Il est des chemins bien étranges parfois, d’abord
larges et bien pavés, voilà qu’ils se mettent à serpenter dans la montagne tout
en rétrécissant au fur et à mesurer de la montée, comme s’ils s’époumonaient à
gravir la pente. D’ailleurs, histoire de bien masquer leurs gênes, les abords
se font plus touffu, la végétation se ligue pour les enserrer, leur offrir de
l’ombre, les aider à ainsi arriver au but. C’est qu’elle est prévenante mère
nature, elle se mettrait en quatre pour que ses petits puissent grandir
confortablement, et dans le cas de nos montagnes, ce n’est pas se mettre en
quatre mais s’y mettre comme quatre qu’il conviendrait de dire tant la
végétation recouvre peu à peu l’habitat et les zones délaissés par l’homme. Au
fil des périodes industrielles, au fil des mouvements de ces populations
cherchant à se nourrir pour vivre, c’est une maison qui s’est fermé, puis des
hameaux, et autour, des jardins en jachère, des jachères en bois, des bois en
forêt et la montagne se pare de cette chevelure verte, rousse ou bien marron au
gré des saisons. Les murets des jardins en terrasse, mise à plat de bouts de
relief pour en faciliter le travail de la terre, empilage de pierre sèche
donnant un visuel aux paysages qui permet de les identifier tout comme une
empreinte digitale est identifiable par les lignes de son paysage, ces murets
sans entretien s’affaissent, perdent leurs pierres par endroit, une à une, dent
après dent, pour faire apparaitre une gencive de terre au bourrelet arrondi.
Puis la mousse s’en vient verdir la roche, et les fougères se développent dans
cette humidité, les orties regagnent l’espace tout comme les ronces, autrefois
chassées, autrefois bannies. Le gris devient vert, de peur ? De
colère ? Non, de végétation, un peu comme un suc gastrique venant digérer
ces bouts d’humanités, ces traces humaines et dire « ici, c’est moi, la
nature, qui commande et dessine mes paysages ». Les oiseaux apportent
leurs graines, perdues de la becquée ou bien par d’autres déjections plus
naturelles, puis les écureuils s’en viennent y cacher leurs provisions,
noisettes, châtaignes ou bien noix, qui par la force de la nature profitant de
pareil semis, deviennent pousses, arbrisseaux, arbres puis bois, bois puis
forêts. Les maisons, les granges sans entretien, sans utilisation, sans hommes,
dépérissent. La neige fait glisser les tuiles qui ne seront pas remises, ni
calées par des fougères sèches. Le bois des charpentes ainsi dénudé se gorge
d’eau, pourri, et fini par céder, et dans un fracas que personne n’entend, le toit
tombe sur les ruines d’une vie. Après le toit, vient le tour des planchers, et
les murs sans protection résistent comme ils peuvent à ces assauts du temps,
jusqu’à à une sorte de minimum vital, fondations ou bien murs, ou bien morceaux
de murs dans lesquels poussent les arbres des anciennes réserves animales.
Ce petit chemin montant gaillardement vers le hameau,
et qui disparait sous les couverts d’une luxuriante végétation, c’est celui que
j’ai pris. Quelques pas d’une allée presque carrossable, quelques pierres
arrachées au sol par les eaux de pluies, quelques talus effondrés et puis au
fur et à mesure de la montée, un chemin qui rétrécit, qui devient à peine piste
et bientôt sentier jusqu’à ce que plus rien. Un champ avec un vague plat dans
le relief qui conduit à des ruines. Un mur sombre, la découpe d’une fenêtre
dont les bois sont partis depuis longtemps, des arbres à travers, des arbres
devant, des bouts de tuiles, des vieilles casseroles, marmites, un vieux
fourneaux, c’est là les vestiges rouillées et rongés d’un désespoir de rouille
qui indique qu’hier ici, des hommes et des femmes vivaient. Mais comment
vivaient-ils ainsi reculés au milieu des bois ? Tout simplement parce
qu’avent les bois n’était pas, les arbres sont jeunes, les pierres droites qui
encerclaient le jardin sont couchées pour certaines, et l’endroit si désolant
aujourd’hui devait être plaisant hier, ou plutôt, avant-hier. Je fais le tour
de la propriété et non du propriétaire, selon les autorisations que le
propriétaire actuel, mère nature, me donne, c'est-à-dire, pas grand-chose. Je
marche là où le terrain est dégagé, la terre trop tassée par les pas anciens,
les passages des charrettes, du bétail, ne donne pas assez de souplesse pour
qu’y germe autre chose que des herbes pas si folles. L’odeur est typique, entre
humidité et bois moisis, odeur de
sous-bois et de mousse, odeur acre des herbes rudérales. L’esprit voyage, dans
le temps, les volets sont ouverts, les rideaux aux fenêtres, l’odeur du feu de
bois et de la soupe fumante, les rires des enfants courant à travers le pré,
les sonnailles des bêtes qui s’en reviennent de la pâture, j’y suis, j’en hume
le sens et le bon sens de ces années où certes les tâches étaient dures, mais ô
combien la simplicité du quotidien laissait place entière aux vraies relations,
aux relations vraies. Une sorte de bon sens paysan dont les hommes aujourd’hui
ont perdu le goût, le bon goût des choses simples. Rires, parler, dormir,
travailler, faire la juste chose au bon moment, vivre avec son temps, prendre
le temps, s’accorder le temps, celui que je m’accorde sur le pas de cette
porte, sur les pas qui ont usé cette pierre de pas de porte, celui d’écrire ces
quelques mots en songeant aux générations qui ont vécus ici, celles qui ont engendré celles qui nous ont
engendré, celles dont on a perdu la filiation du bon sens.
9 commentaires:
J'adore.
Natacha
tu m'étonnes ! ;-)
à parcourir.....
Si j'étais peintre et analphabète, très éloignée de ces lieux, mon oeuvre prendrait vie qu'à la seule lecture par le liseur. L'atmosphère tellement palpable, ne peut nous faire oublier les liens qui nous unissent aux générations de nos aieux.
Un beau témoignage !
merci d'apprécier....
Je revis ici la vision de la maisonnette de ma grand-mère (en ruine depuis longtemps) au milieu des bois auvergnats. Celle qu'elle habitait au début du siècl.Là où elle a accouché de mon père, sans eau courante, sans électricité, sans docteur. On aperçoit, d'en haut du cimetière perché sur la colline, les restes de la toiture... Les tripes remuent à la pensée de tout ceci.
Il y a des moments gravés à jamais, des souvenirs de gens qui étaient de vrais humains, sans double-fond ni double-jeu.
Merci pour eux
Natacha.
je suis heureux que mes mots puissent irriguer tes souvenirs même si cela embue tes yeux. A chacun de trouver ses marques, sa vie, son petit chemin....
Buée de bonheur aux souvenirs de tout ça, que du bonheur. Même si tout ça est loin aujourd'hui, ces souvenirs restent le guide de ma route et ça, pour toujours. Ce sont mes repères, mes fondations.
Natacha
et c'est par ce chemin que tu es toi ;-)
"C'est un petit chemin
Minuscule, insignifiant
Un petit bout de rien
Qui défie le temps. Surprenant!
Il nous amène, tel un pantin
Vers nos plus beaux lendemains..."
Je souhaite à tous de trouver "son" chemin, c'est bien le plus grand des bonheurs qui soit.
Natacha
Enregistrer un commentaire