Bonjour, je suis née le vingt-neuf septembre mille neuf
cent quatre-vingt-deux en région parisienne, à Levallois exactement, où j’ai
toussé pour la première fois avant de pouvoir enfin prendre la route pour la
première fois le huit février mille-neuf-cent-quatre-vingt-trois. Pourquoi ce
délai ? La faute à l’hiver ? Non peut-être à ma couleur, un peu
passée de mode en ce temps-là, il n’y a pas point de racisme là-dedans, juste
que les goûts et les couleurs, de tout temps ont suivi des modes et les modes
partent aussi vite qu’elles ne viennent. Ma mise en route, ce fut en plein centre-ville
de Toulouse, avec aux commandes, cela ne s’invente pas et ne déplairait pas à
notre gendarme national de Louis de Funès, une bonne sœur. Et oui, je suis née
ainsi, une vraie deux pattes comme on dit. Pour la petite histoire de ma
famille, notre lointaine aïeule s’appelait TPV, drôle de code pour désigner un
projet de Très Petite voiture. C’est qu’elle leur en a fait voir l’aïeule, il
en a fallu des essais, des tests, des prototypes, avec des matériaux dernier
cri pour l’époque comme le duraluminium, il faut dire que nous étions au cœur des
années trente…. Officiellement, mon ancêtre
est née en mille neuf cent trente-huit, de son vrai nom Citroën 2CV Type A. Son
aspect rustique l’a longtemps fait passer pour un prototype, à vrai dire, jusqu’à
nos jours, pourtant, c’est bien elle sur ces photos : Un seul phare, une
ligne plutôt étrange….
On raconte d’ailleurs que deux-cent cinquante voitures
furent ainsi fabriquées pour faire face aux commandes qui devaient affluer lors
du salon de l’automobile de Paris de mille neuf cent trente-neuf. Hélas, la
guerre fut déclarée, mettant fin à la commercialisation, à la destruction de
plusieurs des toutes premières 2CV Type A, quelques-unes survécurent bien
planquées dans un grenier du centre d’essais de la Ferté-Vidame jusqu’au cœur des
années quatre-vingt-dix, c’est vous dire, tandis que d’autres furent transformées
en pick-up d’atelier chez Michelin à Clermont-Ferrand, propriétaire de Citroën
depuis mille-neuf-cent-trente-cinq. A cela, je dirais, tant mieux, car les
années de guerre plus celles d’après-guerre ont permis de revoir quelques
caractéristiques, d’affiner la ligne et de s’adapter à la pénurie de moyen par
le retour à l’acier. Entre-temps, un génial motoriste italien mettra au point
son moteur, deux cylindres opposés à plat, une cylindrée de
trois-cent-soixante-quinze centimètres cubes pour on va dire huit chevaux
vapeurs. Nous voilà enfin au point pour démarrer la commercialisation au salon
automobile de Paris en mille-neuf-cent-quarante-huit. La Liste des options ?
Comment dites-vous ? Les couleurs ? Quoi ? Un modèle, une
finition, une couleur. Voilà. Et un délai d’attente dans un pays qui redémarre
et panse ses blessures de guerres, les premiers exemplaires rouleront en mille-neuf-cent-quarante-neuf,
sortant déjà de l’usine de Levallois où je suis née.
Je passe rapidement sur ma généalogie, depuis mon aïeule
type A, une branche utilitaire apparue sous le nom de code AU (U comme
utilitaire, simple et efficace) puis, la motorisation s’est renforcée, avec la génération
des types AZ, leurs cousines AZU, puis AZL, AZLP, AZAM, tandis que les
utilitaires devinrent des AK…. Et moi, je descends d’une branche dite des AZKA.
Le plus puissant moteur, imaginez un peu, six-cent-deux centimètres cubes, pour
vingt-neuf chevaux vapeurs, mais par contre, je suis une…trois chevaux !
Histoire de respecter la filiation, on me baptisa deux chevaux six. Quelques
années à parcourir les routes pour soigner les gens, ma bonne sœur de
propriétaire était soignante, puis, je fus vendue et rejoignis une famille dans
le même département, ce qui me fit garder mes numéros de première
immatriculation. Une rapide révision, des couches de mastic pour rattraper des creux
et des accidents de parcours, un voile de peinture, un intérieur tout neuf bien
plus dans le temps que celui d’origine fortement typé années quatre-vingts, le
tout pour faire la belle dans un mariage, puis, une fonction très utilitaire de
seconde voiture, de l’huile de temps en temps, un coup de chargeur pour passer
l’hiver, et roule…. Jusqu’à une seconde vente. C’était en deux mille sept, au
mois de janvier, et toujours dans le même département, je porte fièrement mes
plaques noires d’origine, et là, je retrouvais une cousine en plastique comme
je luis dis pour la taquiner, dans les mains d’un passionné. Dès nos premiers
jours de vie commune, il m’envoya faire un check-up chez un drôle de docteur,
beaucoup de mains passionnées se mirent à me démonter, à changer mes pièces
trop usées, notamment nos célèbres pivots, puis vidanges diverses, bougies
neuves et réglages, de quoi enfin retrouver du plaisir à rouler. Au fil du
temps, ce fut d’autres aménagements, d’autres pièces neuves et toujours et
toujours de la vie, de la passion, jusqu’à l’hiver dernier, retour chez le
drôle de docteur, mais là, je fus plongée dans un long sommeil, durant lequel
on me démonta, morceau après morceau, avant de me poncer, de reboucher des
trous à l’étain comme on faisait autrefois, puis en ressoudant des tôles, et
enfin, après avoir aplani au maximum mes bosses, une belle couche d’apprêt et
enfin, de nouvelles robes de couleurs, celles de l’origine, ce beige colorado
qui peut-être ne plait pas mais qui est mien depuis ma naissance. Retour à mes
roues fines aussi, j’ai vraiment l’air de sortir de la chaine de Levallois.
Capote neuve, alors, en route !
Surprise cet été, me voilà de longue sortie pour venir
à mon tour sur la côte atlantique. Premiers tours de roues hésitant, quelques
retouches sur place, un collier desserré, une batterie époumonée, trois fois rien,
mais depuis, quel plaisir ! Imaginez un peu, ici, ça monte, ça descend, ça
tourne, par contre, je n’aime pas les flots de ces modernes automobiles roulant
au pas, moi, mes deux cylindres ont besoin de s’exprimer et de rugir, je ne
suis pas une auto de bouchon. D’ailleurs, à voir la tête de mon conducteur, lui
aussi prends du plaisir à voyager à mon bord, c’est quand même bien de respirer
l’air du dehors et pas celui d’un frigo, sans compter qu’il est bien connu que
la vitesse est dépassée, non ?
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