Pleurs

Un jour gris, comme un coup d’arrêt dans cet été si chaud et si ensoleillé. Un jour gris, non pas de ces jours qui tardent à se lever puis se déchirent sous l’influence de la marée, non, ce jour-ci au contraire, s’appesantissait, il prenait des tonalités de gris sombre et le vent soufflait un air froid inhabituel depuis si longtemps. C’était un peu l’automne qui prenait ses quartiers en été, c’était un peu comme la rentrée qui prenait des dernières vacances. Un jour gris, un jour triste, un jour appelant à la mélancolie. Depuis combien de temps déjà était-il là ? Il n’avait pas vu passer le temps, d’ailleurs, le temps avait-il un intérêt à être compté ici ? Il était arrivé fatigué, las, fourbu, un peu désorienté, un peu démantibulé, il avait posé les sacs, déballé quelques affaires, pris son temps à prendre ses quartiers, et pour la première fois depuis si longtemps, ce n’avait pas été l’impatience de ses retrouvailles d’avec tous ces coins familiers et tellement bons en ressourcement. Non, cette année était autre, une année difficile, une année douloureuse et pénible à bien des égards. Les premiers pas n’étaient pas de grands voyageurs, ils allaient de la table à l’évier, de l’évier au transat, du transat au canapé, du canapé au lit, les actions s’appelaient repos, lecture, cuisine, vaisselle, repas… Bien sûr quelques courses, bien sûr le moins possible, selon un mode désorienté. La faim de sport, véritable boulimie au sortir d’une disette forcée de plus de trois mois le tenaillait au corps, mais voilà, les énergies n’étaient pas en place, le vide sidérant d’occupation de l’espace. Même sans photo, la présence est partout. Un décor, deux bibelots, trois mots sur une première page de carnet, quatre conserves aux étiquettes si reconnaissable, cinq sens à jamais orphelins. Et puis la solitude. Entière et si palpable. D’habitude il y avait ses moments partagés, cette complicité unique qui perdurait depuis tant et tant d’année, mais voilà, les années passent, les enfants grandissent et s’en vont voler de leurs propres ailes, même si de temps en temps ils pleurent eux aussi de ces distances prises sans en avoir vraiment pris la décision, au fond, on est rassuré par nos liens, encore plus lorsqu’ils sont tissés serrés.

Cette année est terrible, l’absence pèse chaque jour différemment, au pays des hommes, il est bon de se montrer fort, d’apporter soutien et courage à l’autre qui vacille ou se cherche, pourtant, derrière tous nos masques nous ne sommes que des êtres fragiles perdus et lorsque nos mots se rencontrent, ils ne peuvent plus travestir nos maux, chacun souffre et croit être capable de soutien, juste parce que dans ce soutien il oublie sa propre souffrance. Et comme pour bien faire, les volontés de l’éducation nationale ont détricoté le cursus tranquillement tissé, changement de parcours, changement de ville, changement de département, un autre isolement se construit, d’autres séparations, d’autres bouleversements et beaucoup d’affections en morceaux. C’est bizarre la vie, on croit fuir un quotidien en partant en vacances, en déconnectant comme on dit si bien, puis un jour de gris arrive et vous renvoie tout à la gueule, tout cela d’un coup, opération gueule de bois. Le spleen de la rentrée en pleine vacances, le spleen de l’automne en plein été, un jour gris sur une plage pourtant bondée, il est vrai que beaucoup de vacanciers n’ont pas la chance d’un emploi du temps non minuté, la semaine est réservée, il faut la consommer coûte que coûte. L’océan est en colère, il crache ses rouleaux qui mordent un peu plus le sable et malgré les panneaux d’avertissement, quelques imprudents s’amusent à défier les courants. Il s’est assis sans réelle volonté, il regarde ce spectacle désolant et un brin inquiétant, il songe avec un brin d’envie à cette vague puissante qui roule d’une couleur ocre trahissant son chargement de sable et de gravier, il s’abandonne à l’idée d’en être la proie, de plonger sans remonter, d’être happé pour ne plus réapparaitre, ici, dans ce berceau de vies et d’énergies, rejoindre l’onde et ne plus devoir chercher le sens aux sens, ici, dans ces lieux où tant de fois il est venu recharger ses accus, ici, dans cette année si difficile.


Mais il n’en peut plus de ce spectacle, il est en colère contre ces hommes qui ne comprendront jamais, pourquoi on met des pancartes, pourquoi ces vagues d’apparences innocentes peuvent être de terribles complices aux courants de fond tueurs, pourquoi ces courants de fond associés aux bancs de sables forment ces dramatiques courants de baïnes surtout aux marées descendantes qui emportent et noient ceux qui luttent contre eux. Il n’en peut plus de ces insouciances bravant les recommandations, il n’en peut plus d’avoir perdu sa propre insouciance alors il part, coupe par la forêt, devenue si claire et si lumineuse depuis les coupes du printemps, les senteurs s’y sont même étiolées, décidément, cette année pèse dans beaucoup de sens. Il marche, quasi automate, dans un monde sans le sens, il regagne son antre, s’enferme et pleure pour la première fois depuis…. Il est parfois trop de poids à porter dont on mesure l’effort qu’une fois essoufflé, il est le vide d’une vie qu’on a laissé nous vider, il est le manque qui lui ne vous manquerait pas pour rien au monde…

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