Un mois qui s’achève, un mois d’un drôle de
tempérament, alternant les phases de feux avec celles de fraicheur, des grandes
chaleurs diurnes à en griller le paysage tout en rafraichissant nos nuits au
point d’écourter les soirées sur la terrasse ou de se couvrir en partant le
matin, comme seul l’automne le fait savoir ici. Certes, il est des régions
océanes ou bien montagnardes où cette alternance sied, mais cette année, la
plaine toulousaine est au même régime. Etonnant aussi de voir qu’à quelques
encablures, disons plutôt à quelques tours de roues d’un joyeux cabriolet, les
tournesols sont bien verts et bien fiers de leurs couleurs éclatantes le long
des routes vallonnées, sans le secours des puissants arrosages, ce qui
témoignent d’une hydrologie propre à chaque courbe du relief. Ailleurs, ce sont
les vastes étendues rasées de leurs blés dorés et bien murs qui éclairent de
jaunes paille les paysages de coteaux. Dodeline la route, doré ici, verte là,
soleil et ombre, ligne droite puis courbes plus serrées, descentes rapides pour
franches remontées, quel beau pays que ces coins entre Haute-Garonne et Gers,
paysages multiples en peu de kilomètre, terrain de jeu pour bolide aussi
tranquille qu’un bon vieux bicylindres donnant de la voix à l’envie des voies,
prenant ses aises entre gite, tangage et roulis, le tout à la sauce qui fit la
réputation de cette espèce à part dans l’automobile.
Rouler, respirer, savourer, se remplir les yeux,
profiter d’être, cueillir la joie et le bonheur, sans être une bonne sœur, dieu
nous garde, de conduire une deux chevaux sans cascades comme dans les films de
Louis de Funès ou bien encore dans un James Bond en Grèce. Conduire ou être
conduit ? Je ne saurai dire, lorsque je prends le volant, il est vrai que
c’est plus la voiture qui roule et décide, c’est elle qui suggère son envie de
vrombir, ou bien de traverser sur un pas de deux, cylindres bien sur, ces
villages éteints par trop de chaleur, seules quelques mamies viennent occuper
le devant de la scène, fauteuil pliant sur le trottoir pour discuter avec les
voisines et voir le monde qui passe. C’est elle qui choisit sa trajectoire,
loin des bolides actuels rivés au sol par des suspensions ultra performantes et
des pneus larges, là, tout est à l’inverse, ça colle à la route mais sur une
surface réduite, ça se couche, ça tangue, ça vit, telle un coureur sur son
vélo, un motard sur sa moto, un cavalier sur son pur sang, on voit, on anticipe
le virage, on le prend, on le vit. Une auto plaisir, et même, une auto à
plaisirs, ils sont multiples, ils sont variés, ils sont uniques, ils sont
sains, parce que basiques, parce que simples, parce que premiers. Premiers,
primaires, rien n’est prétention, rien n’est dédaigneux, juste qu’il est bon de
revivre ces moments simples, de réapprendre à avoir le temps, à prendre son
temps, à jouir en cinq sens de la vie, et s’il fallait une note un brin
négative dans ces mots, elle serait pour les quelques usagers des mêmes routes
qui ont oublié d’où ils venaient, d’où l’automobile vient, ils ont oubliés qu’automobiles
anciennes ne signifient pas forcément lenteur, ni gêne, pas plus qu’elles ne
signifient démarrage en trombe et freinage surpuissant. De la même manière qu’à
bord de nos frigos à roulettes, on oublie que de trop que les paysages ont une
odeur en plus de leurs couleurs, qu’il fait chaud en juillet et non pas
dix-neuf degrés d’air mécanique et électronique, qu’un virage n’est pas qu’une
faible rotation d’un minuscule volant, qu’un freinage peut se faire en quelques
mètres.
Oublier, c’est facile et pourtant, ne jamais oublier
d’où l’on vient, c’est mesurer son parcours, c’est apprendre à s’aimer, c’est
toucher du bout des doigts la fragilité des choses, le pourquoi des événements,
c’est aussi respirer à plein poumons l’air neuf de notre évolution, c’est
bouffer à n’en plus pouvoir les joies simples d’un parcours effectué, c’est se
nourrir d’envies pour le futur qui nous cueille dès à présent et nous entraine
vers demain dans cette folle envie d’être, qui est et qui est en devenir, c’est
cette envie toute simple de devenir tout en sachant qui on est. L’oubli est une
chose fragile et détonante, aux pouvoirs magiques, une poudre aussi délicate
que la poudre à canon, car à tout moment, elle peut vous sauter au visage et
vous bruler le corps. Il y a des choses qu’on oublie et d’autres qu’on n’oublie pas. Il y a des choses à
oublier et d’autres à ne pas oublier. Là est le travail de l’humain, savoir
doser, savoir apprendre, savoir retenir. Nos vies sont ainsi faites. J’ai
oublié quelques part mon cahier dont le dos listait les tables de
multiplication, pourtant je n’ai pas oublié leur contenu, et si je ferme les
yeux, je sens poindre l’odeur un peu humide de ce vieux cahier, je revois sa
couleur rouge délavé, presque rose, j’y revois presque danser les mots qui même
en leçons de calculs, pas encore mathématique mais assez systématique, me
faisait écrire du français, avec des mots bien entiers, des phrases bien
faites, des titres en bleu soulignés d’un trait rouge, des dates allant même
jusqu’à citer à comparaitre le jour de la semaine. Je n’ai pas oublié que les
chiffres se retrouvaient dans les lettres, il n’y a pas de frontières, voyez,
la vie est quand même bien faite….
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