Cela
faisait déjà plusieurs jours que la pluie tombait sans discontinuer. Elle avait
beau varier ses rythmes entre crachins et grosses gouttes, les sols détrempés
n’en pouvaient plus, mieux valait ne pas sortir du sentier sous peine de
s’enliser. Premier épisode pluvieux depuis le départ, depuis le début de cette
longue marche, et si au début l’arrivée de cette eau et de la fraicheur qu’elle
apporte étaient les bienvenues, c’était désormais une lassitude qui gagnait.
L’humidité se faisait sentir jusqu’à travers les coutures des épaisses
chaussures, le parapluie calé au ras de la tête pour mieux protéger l’homme et
son sac à dos, il poursuivait sa route, attentif aux changements de direction,
regrettant les paysages voilés par ces nuages bas. C’était l’automne et ses
premiers épisodes humides, il fallait s’en accommoder mais au fond, cela ne le
perturbait pas plus que cela, l’important était ailleurs, ni ici sous la pluie,
ni là-bas sur ce futur point d’arrivée dont il approchait chaque jour un peu
plus, non, l’essentiel est le chemin, par la façon dont on le parcours, par la
façon dont on apprend, par tous ses enseignements, le chemin reste le fil de
nos vie.
Aujourd’hui,
le ciel gris et bas masque les lointains paysages, il n’est plus question de
lire les tracés dans les versants à venir, le regard ne peut porter loin, il a
ainsi plus de temps à se consacrer à son environnement proche. Le sentier en
creux devient par endroit flaque ou ruisseau, quelques traits de peinture
disparaissent sous la boue des pas, ici, c’est une toile d’araignée alignant
ses perles de pluie qui barre le chemin. On voit souvent trop loin, on ne
consacre jamais assez de temps à voir de près, de très près, de tout près, non
pas un repli sur soi, non, juste son proche immédiat, sa zone de confort, voir
non pas où les pas portent mais d’où ils partent, voir, lire, apprendre,
connaitre. On vit tous dans des endroits riches de trésors, mais ce ne sont
jamais ces trésors que l’on visite, l’impression d’avoir le temps d’y revenir
plus tard et l’on fuit vers des trésors lointains, parfois vers des miroirs aux
alouettes juste parce que leurs éclats trop brillants ont su nous attirer.
Aujourd’hui, le temps n’est pas de la partie, il l’oblige à ne voir que son
proche horizon, qu’il est bon de jouir de ses rappels du temps, du monde, de
notre monde. Les pas se faisaient lourds comme si le manque de vision lointaine
n’agissait plus comme un puissant aimant à conquérir ses terres à peine
arrachées au néant. Peut-être bien qu’aussi la fatigue des jours précédents se
rappelait à lui, peut-être bien aussi que la pluie le refrénait, mais non, il
n’y avait rien à cogiter, juste vivre l’instant, juste profiter d’être là, ici
et maintenant, de voir ce coin dans ces conditions-ci, de réaliser qu’il ne
fait jamais tout le temps beau mais que par contre on garde toujours la force
et la possibilité d’avancer.
Ces
marches en solitaire étaient des moments de vérités, des plages de bonheurs et
de plaisirs, parce qu’arrachées aux temps, parce que libéré du temps, il pouvait
communier à sa guise et dans toute sa maitrise avec les éléments. Traversées
bien réelles, ponctuées par des gites, des refuges, parfois des nuits sous la
lune, instants de partages, d’échanges, instants d’introspections et
d’élévation, on manque toujours cruellement de temps jusqu’à ce qu’enfin on
sache le prendre, en faire un allié et s’en aller ainsi sur les chemins de la
vie. Aller à la rencontre des autres, aller aux contacts des éléments, aller
visiter ces paysages, partir à sa rencontre, la marche est une forme de
méditation les yeux ouverts. Il connaissait ce coin des Pyrénées, cette vallée
aux pentes douces, aux formes douces, la voir aujourd’hui sous un ciel de
chagrin lui donnait l’occasion unique d’en visiter le plus profond, d’en
inspecter les reliefs et les sinuosités du chemin au lieu de porter son regard
émerveillé sur l’ensemble du paysage de bois, prairies et villages nichés dans
les basfonds. Il savait où il était pourtant il semblait perdu, obligé de
composer sa marche avec la course rase des nuages lourds. Un autre défi,
d’autres modes de fonctionnement, sortir de sa zone de confort pour mieux
expérimenter, pour apprendre et comprendre la justesse des pas, le précis d’un
chemin, les impacts sur l’allure, jamais sur l’obtention du but. Les hommes
pressés ne voient jamais que le but, pourtant c’est par le chemin qu’on
apprend. Qui était-il ? Que faisait-il ? Notions terriblement
humaines et ténébreusement dévastatrices, castratrices de trop de vies, à trop
mesurer les contours on évolue dans les formes bien plus que dans le fond. Ici,
impossible de se fondre dans la masse, l’infiniment petit côtoie sans effroi
l’infiniment grand. L’infiniment grand n’écrase nullement l’infiniment petit
dont il est constitué. Juste équilibre, juste rappel à l’ordre des choses
simples de la vie. Harmonie. L’Homme devient ici tout petit tout en restant un
géant pour bien d’autres vies. A sa place. Il n’y a plus de montre, il n’y a
plus de temps, il n’y a que la lumière, les besoins physiologiques, boire, s’arrêter,
manger, place aux envies, celles d’avancer, celles de continuer, celles de
marcher, celles d’être. Leçons de vies. La pluie frappe et frappe encore le
parapluie au ras de sa tête, la brume se fait légère et moutonneuse, elle danse
sur les reliefs. Il sourit d’être là et de pouvoir jouir de ces instants
uniques, cueillir ses perles de pluies sur la délicate églantine, marcher dans
les flaques en se souvenant de l’enfance, respirer les parfums révélés par
l’air humide, exister, oui, exister. Ici et maintenant. Carpe diem.
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