme cela, une surtout, qui restera gravée dans mon cœur. Maison de famille constituée de maisons mitoyennes réunies en une seule pour loger la tribu. Maison commerciale aussi, boucherie familiale et villageoise, maison anonymement rangée le long de la grande rue. Maison qui a vécu et aujourd’hui semble somnoler, maison qui ne demande qu’à être réveillée autour de son foyer, dans ses pièces de vies, dans ses pièces de nuit. Maison labyrinthe au premier abord, des marches pour rattraper les différents niveaux, des escaliers pour accéder à l’étage, à des pièces encore et encore… Maison de village aussi, avec les avantages et les inconvénients que cela peut comporter, surtout en nos temps d’indiscipline automobiliste, point de vue sur la rue et les villageois, visites fréquentes au café voisin.

Cette maison là, je l’ai connu, dans sa seconde vie. La boucherie transformée en garage, repos bien mérité après des années de métiers, sans relève assurée, sans repreneurs réellement motivés. Passage difficile d’une vie artisane ou l’on voit fermer le commerce de ses parents et le sien… Cette maison, je l’ai découverte en même temps qu’un pays, une région, que je connaissais simplement par sa traversée autoroutière. Cette région, ce pays, je l’ai de suite aimée, et j’en parle toujours comme si j’en étais issu. A défaut d’y être né, j’en suis adopté. Village blotti le long de l’ancienne nationale, coupé des collines par le long serpent autoroutier, village aux teintes usées et monochrome comme le sont les villages de labeur.

Dès la porte passée, la maison vous saute à la gorge, joliment décorée, des pièces hautes, des coins, des endroits ou se poser, pour lire, écouter la musique, parler, se réchauffer devant la cheminée. Là était la place des grands-parents. Oh, pas d’image d’Épinal, point de grand-père fumant la pipe sous une belle bacchante, point de grand-mère tricotant des chaussettes de laines, le chat alanguis sur ses genoux. Non, c’étaient des grands-parents encore un peu vert, toujours solides et dynamiques, sachant accepter et accueillir comme il se doit. Vous savez, ces familles dont a toujours l’impression de les avoir connus depuis toujours.

La grand-mère tricotait, certes, mais cuisinait surtout, et surtout, faisait des affaires et des kilomètres ! Débrouillardise née, sachant âprement négocier, elle avait ses propres réseaux de négoce et savait manier le téléphone comme l’utilitaire… Cordon bleu foncé, elle a régalé des régiments de papilles avec des recettes, des astuces enfermées à jamais dans sa tête… Elle est trop tôt disparue, et je ne l’ai connue que trop peu.

Le grand-père ne fumait pas la pipe, non, pas plus qu’il n’arborait les bacchantes… Il avait rangé le fusil et ne parcourait plus qu’à pied les garrigues odorantes pour cueillir en leur sein, l’asperge gourmande, le thym odorant, ou le simple plaisir de la marche… Ah, quel beau pays ! Géographe local, il m’apprit les toponymes évocateurs que l’IGN refuse d’ajouter à ses cartes, et qui font que vous pouvez toujours demander votre chemin dans le pays… Cette montagne, ces garrigues, ces odeurs de sauvagine… Bouliste assermenté, non pas de ces boulistes aux pieds serrés et aux boules légères, non je parle là de vrais joueurs de boules, il allait régulièrement taquiner le but dans les villes voisines… Ancien boucher, maîtrisant les pâtés, glacé et autres boudins blanc fort succulents, il défend avec conviction son pays. Grâce à lui, j’ai appris beaucoup et j’ai surtout appris à aimer, à découvrir ces terres arides. Des histoires de chasses, des premiers lièvres en perdrix, tout est passé par ma mémoire, attachant une vigne, un rocher à un exploit ainsi daté…

Aujourd’hui, les liens sont modifiés mais toujours tressés. La porte est toujours ouverte, et j’aime toujours ce pays et ces gens. Une famille serrée autour de la demeure familiale, chargée de souvenirs de petits et de grands… Aujourd’hui, je sais bien des choses grâce à eux, aujourd’hui je pense, comme souvent d’ailleurs à ces morceaux de mon cœur éparpillés par là-bas… Mes visites ne sont plus fréquentes, ma vie n’est plus rythmée des travaux du temps, vendanges, cueillette des olives, entretien des oliviers, ramassages d’asperges sauvages… Mais tout cela est bien ancré à ma mémoire et à mon cœur. Mes pensées voyagent plus que moi, mes pieds imaginent la terre rouge du sentier nouvellement creusé qui mène au sommet… Je sais que j’y retournerai, aller marcher, revoir la silhouette de la maison familière, croiser peut-être des visages familiers…


Souvenirs de lieux et de maisons, émotions de voir encore des demeures familiales dans une époque ou, par le jeu des mobilités, les familles se dispersent, s’éclatent, les biens se vendent faute aussi de moyens et d’entente pour subvenir à leur entretien… Emotions d’autant plus perceptibles quand de notre côté nous n’avons pas cette chance d’être ancrés sur un lieu, un repère familial, cette maison ou résonnent les rires et les pleurs des générations.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour cette jolie dédicace, je parle au nom de la
maison; tu sais que tu y seras toujours le bienvenu.
Les souvenirs resteront ancrés dans l'histoire de ces murs- là...
Merci encore,