Quelques pas


Quelques pas de plus, quelques pas en dehors du sentier, quelques pas dans l’épais maquis qui bientôt dévoile des sentes animales et des parfums exquis, quelques pas encore et c’est le bord de la falaise, ce bloc de roches grises taillées à la hache qui surplombent l’étroit défilé, et tandis que le corps lutte contre les vents violents, ce sont les yeux qui n’en peuvent plus de s’abreuver de paysages. Encore un jour, encore une course, encore un petit groupe à qui faire découvrir les beautés et les trésors de ce tas de cailloux, encore une fois mais pas la dernière fois, d’ici il ne se lassait pas. Chaque saison avait son secret, son accord dominant, et si aujourd’hui le thym l’emportait, ce n’est que par abandon en pur repos végétatif des autres hôtes de ces lieux. Un véritable terrain de jeux, peu fréquenté, dont il avait appris les passages, les ficelles et les codes, avant d’en réciter l’alphabet de la botanique locale dans les deux langues officielles du pays, le français bien sûr, le patois local bien plus figuratif, et au diable le trop savant latin sauf en quelques plantes dont la désignation érudite l’avait marqué.  La beauté des virées ici, c’est qu’elles n’avaient pas de hauts sommets à vaincre mais pesaient tout autant quand même dans les mollets. Leurs richesses, c’étaient de traverser mille paysages en l’espace de quelques kilomètres. Leurs plus, c’étaient de réjouir aussi bien l’odorat que la vue, de se sentir explorateur plutôt qu’un énième randonneur sur les traces usées d’un sentier bien trop marqué. Sans compter que chaque pas apportait un nouveau regard sur tel ou tel village, sur telle ou telle plante, sur ce vieux château, cet ancien prieuré, cette bergerie en ruine, un pays de frontières entre templiers et évêchés, une terre d’histoire qui s’endort sous le soleil et les parfums.

Quelle que soit l’occasion, seul ou accompagné, à deux ou à plusieurs, c’était toujours un plaisir, un bonheur de venir ici. Un lien invisible et secret entre garrigues et sang, entre parfums et pensées, une sorte de remise en forme, sportive sans en avoir l’air, secrète mais nécessaire. Le temps avait beau passé, les sentiers avaient beau changer de place, c’était toujours le même attrait et le jeu, le défi suprême, reconnaitre l’éperon rocheux, le pin un peu plus courbé qui donnait la direction pour le passage secret, bien loin des sentiers de grandes promenades. Quelle joie de se poser là, de sortir son repas du sac et de gouter mille saveurs en même temps, par tous les sens qu’il nous a été donné. Venir à l’aube, voir le soleil se coucher, sous la pluie légère qui exhale les parfums, sous le soleil de plomb qui brûle les essences, chaque fois une nouvelle fois. C’est l’art de jouir de ces sens dans tous les sens, certains endroits vous attirent peut-être plus que d’autres, peut-être par votre vécu, peut-être parce que tout simplement les connexions s’opèrent mieux, la communion avec les éléments, avec la nature, le besoin impétueux d’y recharger ses sensations, ses énergies, ces endroits qui sont vos endroits parce que tout simplement vous êtes bien ici. Lui, c’était là, entre maquis, garrigues, barres rocheuses et pinèdes, vignes et petites routes, de ces coins qu’on qualifie d’arides et de déserts avant d’avoir osé y poser le pied. Des trésors aux portes de la ville, c’est ainsi, peu les connaissent, peu les fréquente, mais quel bonheur il avait d’y venir marcher, encore plus de le partager…

Une pause sous le grand arbre, antenne à cigales pour se laisser bercer des crissements d’acier, le soleil s’amuse à chauffer plus fort pour que les belles augmentent le rythme, une buse décrit de larges cercles au-dessus d’une vieille vigne, les joies simples de la faune et de la flore, de la vie tout simplement. Allez, un peu de courage, la course n’est pas finie, il faut reprendre la marche, rechausser le sac et filer entre les cairns balisant l’ancien tracé. Un gros lézard vert à la gorge turquoise file se cacher sous les pierres, regrettant de laisser sa pierre chaude mais fuyant le danger de l’homme. Triste conséquence d’un homme prédateur ou simplement tueur, par jeu et par ennui, par peur et par connerie, au final, l’animal fuit pour se protéger, et l’homme qui marche perd une occasion de voir ce délicat spectacle de cet animal hautement coloré et devenu si rare… Il faut savoir approcher en silence, se servir du zoom et de son appareil pour bien le photographier et le voir mieux par la suite… Un peu de patience et de discrétion que diable ! Marcher hors du temps, comme il avait appris à le faire… Prendre le temps dans le temps, c’est s’offrir du bon temps, tout simplement….

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