Il est là, elle s’approche, il semble dormir, allongé dans
le hamac, elle observe, guette un mouvement, mais rien, pas un geste. Le vent
léger joue sur les feuilles qui frémissent et gémissent tendrement. Le soleil
est haut, l’ombre de l’arbre est bonne, bienfaisante, presque rafraichissante.
L’herbe tendre respire et exhale ses parfums dans l’humidité de l’air, qu’il
est bon de faire la sieste au soleil. Elle est là, toute près, hésitante,
intimidée peut-être. Il est las, au creux de la toile, parti peut-être vers le
pays des songes, bercé par la musique jolie des feuilles d’été, titillé par des
dards de chaleur réussissant à traverser l’épais feuillage, enivré par les
senteurs multiples de la végétation autour, une sorte de méditation en
lévitation entoilé à défaut d’un ciel étoilé, mais les étoiles sont ailleurs,
dans les rêves si purs, si délassant, si porteur de messages, si bons à rêver
et cette sieste n’en est que plus réparatrice. Elle sourit de voir ce visage
détendu, enfin détendu. Elle observe d’un œil amusé ces cheveux éparpillés sur
son front, devenus jouets pour les courants d’air, et ce corps comme blotti
dans la toile, enveloppé dans ce drap coloré, le livre encore ouvert sur la
poitrine tandis que les lunettes de soleil gisent au sol.
Il est las et dort dehors. Elle est là, dehors et
d’ordinaire un rien piquante, mais non, l’heure n’est pas venue, le plaisir est
de voir, d’observer, de ne pas profiter d’un moment de relâchement pour….
D’ailleurs, depuis combien de temps déjà dure ce petit jeu qui n’en est pas
un ? Sourire amusé. Les effluves poivrés de l’arbuste à côté, la couleur
pourpre du feuillage au-dessus, tout était vertige des sens. Qu’allait-elle
faire ? Elle scruta l’horizon. Rien ni personne, tout était au ralenti,
seule l’eau tombant dans le bassin en cascade apportait un peu de bruit et de
vie dans le décor. Un chat rêvassait sous le hamac, c’était le moment parfait
pour enfin oser. Allez, un peu de bravoure que diable ! Ni vu, ni connu,
et hop ! Envolé, disparue, partir loin, plus loin et le laisser là endormi
peut-être à jamais. Peut-être. Après maintes tentative, cela en devenait
facile, trop facile, une sorte d’ivresse montant à la tête, l’ivresse des
sommets, oui, enfin, être là, tout près du but, savourer l’instant, cet instant
qui est éternité où tout est à portée de main, enfin accessible, avoir se
pouvoir d’agir mais d’agir quant on le décide, pas avant, laisser le temps
défiler parce qu’on en tient les clés, parce qu’on le décide, sentiment
d’orgueil peut-être, sûrement même, maitre du temps, que c’est bon ! Le
soleil poursuit sa course, cap à l’ouest, son inclinaison lui permet de vaincre
l’arbre obstacle, de le contourner par le bas et là, rasant le dessous des
feuilles, c’est un dard brûlant qui vient rôtir le visage du dormeur, le
chauffant au point de le tirer du sommeil, le voilà maintenant hagard,
cherchant à comprendre dans quel monde il est, l’inconscient du champ de la clé
des songes, la torpeur de cette phase de réveil et de retour à la réalité.
Déséquilibre entre deux états, entre deux temps, entre deux mondes, s’en est
trop, le livre choit dans son libre choix. Patatras, voilà qui réveille le
chat, lui fait faire un bond et pousser des miaulements de mécontentement. Elle
aussi sort de son rêve, fini la maitrise de temps, le temps lui a filé entre
les griffes, trop occupée à les aiguiser, à savourer sa victoire avant de mener
le combat.
Il n’y a rien à gagner à brûler les étapes, juste qu’il faut
du temps au temps certes, mais que lorsque son heure est venue, il n’y a plus
de place à l’hésitation ni même à savourer le fumet d’un met qui n’est pas,
mais au contraire, vivre et profiter de l’instant, il n’y a pas de fumée sans
feu, il faut savoir amasser les brindilles pour que le feu prenne, il faut des
étapes, les unes après les autres, tout comme une note de musique succède à une
autre qui succède encore à une autre et encore et encore pour former une
mélodie. Patatras, le libre choix du livre l’a fait choir, son libre choix à
elle l’a fait choisir l’attente et l’attente latente a brisé l’espace temps
dans lequel l’action programmée devait exister. Tout comme les fusées
bénéficient d’une fenêtre de tir pour décoller, nos actions bénéficient d’un
espace de temps pour être, sans cela, nous ne sommes pas. Combien d’hésitation,
combien de rêves éveillées, combien de plan sur la comète, de charrues avant
les bœufs, d’oubli d’agir, par peur, par jouissance de ce qui va être sans
comprendre que sans action, cela ne sera pas ? Il est là, éveillé dans son
hamac, le chat a repris ses esprits, tandis qu’elle est partie vers d’autres
desseins…
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