« Nous marchions le long de la crête, une portion très
rocheuse où les pieds cherchent leurs appuis du bout des orteils avant de
prendre de l’assurance. Soudain, elle m’appelle : Je glisse, donne-moi la
main. J’ai tendu la main, trop tard, elle a glissé et chuté »
« Drôle d’histoire » me dit-il, « j’aime pas
la chute ». « C’est vrai, tu as raison, une chute en chute, c’est pas
terrible, c’est même flippant ! »
Drôle d’histoire. Enfin, pas très drôle du tout. Encore, si
on se relève de sa chute, on peut en rire, après avoir retrouvé ses esprits,
mais si on part retrouver les esprits par la chute, là, bien sûr, c’est moins
drôle, pour celui qui reste. La chute reste nécessaire, parce qu’une histoire
sans chute, c’est une histoire qui n’a ni queue ni tête, une sorte d’eunuque
décapité, mais la chute grave, ça jette un froid, et puis, ça se vend moins
bien. L’inconscient collectif bercé d’illusion depuis la plus tendre enfance
des « il était une fois » se terminant en « ils vécurent heureux
et eurent beaucoup d’enfant » souffre de cette schizophrénie qui ne veut
lire et apprendre que de belles et bonnes choses. Pourtant, combien de couples
vivent heureux et ont beaucoup d’enfants ? Je parle dans le même couple,
pas dans les à côté d’un couple vivant en tirailleur sénégalais ou autre
snipper des cinq à sept autrefois sordides et aujourd’hui presque plébiscité
comme une marque de savoir vivre. C’est de la chute qu’on apprend, c’est par la
chute qu’on découvre notre vulnérabilité, c’est par la chute qu’on grandit,
dans l’art de se relever. C’est con, mais c’est ainsi.
Reprenons : « Nous marchions le long de la crête,
une portion très rocheuse où les pieds cherchent leurs appuis du bout des
orteils avant de prendre de l’assurance. Soudain, elle m’appelle : Je
glisse, donne-moi la main. J’ai tendu la main, elle l’a serrée, et nous avons
regagné le sommet.»
« Drôle d’histoire » me dit-il, « il ne se
passe rien.». « C’est vrai, tu as raison, juste une marche pour atteindre
le sommet. C’est pas terrible, c’est même banal ! »
Drôle d’histoire. Enfin, pas drôle du tout. Encore s’il
était arrivé quelque chose, un vautour, une chaussure qui se déchire, l’oubli
de l’appareil photo, la perte des clés de la voiture…. Non, rien de rien. Vide,
banal. La chute banale ne relève pas le plat du récit. Presqu’une histoire sans
chute, c’est une histoire qui n’a ni queue ni tête, une sorte d’eunuque
décapité, mais la chute banale, c’est banal et puis, ça se vend moins bien.
Parce que le lecteur, lui, il veut du spectaculaire, il est abreuvé des
princesses qui dorment cent ans, des pommes empoisonnées, des loups bouffeurs
de grand-mères, mais là, quoi, que se passe-t-il ? RIEN ! Ils sont
allés se promener… Et alors ? Alors, rien.
Si encore, là-haut, au sommet, il lui avait demandé de
l’épouser, si là haut, ils s’étaient jetés dans le vide en déployant leurs
toiles de tentes en en guise de parachute à faire pâlir un James Bond qui serait
en balade privé dans le secteur, oui, bon, ok, on aurait presque pu applaudir,
mais non, rien de tout ça. Cela dit, il
y avait du vent là-haut, je crois bien qu’ils sont redescendus manger à l’abri,
mais bon, rien de bien palpitant quoi.
Comme quoi, la chute, ça joue beaucoup, hein ? Alors,
la prochaine fois que vous tombez, ne tombez pas de haut, rangez votre amour
propre et apprenez à vous relever, savourez cette victoire sur vous-même et
soyez fiers de cela. Si bien sûr vous pouvez vivre heureux et longtemps, même
sans avoir beaucoup d’enfants, ben là, la chute, elle serait chouette, et une
chouette chute c’est mieux qu’une chouette, chut !
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