Les jours avaient passé, tout lui semblait être allé vite,
si vite en si peu de temps. Il y eut d’abord cette période d’approche de la fin
d’année, cette frénésie qui s’empare des gens, cette boulimie d’achat qui fait
tout oublier, rituel de chaque année, devenant pesant un peu plus chaque année
mais cette année, le poids de l’existence vînt d’ailleurs, une nouvelle
hospitalisation, une de plus, sans trop d’appréhension, l’inhibition venant de
ces journées répétés, entrées, sorties, moins bien, mieux, fatigues,
radiothérapies, chimiothérapies… Les fêtes ne sont pas fêtes pour tout le
monde. Une période de congés, des travaux, des visites, un rituel téléphonique
chaque soir, le dialogue de la journée, se tenir au courant, l’un de l’autre,
partager, échanger, vivre à distance. Au fil des jours, les dates clés passent,
des espoirs de sorties pour des moments familiaux, des dégradations, des
prolongations… Dix huit jours entrecoupés de hauts, de bas, de très hauts, de
très bas et puis fin.
Lorsque le mot fin s’écrit ainsi sur la page de sa vie, sur
la page de la génération de sa vie, c’est d’abord un coup assourdissant, dont
on reste groggy dans les suites de temps, sans vraiment réaliser ce qu’il
arrive, sans comprendre tout à fait qu’elle ne reviendra pas de ce long voyage
vers la vie. On a beau traverser des étapes administratives, religieuses,
familiales, on a beau lire le nom d’une moitié de sa vie sur la pierre,
l’impression n’est pas encore acquise, les réflexes de prendre le téléphone, de
dire « tiens, ça faut que je lui demande » viennent comme ils sont
venus tout au long de la vie. Il était là, debout, hagard, seul sur cette
grande étendue d’herbe et de gravier où trônait le désormais sinistre monument
de granit que les nombreuses fleurs n’arrivaient pas à colorer, il était là,
debout à voir et revoir les images dépassées, les lettres d’or gravées à jamais
dans la pierre dont on ne fait pas les cœurs. Les pensées se cognent dans sa
tête, entre les vivants, les survivants et l’absente, désormais absente à jamais.
Comment va-t-on vivre ce nouveau temps ? Comment…Qui…. Les peurs aussi,
parce qu’à ouvrir le livre des morts, on pense tout de suite aux vivants,
l’effroi de perdre encore est un froid qui glace bien plus que la pluie de ce
triste hiver. Comment ne pas avoir peur lorsque la fragilité des choses s’en
vient faire une répugnante démonstration ? Que cet endroit est sinistre,
froid, mal dessinée, mal agencé, désolant… Combien d’autres endroits seront à
jamais vides ? Non, pas tout à fait. Bien sûr le corps, l’image en
mouvement, l’évolution morphologique est à jamais stoppée, mais les pensées
sont et seront toujours là, les mots échangés et à jamais résonneront les sons,
le cri de victoire contre une dune de sable ocre en bordure de cet océan dont
l’amour rapproche. Il est difficile de devenir orphelin, cela, il commençait à
le mesurer. C’est un peu l’enfant qui devient actif, les vacances scolaires et
leurs insouciances qui laissent place à quelques trois semaines de congés
durement capitalisés, une autre étape du monde adulte.
Vide, il marche sur ce gravier gorgé d’eau, les semelles
semblent être trouées tellement le froid envahit ses pieds lorsque déjà
machinalement, il referme la grille du cimetière, étrange barrière entre le
monde des vivants et celui des morts, entre la grande route et le supermarché et
la plaine triste où les marbres rivalisent d’imaginations morbides. Il conduit
presque sans y faire attention jusque chez lui, ce chez lui en travaux, ces
outils au sol, cette poussière de plâtre et d’enduit, ces bouts de fils, ces
cartons, ce presque camping. Place au feu, place au canapé dans lequel il choit
brutalement, vidé et épuisé, groggy d’il ne sait pas quoi, un vide qui s’ajoute
au vide, une solitude dans la solitude, un monde trop pressé qui se presse
d’écrire et de textoter, un vertige à en perdre toute réalité. Non, ce soir le
clavier sera lui aussi orphelin, le téléphone éteint, une bougie, un encens,
des flammes dans la cheminée, une lecture et la douceur d’une tisane, le corps,
comme l’âme cherche sans cesse son repos, les courses des derniers jours, les
vacances sans vacances finissent pas peser, comme l’absence, comme les
absences, parce que quand même il faut bien le dire, on oublie trop souvent de
dire « je t’aime », on crève de pudeur envers les siens et puis non,
« merci » ne se dit pas que pour une tranche de pain….
Merci pour cette belle tranche de vie, et même si on a
pleuré, même si on pleure, tout de même, avant, qu’est ce qu’on a bien ri avec
toi, c’est cela nos souvenirs communs, sans omettre la tendresse, les joies
même dans les peines, la vie dans tous ses éclats.
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