Un autre éclat


Depuis quelques temps déjà, les lumières lui paraissaient d’un autre éclat, les couleurs lui semblaient plus lumineuses, le monde s’éveillait différent. C’est là un juste retour des choses, lorsque quelque chose nous parait différent, c’est que ce quelque chose a changé, pourtant, entre deux pôles, celui qui montre et celui qui voit, pourquoi dont-on focaliser que sur celui qui montre ? Diantre, il est difficile de se dire que l’on a changé, après tout, ce sont toujours les autres, humains, événements, lieux, qui sont les fauteurs de troubles, c’est si facile et terriblement humain, tellement plus court de dire que c’est sa faute à lui plutôt que se tourner la phrase à la première personne, se recentrer dans l’action pour mettre en lumière les actions qui nous feront grandir et sortir de l’ornière. Las, il était là à regarder cette atmosphère particulière, à noter ces couleurs plus intenses, ces odeurs si nouvelles, et l’idée lui vint : et si c’était lui qui avait changé, modifié son regard, ouvert ses sens, pris un autre angle, et si c’était lui qui venait de changer de perspective et au fond, de regarder avec le cœur ? Antoine de Saint Exupery fit dire au petit prince « on ne voit bien qu’avec le cœur » et cela le fit sourire puis rire de bon coeur, parce qu’à s’élever, parce qu’à s’alléger, ses rires n’étaient plus coincés sous une chape de plomb, au contraire, ils pouvaient se déployer, s’échapper en criant leurs bonheurs, ils pouvaient circuler librement, le monde s’ouvrait à eux, comme l’oiseau quittant sa cage, les ailes déployées, les petits cris perçants devenant peu à peu un langage de joie. Quel éclat, quels éclats, de rire et de couleur, une vraie lumière de bonheur qui éclairait le monde et lui renvoyait des images bien plus intense. Comme la lune qui éclaire si bien en renvoyant les rayons du soleil caché de l’autre côté du monde, les choses nous apparaissent selon l’intensité qu’on leur envoie.

Au fond, rien n’a changé, l’arbre est toujours arbre, l’herbe toujours verte, simplement, aujourd’hui, il est assis ici à contempler ce paysage vu des milliers de fois, et pour la première fois, il voit. Il voit les couleurs, riches de nuances, il en voit les vibrations dans cet halo étrange qui habille les contours des branches, il voit les odeurs douces et acres, suave mélange, unique parfum de ce coin de terre si familier. Au fond, tout a changé, les feuilles ont grandi, certaines sont tombées, d’autres se sont flétri, même l’herbe s’est couchée par endroit, le vent ou bien une bête, peut-être tout simplement un homme à la recherche d’un je ne sais quoi, un trèfle à cinq feuilles, un champignon, les premières châtaignes, peu importe, l’herbe est couchée, elle a plié sans rompre, elle s’est avachie mais se relèvera, juste dans son temps à elle, ni rapide, ni lent, une vibration personnelle pour un paysage commun. Il est assis là, sur ce caillou qu’il aime, devant ce paysage qu’il adore, au loin les sommets commençant à mettre leurs cheveux blancs, là-bas le fier château, et plus proches, ces fermes éparpillées dont les sonnailles rappellent que les troupeaux ont quitté les estives pour s’approcher des bergeries et autres étables, ce joli tintamarre joué tout au long des courbes de niveaux, chante au fond, la mélodie de la vie, celle d’ici, celle riche en couleurs, celle de son monde. Un nouveau regard sur ces choses si connues, une nouvelle vie par la perception, enfin, de sentir et de ressentir, de profiter pleinement de ces sens en tout sens, voilà qui est de bon sens. Il sourit à nouveau en écoutant les cloches égrener un temps, battre le tambour en sonnant les heures, mais quel que soit le nombre de coup, l’heure qu’il est, il s’en fout, c’est son heure, comme la précédente était la sienne déjà, comme la suivante le serra encore, parce que le temps des hommes n’est plus tout à fait le sien, parce que le temps qui est sien désormais, c’est celui du jour qui décline, offrant ses variations chromatiques à ces paysages si tranquille.

Le monde n’est monde que par notre perception, le regard sombre n’y verra que du noir, le regard clair n’y verra qui feu, c’est les yeux bien ouverts jusqu’au fond du cœur, l’âme offerte aux découvertes, même des choses si familières, on est parfois si surpris de tout ce qu’on croit connaitre, dès lors qu’on accepte de les voir en grand… Ce petit prince avait pourtant bien résumé les choses, mais les lectures ne servent à rien si l’on ne prend pas la peine de les mettre en pratique, essayer du moins.  

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