Cela faisait longtemps qu’il marchait, les pas de plus en
plus pesant, la neige épaisse qui couvre les sommets est un poids de plus en
plus lourds à décrocher des raquettes à chacune de ses enjambées. Le ciel était
bleu, de ces bleus purs qui n’existent qu’en montagne, dans ces endroits encore
si purs, tellement isolé des pollutions, même si ces dernières gagnent hélas du
terrain. « Au moins la neige cache les traces des êtres soi-disant
civilisés, oubliant de ci, de là, papier, capsules, déchets et autres conserves »
pensait-il en regardant le ressaut au-dessus, repère farceur qui semblait
s’éloigner au lieu de se rapprocher. Le silence, le blanc cotonneux couvrant
tout relief, le ciel bleu profond, le soleil éclatant, comment ne pas être aux
anges devant une telle vision ? Il s’arrêta et s’amusa à regarder sa
trace, deux gorges profondes entourées de petites marques régulièrement
espacées, une montée en zigzag, parfois un drôle de cercle, sûrement l’endroit
d’une prise de photo, d’une gorgée d’eau ou bien de quelques nourritures, les
seules marques à défigurer le paysage aujourd’hui. Plus bas, la vallée peinait
à se réveiller sous une ligne de nuage bas, quelques toitures renvoyaient des
éclairs de lumières, pratiquement toutes les maisons avaient un panache de
fumée bleu, une maison, un foyer, un feu comme on disait autrefois.
Il reprit sa course, lentement, tâtant à chaque nouveau pas
d’un relief entièrement caché, sol dur, rocher, bruyères ou bien rhododendrons,
parfois piégeur pour la raquette. Le profil s’adoucissait, le gros rocher sur
la gauche lui était familier, il connaissait bien ce repli de terrain, cette
montée plus abrupte contournant le bloc pour arriver à un bout de prairie, ses
parcages, sa cabane et au-dessus, le sommet. Là serait la pause, cette vieille
cabane de pierre au toit en ardoise, la porte à peine fermée d’un crochet pour
éviter que des bêtes ne viennent en salir l’intérieur, sur le côté, la réserve
de bois, où les bergers et les randonneurs habitués du secteur se relayaient
pour en assurer le chargement. Cela faisait déjà un petit moment que les
troupeaux avaient pris leurs quartiers d’hiver dans la plaine, mais comme le
secteur n’était pas trop touristique, il savait qu’il y trouverait le refuge,
le bois pour le feu, la tranquillité, de bonnes conditions pour y passer une de
ces nuits hors du temps. Le soleil éclairait encore l’enclos et la cabane,
c’était un bonheur de jouir de ce spectacle. Il déverrouilla la porte, posa son
sac sur la grande table, puis se dépêcha d’ouvrir les deux fenêtres et leurs
lourds volets, inondant de lumière et d’air frais l’espace clos depuis le
départ des bergers. Tout était propre et bien rangé, nul doute, personne
n’avait du venir y séjourner. Un peu de bois sec et déjà le feu crépitait,
parfumant et chauffant la pièce. Il tira le repas du sac et profita des
derniers rayons du soleil pour manger sur le bloc de pierre servant de banc
dehors. C’est bien ce genre de moment unique qui vous régénère au plus haut
point. Tout petit face à l’immensité des paysages, seul, isolé, coupé d’un
monde qui n’est qu’agitations, un temps hors du temps pour vivre, lire,
méditer, une échappée belle, dans la beauté de la nature, que rêver de
mieux ? Le soleil s’inclinait dangereusement, ses
rayons se détachaient un à un de la cabane, glissant inexorablement sur la
prairie enneigée avant de disparaitre complètement, laissant place au froid et
à la nuit, le temps de rentrer était venu, non s’en avoir avancé quelques
buches pour la soirée. Les volets clos, la porte refermée, une bougie pour tout
éclairage, le feu comme chauffage, qu’il fera bon dans l’épais duvet tout à
l’heure, mais pour l’heure, place à la lecture, place à l’écriture sur ce vieux
cahier, compagnon de sac, place aux pensées, qui ne vous quittent vraiment jamais.
Ces cabanes de montagne sont des refuges utiles, elles
hébergent tour à tour, les bergers venant faire leurs métiers, les randonneurs
venant y reprendre vigueur, les rêveurs venant y cueillir les songes, les
promeneurs venant y étendre leurs pensées, les penseurs venant y reprendre
force… Elle égayent le paysage dans les longues montées, elles sont des repères
dans les brumes de nuages volant trop bas, elles vous offrent le gite, et la
chaleur, l’abri et le réconfort dans le mauvais temps ou la mauvaise estimation
de la course. Lorsque vous marcherez dans nos montagnes ou ailleurs, n’hésitez
pas à les saluer, préservez les en les tenant fermées, et sachez les entretenir
et les respecter. Un jour, vous serez heureux d’en bénéficier. Pour l’heure,
refermons la porte et laissons-le dormir…
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