Le ciel était gris mais non lourd, d’ailleurs ici, il ne
l’est jamais vraiment ; Parfois il porte les colères des montagnes,
parfois il est bas chargé d’océan, mais jamais il n’est de ces ciels lourds qui
vous oppressent, parce qu’ici, il n’est pas seul, il se doit de composer avec
les flots, avec le sable, avec les pins, parce qu’ici il n’est pas le maitre
absolu mais un acteur parmi les autres. Le sable était humide, plus sombre qu’à
l’accoutumée, couleurs d’hiver sans doute, alors que tout le pays grelotte et
glisse. Point de neige, le seul blanc venait de l’écume et des rides que le
vent s’amusaient à iriser sur les flots, un semblant de neige histoire de
coller à l’actualité. Il marchait le long de la plage, entre vagues et dunes,
sans but précis, si ce n’est de marcher, de respirer, de se détendre, de
laisser voler ses idées aux vents du large telles des cerfs-volants malhabiles,
courses désordonnées, les idées se faufilent, se dépassent, trépassent, veulent
jaillir puis retombent dans les profondeurs de l’oubli. L’oubli, comme ça
serait bien, comme ça serait facile, mais non, le cerveau n’oublie rien, sinon
des choses utiles pour nous, des trucs à se souvenir, mais ils gardent
profondément des souvenirs qui s’en cesse s’en viennent gicler parmi les pensées.
Comme il aimait ses moments de solitude, une vraie solitude, voulue, cherchée,
obtenue, pas de ces solitudes qu’on vit parfois à deux, parfois même à
plusieurs, ces moments perturbants qui arrivent lorsqu’on se sent de trop,
lorsqu’on ne partage plus rien avec ceux qui vous entoure, lorsque le monde
semble tourner dans un sens différent du votre, un peu comme si on est descendu
du manège. Une autre vie. Non pas une vie sans relief, les vies ont toujours
des reliefs, simplement il arrive parfois que la vie que l’on vit ne nous
convient pas, non, une autre vie, un autre relief dont il n’avait pas compris
le sens, au final, une vie sans essence, de quoi s’étioler et se vider de son
sens, une vie à oublier, mais on n’oublie jamais tout à fait.
Le grand orchestre des éléments jouait sa symphonie, au
rythme du flux et du reflux répondait le vent et voilà que les oiseaux s’en
venaient à gouailler leurs chants amers et perçants, des cris qui ne forment
plus qu’un cri pour repousser ce grain de temps qui attriste et affame, un cri
de faim. Combien de pas ? Combien de plages ? Combien de dunes ?
Combien…. Décompte des comptes, lorsque les pensées se perdent, elles
focalisent sur un je ne sais quoi pour s’accrocher, se reposer, reprendre des
forces et repartir à l’attaque d’autres vies, d’autres mondes, d’autres temps,
d’autres plages de temps. Qu’il est bon de marcher sans chronomètre, sans but,
sans raison, juste profiter de l’endroit et du temps, profiter d’être vivant et
de vivre l’endroit en ce temps précis, quel que soit le temps qu’il fasse. Il
n’y avait rien autour, les montagnes avaient disparu, la ville s’estompait
promptement, personne sur le sable, même les bateaux semblaient avoir oublié de
quitter le port. Seul au monde, seul aux mondes, celui de la terre, celui des
rêves, celui des réalités. Un pas après l’autre, juste cela…. Ah ! Si les
pensées pouvaient en faire de même…. Mais non, elles cognent dans la tête,
elles vibrent, elles secouent, elles consomment les énergies et les pas se font
sans s’en rendre compte, heureusement que ce n’est pas le désert : bientôt
la vieille chapelle indique plus surement qu’un panneau indicateur où les pas
l’ont conduit. Une courte pause, assis sur un de ces troncs que les flots de
l’hiver ont déposé ici, bois blanchi et vieilli par les secousses, les
roulements, avant d’être rejeté sur le sable ocre. Des bouts de filets, des
bouts de cordes, des os de seiche, des bouts de bois, loin de la plage bien
propre et bien ratissée de l’été, c’était là pourtant la vraie nature, la plage
qu’il aimait. Sans fard, sans fioriture, juste ce doux mélange de force et de
violence qui venait ici briser ses ardeurs. La nature, comme l’être humain
s’apprécie pleinement lorsqu’on la cueille à vif, sans maquillage, sans triche,
brut de forme, être soi tel qu’on est, peut-être un jour les hommes
comprendront cela et oublieront la pudeur qui les travestit, le paraitre pour
l’être. Vivre tel qu’on est, pleurer sans permission, parce qu’un enfant rit,
parce que le héros retrouve le chemin, parce qu’un être cher s’est enfui vers
le royaume des lumières, pleurer, parce qu’on en a envie.
En se forgeant des grands principes, l’Homme a oublié qu’il
n’était qu’un Homme, dans toute son humanité, avec la grande richesse de ses
sentiments, qu’elles qu’en soient leurs expressions. Il ne porte pas un masque,
et si la pudeur l’empêche de parler, c’est aussi parce que peu de gens autour
savent écouter. L’océan, lui, le sait…
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